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À côté, que de petits profits supplémentaires! Les rendez-vous, les entrevues, les lettres, tout cela se passerait ici, s’échangerait ici. Sources de profits appréciables.

Aussi, M. Henri, qui savait à l’occasion semer généreusement pour récolter davantage, fit-il apporter une seconde bouteille. Et quelques minutes après, il s’excusa, il prétexta des préparatifs à faire pour un dîner qui aurait lieu ce soir. Et il partit, il alla donner un coup de main à sa femme, qui était déjà retournée travailler dans la cuisine.

Lourges en fut content. Chez Germaine, il y eut autant d’appréhension que de curiosité pour ce qui allait se passer.

«C’est drôle, commença Lourges, je ne vous ai jamais plus rencontrée ici, depuis l’autre jour.

– Pourtant, dit Germaine, j’y viens encore souvent.

– Il y a longtemps que vous connaissez Mme Jeanne?

– Oh! oui, je vivais ici quand je me suis mariée.

– Ça vous rappelle de tristes souvenirs, alors, plaisanta Lourges.

– Mais non. Je ne dois pas me plaindre. Sylvain est un bon homme.

– C’est rare, pourtant, qu’on ne regrette pas ces affaires-là.

– Oui, dit Germaine, l’air rêveur. Ça, bien sûr, ce n’est plus la liberté.

– Eh bien, risqua Lourges, c’est dommage que je ne venais pas chez Henri, en ce temps-là. M’est-z-avis qu’on se serait bien entendus, nous deux. Je ne sais pas pourquoi, moi, mais il y a comme ça des têtes qui me reviennent.»

Germaine rit.

«Je suis sûr que vous étiez une bonne fille, hein? poursuivit Lourges.

– Ça, oui. Tout le monde le disait.

– Et vous ne devez pas avoir changé…

– Pas trop. Pourvu qu’on ne m’embête pas, n’y a pas meilleure pâte que moi.

– Je l’ai bien vu. Moi, c’est ce genre-là qui me plaît. J’aime pas les bégueules, celles à qui on ne peut pas dire un mot…

– Moi non plus. On peut être mariée et honnête, sans se déshonorer parce qu’on plaisante un peu, je trouve. Oh! sans mauvaise intention, hein?

– Bien sûr, approuva Lourges, qui pourtant n’acceptait la fin de ce discours qu’avec quelques réserves. On se distrait, quoi! Mais, sacrebleu, dommage, encore une fois, qu’on ne se soit pas connus, dans le temps. On aurait bien ri, à nous deux. Je pense qu’on n’aurait pas souvent disputé.

– C’est la vie, dit Germaine, qui aimait ces réponses vagues, faciles à trouver pour sa nonchalance.

– Ça ne fait rien, on se reverra encore, puisqu’on est amis de la maison. Moi, je vous offrirai toujours un verre avec plaisir.»

Il chercha un stratagème, une façon discrète d’obtenir un rendez-vous, une date précise. «Vous venez souvent ici? demanda-t-il enfin.

– Toutes les semaines.

– Et toujours le jeudi?

– Oui», dit Germaine, bien qu’en réalité elle n’eût pas de jour fixé.

Mais elle était sûre, ainsi, qu’elle reverrait Lourges la semaine suivante. Car elle avait bien compris où tendait cette question, en apparence indifférente.

«Vous devez partir? continua-t-elle, voyant Lourges se lever.

– Oui. Service.»

Maintenant qu’ils s’étaient mis tacitement d’accord, Lourges estimait pouvoir s’en aller.

Il entrebâilla la porte de la cuisine, cria:

«Hé là, Henri, tu viens toucher ta bouteille.»

Et il passa dans le café, où M. Henri le rejoignit.

«Combien?

– Quarante.»

Lourges paya. Et il se pencha vers le cafetier, lui demanda tout bas:

«Dis un peu, faut pas me blaguer. Qu’est-ce qu’il fout, son homme?

– A qui?»

D’un hochement de tête, Lourges indiqua le salon.

M. Henri joua admirablement son rôle.

«Je ne sais pas, dit-il. Du trafic…»

Il ne se souvenait plus de ce qu’il avait déjà dit à ce sujet à Lourges, et le mot vague de «trafic» n’était pas compromettant.

Mais Lourges ne se laissa pas endormir, comme il disait.

«Ça va, dit-il. Tu me prends pour qui? je l’ai pisté, l’autre jour. Il fait de la fraude.

– C’est pas impossible, mais je ne l’ai jamais vu.

– Allez, allez, tu te fous de moi. Un type comme toi connaît les gens qu’il reçoit. C’est pas d’hier qu’il vient ici, ce Sylvain. Alors, faut pas me raconter des boniments. T’as intérêt à être bien avec moi, tu sais.

– Je sais.

– Parle, alors. Tu ne le regretteras pas. Il fait de la fraude, hein?

– Je pense.

– Avec qui travaille-t-il?

– Avec tout le monde. Il fait surtout de la revente.

– Il vient quelquefois chez toi avec du tabac?

– C’est rare. Et puis, tu ne peux pas le faire prendre ici, Lourges. Ma maison… le scandale… ma réputation…

– Qui te dit que je veux le prendre?

– Ça! t’es malin, mais moi je ne suis pas bête.»

Et M. Henri se mit à rire.

Lourges rit aussi, doucement.

«C’est bon. Ne parlons plus de toi. Je te laisse tranquille, puisqu’il est entendu que nous travaillons ensemble. Mais alors, où achète-t-il?

– Heu… fit M. Henri, en se grattant la tête, j’ai entendu dire qu’il achetait beaucoup au grand Fernand.

– Le grand Fernand? Celui du quai du Leughenaer?

– Oui.

– Ah! tiens, tiens, cette vieille fripouille de Fernand. Eh! tant mieux, parbleu. Ça va aller tout seul. À la semaine prochaine, Henri. Je pense que tu entendras parler de moi.

– Motus, hein?

– Motus.»

Et sur cette promesse, Lourges s’en alla.