Le rire d'Arnaud fut encore plus insultant que ses paroles.

— Imaginer ? Il n'a pas dû avoir beaucoup de mal à t'avoir si j'en juge d'après ma propre expérience. Tu te laisses trousser aisément, la fille !

Le cri que poussa Catherine était celui d'un animal blessé. Ses prunelles dilatées laissèrent échapper un flot de larmes. Elles roulèrent le long de ses joues jusque sur son cou. Catherine tendit vers le blessé des mains qui tremblaient.

— Par pitié, messire... Que vous ai-je fait pour être traitée de la sorte. N'aviez-vous pas compris ?

— Quoi ? fit Arnaud sarcastique. Que, tout juste sortie du lit de Philippe, tu acceptais de te glisser dans le mien. Qui sait ? Peut-être sur ordre. Cette agression... et ce sauvetage la nuit dernière n'étaient peut- être qu'un coup savamment monté. Ton rôle à toi, c'était de me tirer sur l'oreiller le but de ma mission. Félicitations !... J'avoue que tu as failli réussir. Ma parole, tu m'as un instant rendu fou... C'est qu'aussi j'ai rencontré bien peu de garces aussi tentantes que toi.

Maintenant, assez, je t'ai déjà dit de filer !

Folle de colère cette fois, oubliant la passion que ce garçon avait éveillée en elle, Catherine, les poings serrés, marcha vers le lit.

— Je n'en sais que trop ! Va-t'en... Tu me répugnes, ta vue me fait horreur. D'ailleurs, on l'attend en bas. N'ai-je pas entendu ce chevalier qui vient d'arriver dire que le duc de Bourgogne l'envoie le protéger ?

Que d'honneur, que d'attentions ! Il n'est pas difficile de deviner ce que tu es, ma belle ! Le duc Philippe passe pour aimer les femmes comme toi.

— Je ne suis rien pour Monseigneur Philippe, se révolta Catherine rouge jusqu'aux oreilles. Au contraire, il a voulu me faire arrêter récemment. Qu'allez-vous imaginer ?

Le rire d'Arnaud fut encore plus insultant que ses paroles.

— Imaginer ? Il n'a pas dû avoir beaucoup de mal à t'avoir si j'en juge d'après ma propre expérience. Tu te laisses trousser aisément, la fille !

Le cri que poussa Catherine était celui d'un animal blessé. Ses prunelles dilatées laissèrent échapper un flot de larmes. Elles roulèrent le long de ses joues jusque sur son cou. Catherine tendit vers le blessé des mains qui tremblaient.

— Par pitié, messire... Que vous ai-je fait pour être traitée de la sorte. N'aviez-vous pas compris ?

— Quoi ? fit Arnaud sarcastique. Que, tout juste sortie du lit de Philippe, tu acceptais de te glisser dans le mien. Qui sait ? Peut-être sur ordre. Cette agression... et ce sauvetage la nuit dernière n'étaient peut- être qu'un coup savamment monté. Ton rôle à toi, c'était de me tirer sur l'oreiller le but de ma mission. Félicitations !... J'avoue que tu as failli réussir. Ma parole, tu m'as un instant rendu fou... C'est qu'aussi j'ai rencontré bien peu de garces aussi tentantes que toi.

Maintenant, assez, je t'ai déjà dit de filer !

Folle de colère cette fois, oubliant la passion que ce garçon avait éveillée en elle, Catherine, les poings serrés, marcha vers le lit.

— Je ne partirai pas, pas avant que vous ne m'ayez entendue... et que j'aie reçu vos excuses...

— Des excuses ? À une...

Il avait jeté l'insulte comme on crache. Sous le mot ignoble, la jeune fille reculait les mains au visage comme s'il l'avait frappée. Son courage et aussi sa colère l'abandonnaient. Tout le doux roman s'était mué en une farce grotesque et avilissante. La lutte, elle le sentait bien, ne servirait à rien parce que la colère aveuglait Arnaud. Se détournant, les mains abandonnées avec lassitude le long de son corps, elle marcha vers la porte. Elle allait l'ouvrir quand un sursaut d'orgueil la retourna vers lui. Sa tête fine, sous la masse somptueuse des cheveux qui lui faisaient une auréole désordonnée, se redressa fièrement. Elle planta son regard méprisant dans les yeux noirs du jeune homme. Redressé sur un coude, la tête un peu basse, tous ses muscles crispés par la fureur, il avait l'air d'un fauve prêt à bondir malgré l'absurde turban blanc, quelque peu bousculé par les derniers événements, et qui lui ôtait un peu de son aspect inquiétant.

— Un jour, fit froidement Catherine, vous vous traînerez à mes pieds pour que j'oublie vos paroles, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie. Mais vous n'aurez de moi ni pardon ni merci.

Votre frère, lui, était doux et bon... et je l'aimais. Adieu !...

Elle allait sortir et se tournait vers la porte quand un choc violent faillit la jeter à terre ; elle eut tout juste le temps de s'agripper au mur pour éviter la chute. Lancé d'une main sûre, un gros oreiller venait de s'abattre sur elle. Il en fallait en effet bien plus que la dignité d'une femme pour calmer Arnaud quand il était en colère. Stupéfaite, elle se tourna vers lui. Assis dans son lit, il riait de toutes ses dents blanches en la regardant méchamment :

La prochaine fois que tu oseras parler de mon frère, petite traînée, je t'étranglerai avec ces mains- là, fit-il en étalant ses grandes mains brunes devant lui. Remercie le ciel que je ne puisse bouger. Le nom des Montsalvy n'est pas fait pour se souiller dans la bouche des filles comme toi, et...

Il allait continuer mais sa furieuse diatribe se trouva coupée net.

Courant vers le lit, Catherine venait de lui appliquer une gifle retentissante.

Le pansement bascula et la blessure de la tempe se rouvrit, laissant filtrer un peu de sang qui glissa sur la joue mal rasée. Soulevée de rage et d'indignation, Catherine avait oublié qu'il était blessé et avait frappé de toutes ses forces. La vue du sang la calma mais n'éveilla pas le moindre regret en elle. Il l'avait insultée indignement et elle n'avait été que trop patiente. Obscurément, elle se sentait heureuse de lui infliger une souffrance. Elle eût même voulu que ce fût pire. Elle eût aimé le déchirer de ses dents et de ses ongles, éteindre ce regard insolent où, pour le moment, la stupeur avait pris la place du mépris.

Machinalement Arnaud portait une main à sa joue gauche, plus rouge que l'autre. C'était de toute évidence la première fois que ce genre d'aventure lui arrivait et il ne s'en remettait pas. La gifle l'avait réduit au silence et Catherine, s'en rendant parfaitement compte, le considéra avec une profonde satisfaction.

— Comme cela, fit-elle gentiment, vous vous souviendrez bien mieux de moi, messire !...

Après quoi, esquissant une révérence, elle quitta la chambre avec toute la majesté d'une reine outragée, laissant le chevalier à ses réflexions. Mais elle n'alla pas loin car elle était au bout de ses forces.

La porte refermée, elle s'adossa au mur pour essayer de se calmer un peu. Derrière le battant de bois grossier, elle entendit Arnaud jurer effroyablement mais elle ne réagit pas. Que lui importait maintenant sa colère ? Ce qui comptait, c'était la blessure cruelle qu'il lui avait infligée et dont elle aurait pu crier. L'irrémédiable s'était installé entre eux et l'amour. Jamais plus ils ne pourraient se rapprocher. Ils étaient destinés à se haïr, à tout jamais, et cela pour un malentendu que Catherine, dans son amour-propre blessé, se refusait à dissiper désormais. Puisqu'il n'avait pas voulu l'entendre, il ignorerait toujours la vérité que, d'ailleurs, prisonnier de son orgueil de caste, il refuserait, pensant que la jeune fille se cherchait une excuse.

Respirant à petits coups saccadés afin de retrouver son souffle, elle ferma les yeux un instant. Les battements désordonnés de son cœur parurent se calmer. Un peu de paix remonta des profondeurs de son être, étalant la tempête... Quand elle rouvrit les paupières, le petit médecin arabe était devant elle, la regardant gravement sous son énorme turban pareil à une pivoine géante. Et Catherine fut surprise de lire tant de compréhension dans le regard paisible du Maure.

— Le chemin de l'amour est pavé de chair et de sang, récita-t-il doucement. Vous qui passez par là, relevez le pan de vos robes !