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Et les litanies du rut s'élevèrent dans le vent salé des abattoirs. La première victime de Gilles fut un tout petit garçon dont le nom est ignoré.

Il l'égorgea, lui trancha les poings, détacha le coeur, arracha les yeux, et il les porta dans la chambre de Prélati. Tous deux les offrirent, dans des objurgations passionnées, au diable qui se tut. Gilles exaspéré s'enfuit. Prélati roula ces pauvres restes dans un linge et, tremblant, s'en fut, dans la nuit, les inhumer en terre sainte, auprès d'une chapelle dédiée à saint Vincent.

Le sang de cet enfant que Gilles avait conservé pour écrire ses formules d'évocation et ses grimoires, s'épandit en d'horribles semailles qui levèrent et bientôt, de Rais put engranger la plus exorbitante moisson de crimes que l'on connaisse.

De 1432 à 1440, c'est-à-dire pendant les huit années comprises entre la retraite du maréchal et sa mort, les habitants de l'Anjou, du Poitou, de la Bretagne, errent, en sanglotant sur les routes. Tous les enfants disparaissent; les pâtres sont enlevés dans les champs; les fillettes qui sortent de l'école, les garçons qui vont jouer à la pelote le long des ruelles ou s'ébattent au bord des bois, ne reviennent plus.

Au cours d'une enquête que le Duc De Bretagne ordonne, les scribes de Jean Touscheronde, commissaire du duc en ces matières, dressent d'interminables listes d'enfants qu'on pleure.

Perdu, à la Rochebernart, l'enfant de la femme Péronne, " un enfant qui allait à l'école et apprenait moult bien " dit la mère.

Perdu à Saint-étienne De Montluc, le fils de Guillaume Brice " lequel était pauvre homme et allait à l'aumône ".

Perdu à Machecoul, le fils de Georget Le Barbier " qu'on a vu, un certain jour cueillir des pommes derrière l'hôtel Rondeau et qui depuis n'a été vu ".

Perdu à Thonaye, l'enfant de Mathelin Thouars " qu'on entend se complaindre et esmoier et était ledit enfant de l'âge d'environ douze ans ".

A Machecoul encore, le jour de la Pentecôte, les époux Sergent laissent chez eux leur enfant âgé de huit ans, et, au retour des champs, " ils ne retrouvent plus ledit enfant de huit ans, dont moult se merveillèrent et furent dolents ".

A Chantelou, c'est Pierre Badieu, mercier en la paroisse, qui dit que, un an ou environ, il vit au pays de Rais, deux petits enfants de l'âge de neuf ans, qui étaient frères et enfants de Robin Pavot audit lieu.

" et oncques depuis ce temps ne les vit, ni ne sait ce qu'ils sont devenus ".

A Nantes, c'est Jeanne Darel qui dépose que " le jour de saint père, elle adira en la ville son sien fils nommé Olivier, étant en l'âge de sept et huit ans et depuis cette fête de saint père ne le vit ni ouït nouvelles ".

Et les pages de l'enquête continuent, s'accumulent, révèlent des centaines de noms, narrent la douleur des mères qui interrogent les passants sur les chemins, les hurlements des familles dans les maisons desquelles les enfants sont ravis, dès qu'elles s'écartent pour bêcher les champs et semer le chanvre. Ces phrases reviennent, de même que les ritournelles désolées, à la fin de chaque déposition: " on les voit s'en complaindre doloreusement ", " on entend moult lamentations ". Partout où sont établis les charniers de Gilles, les femmes pleurent.

Le peuple effaré se raconte d'abord que de méchantes fées, que des génies malfaisants dispersent sa géniture, mais, peu à peu, d'affreux soupçons lui viennent. Dès que le maréchal se déplace, dès qu'il va de sa forteresse de Tiffauges au château de Champtocé, et de là au castel de La Suze ou à Nantes, il laisse derrière ses pas des traînées de larmes. Il traverse une campagne et, le lendemain, des enfants manquent. En frémissant, le paysan constate aussi que partout où se sont montrés Prélati, Roger De Bricqueville, Gilles De Sillé, tous les intimes du maréchal, les petits garçons ont disparu. Enfin, avec horreur, il remarque qu'une vieille femme, Perrine Martin, erre, vêtue de gris, le visage couvert comme celui de Gilles De Sillé, d'une étamine noire; elle accoste les enfants et son parler est si séduisant, sa figure, dès qu'elle lève son voile, est si habile, que tous la suivent jusqu'aux lisières des bois où des hommes les emportent, bâillonnés dans des sacs. Et le peuple épouvanté appelle cette pourvoyeuse de chair, cette ogresse, La Meffraye, du nom d'un oiseau de proie.

Ces émissaires rayonnaient par tous les villages et les bourgs, chassaient à l'enfant sous les ordres du Grand Veneur, le Sieur De Bricqueville. Non content de ces rabatteurs, Gilles s'installait aux fenêtres du château et, alors que de jeunes mendiants, attirés par la renommée de ses largesses, demandaient l'aumône, il les triait du regard, faisait monter ceux dont la physionomie l'incitait au stupre et on les jetait en un cul de basse-fosse, jusqu'à ce que, se sentant en appétit, le maréchal réclamât son souper charnel.

Combien d'enfants égorgea-t-il, après les avoir déflorés? Lui-même l'ignorait, tant il avait consommé de viols et commis de meurtres! Les textes du temps comptes de sept à huit cents victimes, mais ce nombre est insuffisant, semble inexact. Des régions entières furent dévastées; le hameau de Tiffauges n'avait plus de jeunes gens, la Suze, nulle couvée mâle; à Champtocé, tout le fond d'une tour était rempli de cadavres; un témoin, cité dans l'enquête, Guillaume Hylairet, déclare aussi: " qu'un nommé Du Jardin a ouï dire qu'il avait été trouvé audit châtel une pipe toute pleine de petits enfants morts ".

Aujourd'hui encore, les traces de ces assassinats persistent. Il y a deux ans, à Tiffauges, un médecin découvrit une oubliette et il en ramena des masses de têtes et d'os!

Toujours est-il que Gilles avoua d'épouvantables holocaustes et que ses amis en confirmèrent les effrayants détails.

A la brune, alors que leurs sens sont phosphorés, comme meurtris par le suc puissant des venaisons, embrasés par de combustibles breuvages semés d'épices, Gilles et ses amis se retirent dans une chambre éloignée du château. C'est là que les petits garçons enfermés dans les caves sont amenés. On les déshabille, on les bâillonne; le maréchal les palpe et les force, puis il les taillade à coups de dagues, se complaît à les démembrer, pièces à pièces. D'autre fois, il leur fend la poitrine, et il boit le souffle des poumons; il leur ouvre aussi le ventre, le flaire, élargit de ses mains la plaie et s'assied dedans. Alors, tandis qu'il se macère dans la boue détrempée des entrailles tièdes, il se retourne un peu et regarde par-dessus son épaule, afin de contempler les suprêmes convulsions, les derniers spasmes. Lui-même l'a dit:

" j'étais plus content de jouir des tortures, des larmes, de l'effroi et du sang que de tout autre plaisir ".

Puis il se lasse des joies fécales. Un passage encore inédit du procès nous apprend que: " ledit sire s'échauffait avec des petits garçons, quelquefois avec des petites filles avec lesquels il avait habitation sur le ventre, disant qu'il y prenait plus de plaisir et moins de peine qu'à le faire en leur nature. " après quoi, il leur sciait lentement la gorge, et l'on plaçait le cadavre, les linges, les robes, dans le brasier de l'âtre bourré de bois et de feuilles sèches, et l'on jetait les cendres, partie dans les latrines, partie au vent, en haut d'une tour, partie dans les fossés et les douves.

Bientôt ses furies s'aggravèrent; jusqu'alors il avait assouvi sur des êtres vivants ou moribonds la rage de ses sens; il se fatigua de souiller des chairs qui pantelaient et il aima les morts.

Artiste passionné, il baisait, avec des cris d'enthousiasme, les membres bien faits de ses victimes; il établissait un concours de beauté sépulcrale; – et, alors que, de ces têtes coupées, l'une obtenait le prix, -il la soulevait par les cheveux et, passionnément, il embrassait ses lèvres froides.

Le vampirisme le satisfit, pendant des mois. Il pollua les enfants morts, apaisa la fièvre de ses souhaits dans la glace ensanglantée des tombes; il alla même, un jour que sa provision d'enfants était épuisée, jusqu'à éventrer une femme enceinte et à manier le foetus! -puis, après ces excès, il tombait, épuisé, en d'horribles sommes, en de pesants comas, semblables à ces sortes de léthargies qui accablèrent, après ses violations de sépulture, le sergent Bertrand. -mais si l'on peut admettre que ce sommeil de plomb est l'une des phases connues de cet état encore mal observé du vampirisme; si l'on peut croire que Gilles De Rais fut un aberré des sens génésiques, un virtuose en douleurs et en meurtres, il faut avouer qu'il se distingue des plus fastueux des criminels, des plus délirants des sadiques, par un détail qui semble extrahumain, tant il est horrible!