La voix de Catherine, enflée par la colère, sonnait haut et le jardin n'était pas si grand. A peine la nouvelle du péril couru par la cité de Montsalvy eut-elle frappé les oreilles des Roquemaurel et de leurs compagnons, qu'ils abandonnèrent instantanément cette belle retenue qui leur était si peu habituelle.

Ce fut une ruée. En un instant, le verger s'emplit de bruit et de fureur, tandis que Catherine et le Bâtard, demeuré auprès d'elle comme pour affirmer qu'elle se trouvait sous sa protection, se voyaient entourés d'une horde qui soufflait le feu par les naseaux.

Jean d'Orléans fit de son mieux pour les contenir, mais les chefs auvergnats n'étaient pas disposés à s'en laisser imposer plus longtemps.

— On attaque Montsalvy, vous le savez depuis hier, Monseigneur, et nous, qui sommes les fils de cette terre, nous l'ignorions encore !

protesta Renaud de Roquemaurel. Que faisons-nous ici, à ergoter autour de la mort méritée d'un vilain, quand des centaines d'hommes, femmes et enfants sont en péril ? Et que sert d'arracher Paris aux Anglais si vous laissez des pillards ravager le reste du royaume ?

Rendez-nous Montsalvy, sire Connétable ! Rendez-nous notre chef et laissez-nous partir ! Nous n'avons que trop perdu de temps !

Le Connétable leva la main pour apaiser le tumulte.

Paix, messires ! La chose est moins simple que vous ne l'imaginez !

C'est avec douleur et colère, croyez-le bien, que j'ai appris ce qui se passe en Haute Auvergne et, dès que ce sera possible, j'enverrai des secours...

— Dès que ce sera possible ? protesta Fabrefort. Autrement dit quand tous les gens de cœur auront trouvé la mort entre les murs de Montsalvy et que Bérault d'Achpier aura eu tout le temps de s'y fortifier ! En outre, avez-vous entendu ce qu'a dit Dame Catherine ?

Le Castillan est à Saint-Pourçain, et les gens d'Aurillac craignent sa venue. Que nous importe Paris si, au retour, nous devons retrouver nos castels occupés, nos villages incendiés et nos femmes violées !

Nous ne resterons pas ici une minute de plus.

— Alors partez ! Je ne vous retiens pas.

— Nous allons le faire, riposta Roquemaurel, mais pas seuls !

Nous voulons Arnaud de Montsalvy et s'il faut, par la force, l'arracher de votre Bastille, nous y allons de ce pas ! Il vous faudra en découdre contre vos propres troupes, Sire Connétable !

— Vous ne voyez que votre intérêt ! cria Richemont. Vous oubliez que, dans une ville fraîchement conquise, la justice doit être plus ferme et plus intransigeante que partout ailleurs. Mes ordres étaient formels et les sanctions éventuelles bien définies ! Le sire de Montsalvy le savait et, cependant, il n'en a tenu aucun compte...

— Le moyen de rester les bras croisés quand passe devant vous l'assassin de votre frère, fit Dunois. Tous, nous en aurions fait autant !

— Ne dites pas cela, sire Bâtard, répondit Riche- mont. Nul mieux que vous ne sait respecter les ordres. Comment les gens de Paris pourront-ils avoir confiance en moi si je ne montre que je suis seul maître et responsable au nom du Roi ? Si, à la première désobéissance grave, je passe l'éponge ? Avez-vous oublié que j'ai donné ma parole

? — Votre parole ne vaut pas la tête d'Arnaud de Montsalvy, lança Catherine, farouche.

Puis, comme Richemont pâlissait et reculait comme si elle l'avait frappé, elle se jeta à genoux.

— Pardonnez-moi ! s'écria-t-elle, et ne me tenez pas rigueur d'une parole qui a dépassé ma pensée ! Je suis comme folle depuis que je sais le danger couru par mon époux... et pour quelle raison !

— Un prisonnier a été tué, répondit le Breton, obstiné, alors que je lui avais garanti la vie sauve. Croyez- vous que je n'avais pas bonne envie de pendre haut et court ce gros porc visqueux de Cauchon dont l'acharnement imbécile a voué la Pucelle à la mort ? Pourtant, je me suis retenu !

— Saviez-vous qu'il était dans la Bastille ?

— N...on ! Je l'ignorais, au début des négociations, mais l'eussé-je su que cela n'aurait rien changé à l'affaire : je devais les laisser partir tous ou aucun ! Relevez-vous, Dame Catherine, il me déplaît de vous voir ainsi à mes pieds.

— C'est la place qui convient à quiconque implore, il faut m'y laisser, Monseigneur ! D'ailleurs, je ne me relèverai que vous ne m'ayez accordé ce que je demande. Tout ce que vous m'avez dit, je le savais déjà. Je savais combien était grave la faute de mon époux, puisqu'il a osé faire fi de votre parole... la parole d'un prince et le plus loyal qui soit !

Un homme qui jusqu'à présent n'avait rien dit s'interposa. C'était le Prévôt des marchands. S'inclinant légèrement devant celle qu'il allait contredire, Michel de Lallier soupira :

— Malheureusement, Madame, le peuple de Paris ne connaît pas encore Monseigneur de Richemont. Le souvenir qu'il garde des Armagnacs, et singulièrement du Connétable d'Armagnac, n'est pas si heureux. Certes, il s'est spontanément rendu à son maître naturel, le roi Charles de France, que Dieu veuille garder en santé, mais comment réagira-t-il si l'homme qui le représente se livre déjà à de tels passe-droits ? C'est à moi, Prévôt des marchands, et à mes échevins que la parole du prince a été donnée. Je n'ai pas le droit de la lui rendre.

— Pourquoi ? Mais pourquoi ? gémit Catherine prête à pleurer.

— Parce que je dois faire droit à la plainte de la veuve Legoix. Les gens de son quartier ont pillé sa maison et l'ont malmenée, mais elle devait partir avec son époux et il ne lui reste rien.

— Eu sera-t-elle plus riche ou plus heureuse si l'on tue le mien ?

— Dame, fit le vieil homme, vous ne pouvez comprendre : vous êtes femme haute et noble pour qui les petites gens sont si peu que rien...

— Guillaume Legoix n'appartenait pas aux petites gens. C'était un grand bourgeois et un homme riche !

— Peut-être, mais ce n'était tout de même qu'un bourgeois, comme moi-même et la plupart de ceux de notre ville. Paris, Madame, est fait surtout de peuple et de bourgeoisie, bien peu de nobles. Les grands seigneurs sont assez loin de nous, tout occupés qu'ils sont de guerre et de tournois. Bien sûr, Guillaume Legoix a tué le frère du seigneur de Montsalvy, mais c'était en temps de guerre, Madame...

Du coup, Catherine se releva et fit face au Prévôt.

— De guerre ? Non, messire, pas de guerre ! Temps de révolte, si vous voulez ! Caboche n'a jamais été chef de guerre que je sache !

Vous jouez là sur les mots. J'aurais dû dire guerre civile et vous ne pouvez pas savoir ce que c'était, car alors on devait vous élever douillettement au fond de quelque noble château où les fureurs de Paris n'arrivaient que fort peu ! Vous ignorez ce qu'il en était, alors, en ce temps où les gens d'ici, las des favoris d'Ysabeau, des mauvais nobles, des exactions, s'étaient soulevés pour la liberté. Et même si je dois vous faire une peine extrême, j'ajouterai que le meurtre, si meurtre il y a eu, du jeune seigneur de Montsalvy n'a soulevé l'indignation de personne. Paris trouvera bon, croyez-moi, que Monseigneur le Connétable fasse tomber la tête d'un noble coupable d'avoir abattu un bourgeois, même serviteur de l'ennemi. Nous l'avons d'ailleurs tous été quelque peu par force ou par choix volontaire, mais nous l'avons été ! Le procès, que Monseigneur n'a que trop retardé jusqu'à présent à cause des événements politiques, doit s'instruire.

Comprenez-vous?

Catherine regarda le vieillard puis, tour à tour, ceux qui l'entouraient. Elle vit Tristan anxieux, le Bâtard déjà désolé, le Connétable durci dans sa position ainsi que l'indiquaient sa bouche serrée et ses sourcils froncés.

Elle vit aussi les Auvergnats frémissants, leurs mains qui hésitaient du côté du pommeau des épées ou des dagues. Elle comprit que, peut-

être, dans un instant il serait trop tard. Tous ces braves gens de ce pays d'Auvergne, qu'elle aimait maintenant plus que son sol natal, étaient prêts au massacre pour arracher leur ami à la mort et faire prévaloir leurs droits de seigneurs.