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Il jeta un regard affectueux sur les graphiques tapissant les murs et poursuivit:

— En un an, nous avons fondé cette ville, organisé des réseaux de renseignements, poussé la natalité, formé des spécialistes, accumulé un matériel fantastique… Nos progrès vont à pas de géant. Pendant la même période, les draags ont tout juste réussi à voter cette petite loi de désomisation que nous avons prise de vitesse. L’exode aura lieu avant que cette loi ne soit appliquée à fond. Je le répète, nous devons perdre ces trois jours, afin de ne pas tout gâcher. D’ailleurs, les télécommunications seront bientôt réservées aux espions seuls. Les raids n’auront plus de raison d’être. Nous avons déjà tout ce qu’il nous faut pour effectuer l’Exode et mettre en application l’économie 2. Nous allons bientôt vivre repliés sur nous-mêmes dans cette ville. Les téléfils suffiront.

Il enfonça un bouton de la téléboîte et dit:

— Ateliers!

L’appareil ronronna un instant, émit quelques déclics avant de laisser sourdre une voix.

— Ici, Central Ateliers; qui parle?

— L’Édile. Où en êtes-vous, pour l’appareil 3?

— Ne quittez pas, Édile. Je vous branche sur la salle 3.

— Ici chef de salle 3!

— Ici l’Édile. Et cette plaque?

— Nous perçons le dernier trou, Édile. Dans une heure, il n’y aura plus qu’à monter sur coque.

— Votre foret s’est usé?

— Ça ira. Le changer nous prendrait plus de temps.

— Bon. Je descends voir.

Terr coupa et se tourna vers Charb.

— Fais le nécessaire, pour le code!

Charb acquiesça en avançant la main vers sa téléboîte. Terr sortit, sauta sur un chariot et se laissa glisser jusqu’aux ateliers.

Il traversa les entrepôts mécaniques, les petits ateliers de précision et parvint aux salles de montage. Dans les deux premières trônaient les appareils terminés: deux énormes vaisseaux fabriqués avec des pièces détachées ravies aux usines draags. Des files d’oms y chargeaient le fret nécessaire à l’Exode.

De la salle 3 filtrait le cri modulé du métal mordu par le métal, et le vaste murmure d’oms haletants sous l’effort. Terr y entra.

Une plaie carrée béait au flanc du troisième vaisseau, montrant des organes de verre et des ganglions de fils multicolores. Plus loin, une plaque courbe était calée sur le sol par des tasseaux de plastique. Juchés sur un échafaudage, une centaine d’oms maintenaient un énorme vilebrequin à la verticale, tandis qu’une autre centaine de travailleurs tournaient sans fin dans les roues d’écureuils entraînant le foret. La sueur coulait par litres le long des entretoises, dégouttait sur la plaque surchauffée, bouillait en dansant au milieu des copeaux de métal. De main en main, des bidons d’huile arrivaient sans arrêt des entrepôts. Une dizaine d’hercules aux muscles vernis par la chaleur vidaient le lubrifiant sous la mèche du foret.

Deux femelles aux cheveux noués sur la nuque abattaient un travail de mâle. Terr s’approcha d’elles.

— Que font-elles ici? demanda-t-il au chef de salle qui s’empressait à sa rencontre.

— Elles sont stériles, répondit l’om. Elles ont demandé à servir autrement.

Terr s’écarta sur le passage d’un bidon roulé par des bras vigoureux. Marchant vers le vaisseau, il grimpa l’échelle menant à l’écoutille. Toujours suivi de l’ingénieur, il entra dans le ventre de l’appareil par un plan incliné. Au passage, ses doigts caressaient amoureusement le lisse des cloisons.

Ses pas le menèrent à la chambre des cartes, derrière le poste de pilotage. À son entrée, un petit groupe d’étudiants se leva.

— Vive l’Édile!

— Ça va bien, dit Terr. Asseyez-vous et continuez votre travail.

Il se pencha sur une carte, posa quelques questions précises, reçut les réponses en ricochets et tourna un sourire vers l’officier instructeur.

— Ma parole, dit-il, ces jeunes en savent plus que moi!

L’officier eut un geste mi-compréhensif, mi-respectueux signifiant: chacun son métier, le vôtre est de commander.

À cet instant, les lumières cliquetèrent trois fois et s’éteignirent.

— Une panne! dit quelqu’un.

Mais les lampes jetèrent trois nouveaux éclairs avant de laisser la nuit s’installer définitivement.

— Une alerte! dit Terr. Plus un geste! Qui peut me passer une lampe de poche?

Un objet froid lui fut glissé dans la main. Il pressa le bouton et balaya la pièce d’un pinceau lumineux.

— Observez les consignes, dit-il brièvement à ses compagnons immobiles. Chef de salle, guidez-moi hors des ateliers.

Dans la salle 3, le travail avait cessé. Perchés sur leurs poutrelles ou disséminés là où l’alerte les avait surpris, les oms restaient immobiles dans une atmosphère étouffante de sueur et de métal brûlant.

Terr traversa rapidement le chantier, quitta le chef de salle et courut dans les couloirs menant au Central de Surveillance. Sur son passage, il croisait des ombres silencieuses. À l’entrée du Centre, quelqu’un l’arrêta.

— Édile! dit Terr en éclairant son visage.

Le factionnaire le laissa entrer. Terr s’élança dans l’escalier menant au Mirador principal. On appelait ainsi certains points stratégiquement disposés en haut des ruines de la ville draag.

Étouffant le bruit de ses pas, il pénétra dans la cabine en éteignant sa lampe. Vaill et Charb s’y trouvaient déjà en compagnie de quelques veilleurs. Vaill désigna l’étendue sableuse, souillée de rares touffes d’herbe. À un demi-stade de la ville, une sphère avait atterri. Un, deux… cinq draags gigantesques vaquaient aux alentours.

Le plus grand s’était juché sur une dune et contemplait l’océan. Un autre, vautré dans le sable, grignotait béatement le contenu d’une boîte de conserve. Les trois derniers se penchaient sur le moteur de la sphère décapotée. Du mirador, on entendait le lourd murmure de leur conversation.

— Ils sont en panne, souffla Charb.

Terr secoua lentement la tête:

— Je n’aime pas ça, dit-il.

Quêtant une explication, ses compagnons lui jetèrent des regards étonnés. Mais il se tut, attentif aux moindres gestes des géants batraciens.

Au bout de longues heures, les draags remontèrent dans leur appareil, qui décolla aussitôt. En quelques secondes, la sphère disparut à l’horizon.

— Fin d’alerte! ordonna Terr.

Et tandis qu’un om transmettait son ordre par téléboîte, il regarda ses amis d’un air grave.

— Aucune sphère ne passe jamais par ici, dit-il. Ces draags sont venus dans un but précis. Leur panne était un simulacre.

Vaill protesta:

— Comment peux-tu être aussi affirmatif?

Terr poursuivit sans répondre directement:

— Avez-vous déjà vu un draag manger couché sur le côté? En avez-vous déjà vu mettre une heure à vider une boîte d’aliments? Celui-là jouait la comédie! Il fiximageait les ruines!

Charb fit un bond.

— Tu es sûr?

— Aussi sûr, dit Terr, que l’autre enfonçait je ne sais quoi dans le sable, avec un air détaché. Il a cerné la ville de détecteurs ou de quelque chose d’approchant, tout en affectant de se promener. Suivez-moi dans les dunes, nous allons voir ça de près.

Ils descendirent du mirador et coururent à l’endroit où le draag avait commencé son travail. Il ne leur fallut pas longtemps pour tirer du sable un objet rond surmonté d’une antenne de métal.

— Qu’est-ce que c’est? demanda Vaillant.

— Je voudrais bien le savoir, dit Terr. Fais-moi porter ça avec précaution jusqu’aux laboratoires.

Il regarda ses amis et ajouta:

— Oms! Le temps presse. Nous effectuerons l’Exode la nuit prochaine. Les draags sont trop lents pour prendre une décision d’ici là.

— Mais le troisième appareil n’est pas prêt!

— Il le sera. Nous allons tripler la cadence. Nous le mettrons à l’eau sans essais. Il n’est plus question de répétition générale. Charb! Fais le nécessaire auprès des chefs de salle. Je veux que l’on charge le troisième navire dès maintenant, sans attendre qu’il soit terminé. S’il y a du retard, nous le remorquerons avec les deux autres.