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— Oui, le château d’Urgarrain dans l’arrière-pays, mais ce domaine n’est pas entré dans la communauté.

— Doña Isabel n’est pas la propriétaire ?

— Non, c’est sa grand-mère, Doña Luisa. Le château a été jadis la propriété de sa famille et c’est en le lui offrant que Vauxbrun s’est attiré le cœur d’Isabel. De toute façon, celle-ci en est l’héritière directe…

L’information tomba dans un silence consterné. Ce fut Langlois qui le brisa après quelques secondes :

— Que pensez-vous faire à présent ?

Aldo haussa les épaules :

— Continuer d’attendre les billets de Romuald Dupuy dont on vous tiendra au courant. Mais ne pourriez-vous essayer d’en savoir davantage sur ces Mexicains qui nous sont tombés dessus comme la foudre ? Sait-on seulement d’où ils viennent ?

— Ça, oui ! De New York. Ils ont débarqué du Libertéle 1er septembre au Havre.

— De New York ? Qu’est-ce qu’ils y faisaient ? demanda Vidal-Pellicorne.

— Réfugiés chez des amis, tout simplement. Ils ont dû fuir le Mexique où leurs domaines leur ont peut-être été enlevés pour être redistribués dans le cadre d’une réforme agraire. Ils ont dû rassembler tout ce qu’ils pouvaient emporter.

— … sans oublier une fille ravissante, un peu amorphe peut-être mais dont la beauté exceptionnelle représentait leur chance de se refaire ! jeta Morosini, méprisant. Il suffisait de trouver un… amateur – pour ne pas dire un pigeon ! – suffisamment riche pour se charger de les remettre à flot ! Je sais que ce n’est pas nouveau… Mais cela aurait pu marcher aussi aux États-Unis ? Pourquoi venir en France ?

— Retrouver d’anciennes racines. Ne vous y trompez pas, Morosini, leur noblesse est authentique et leurs ancêtres se sont emparés de l’Empire aztèque avec Cortés…

Cette fois, Aldo prit feu :

— Des gens bien sous tous rapports, à ce qu’il semble ? lança-t-il, furieux. On a peine à croire qu’ils ont peut-être assassiné un type sympathique après l’avoir ficelé dans un mariage républicain pour mieux le dépouiller !

— Allons, calmez-vous ! Je ne fais qu’exposer des faits connus, ce qui ne veut pas dire que nous nous désintéressons du sort de Vauxbrun. S’ils l’ont tué, je vous jure qu’ils le paieront, fussent-ils cousins du roi d’Espagne !

— Et moi, je vous certifie que je ne les lâcherai pas tant que je ne saurai pas la vérité !

— Eh bien, on se retrouve au même point que tout à l’heure, soupira Langlois. Il ne me reste qu’à vous répéter : pas d’imprudences ! Faites attention, je vous en conjure !

Il semblait réellement inquiet, ce qui s’accordait si mal à son flegme quasi britannique habituel qu’Adalbert se demanda s’il leur avait dit vraiment ce qu’il savait. Il n’en garda pas moins sa réflexion pour lui. Aldo se faisait déjà un sang d’encre ; il était inutile d’en rajouter.

4

LE MARCHÉ

— Plan-Crépin, dit Mme de Sommières en reposant sa tasse à café vide, vous prierez Lucien de tenir la voiture prête pour quatre heures !

— Nous sortons ?

— Si par nous sortons vous entendez vous et moi, c’est non. Je sors seule !

La surprise fut telle que la vieille fille en oublia sa bonne éducation et demanda, déjà pincée :

— Et pourquoi sans moi ?

— Parce que, là où je vais, je préfère que l’on ne vous voie pas trop. Je tente une démarche purement privée dont je ne sais ce qu’il en sortira. Il me semble que cela passera mieux si elle est sans témoins. Et ne faites pas cette tête-là ! ajouta-t-elle en voyant rougir le nez pointu de sa lectrice, signe certain qu’elle allait renifler des larmes avant peu. Vous n’êtes pas frappée d’ostracisme ! Simplement, si elle ne tourne pas au face-à-face musclé, une conversation à deux peut se révéler plus profitable qu’à trois !

— Oserai-je demander où nous allons ?

— Rue de Lille ! Je désire m’entretenir avec Doña Luisa !

— Aldo est au courant ?

— Évidemment non. Mais… si à sept heures je ne suis pas rentrée, vous, vous pourrez lui dire d’envoyer Langlois m’extraire de l’oubliette où je commencerai peut-être à dessécher, conclut-elle, narquoise.

— Je… je ne peux même pas rester dans la voiture ?

— Qu’y feriez-vous, sinon vous geler ? Je vous rappelle que nous avons Romuald dans la place. Cela devrait vous rassurer !

À quatre heures et demie précises, la vénérable Panhard noire de la marquise, toujours si admirablement entretenue qu’elle jouait sans peine les objets de collection, stoppait devant le portail de l’hôtel Vauxbrun. Lucien, en impeccable livrée gris fer, en descendit, sonna et remit au concierge la carte de visite de la marquise de Sommières en ajoutant que la noble dame souhaitait quelques instants d’entretien avec Mme la marquise de Vargas y Villahermosa. Un instant plus tard, la porte cochère s’ouvrait devant la voiture que le chauffeur vint arrêter exactement devant le perron où se tenait déjà un Romuald aussi solennel qu’un butleranglais. Il en franchit les marches pour aider la visiteuse à descendre de voiture puis la précéda dans le vestibule et, après l’avoir débarrassée de sa longue redingote de breitschwanz noir, l’introduisit dans un petit salon où celle qu’elle était venue voir se tenait assise, un livre entre les doigts, auprès de la cheminée de marbre rose où brûlaient quelques bûches. La Mexicaine se leva pour accueillir sa visiteuse, sans qu’il fût possible de lire la moindre réaction sur son lourd visage aux yeux gris et froids.

Les deux dames se saluèrent. Doña Luisa désigna un fauteuil semblable au sien de l’autre côté de l’âtre et attendit que Mme de Sommières entamât la conversation. Celle-ci tenta l’ébauche d’un sourire :

— Je vous suis très obligée, Madame, d’accepter de me recevoir alors que je ne me suis pas fait annoncer. Il m’est apparu soudain qu’il ne serait pas mauvais que nous puissions nous rencontrer afin d’échanger nos points de vue sur un événement qui se trouve être douloureux, alors qu’il était destiné à rapprocher deux nobles familles…

— Je n’ai pas remarqué chez ce Vauxbrun la moindre trace de noblesse !

— Un nom pourvu d’une particule ne signifie pas que l’on appartienne à l’aristocratie. Le contraire peut aussi se vérifier et les ancêtres de Gilles Vauxbrun ont servi nos rois avec honneur. En outre, notre famille l’a autant dire adopté. Mon neveu, le prince Morosini, voit en lui un frère et il descend des douze familles patriciennes qui ont fondé Venise, sans compter plusieurs doges…

— Nous, nous descendons du soleil !

Ce fut assené comme un coup de poing sur la table. Mme de Sommières releva un sourcil délicat.

— Illustre origine, s’il en fut, mais qui ne saurait être supérieure à celle d’enfants du Dieu éternel et tout-puissant. Ce que nous sommes tous ! Mais qu’importe ! Une si auguste origine me met à l’aise pour vous prier de bien vouloir répondre à une question simple : comment en êtes-vous venue à accepter l’union de votre petite-fille avec un homme distingué sans doute et pourvu d’une belle fortune mais dont nous n’avons pas eu l’impression qu’il vous inspirait un sentiment beaucoup plus chaleureux que du dédain, pour ne pas dire du mépris ? Cela n’est guère logique.

— Pour servir un grand dessein, les dieux ne s’opposent pas à ce que l’on se rapproche du vulgaire. La beauté de ma petite-fille a foudroyé ce malheureux. Il a compris que le destin avait placé sur son chemin une femme prédestinée que l’on doit adorer à genoux. Il s’est déclaré son serviteur…

Un grand dessein ? Les dieux ? Mme de Sommières commençait à se demander où elle venait de mettre les pieds, mais il fallait justement essayer d’en savoir plus :

— On peut adorer sans épouser. J’en reviens à ma question : pourquoi aller jusqu’au mariage ? Gilles Vauxbrun, si j’ai bien compris, était prêt à tout offrir…