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– Favraut! Favraut! s’écria Judex en un élan d’emportement magnifique, vous ne voyez donc pas que cette femme sue le mensonge par tous les pores et qu’elle ne respire que le crime?

Et s’adressant à Moralès, il poursuivit avec véhémence:

– Et, toi, malheureux, toi qui sais… toi que j’ai vu pleurer de remords et de honte dans les bras de ton père… toi qui lui as tant juré devant moi que tu voulais redevenir un honnête homme, et qui as été assez insensé pour retomber au pouvoir de cette femme… non, il ne se peut pas que tu ne m’aides pas à faire triompher la vérité contre le mensonge… Il ne se peut pas que, dégringolant jusqu’au dernier échelon du crime, tu demeures plus longtemps le complice ou plutôt l’instrument aveugle d’une misérable qui va te conduire à l’échafaud!

À ces mots, Moralès avait blêmi… Était-ce de colère ou de honte?

Judex n’eut pas le temps de le constater…

Diana, tirant de sa poche un sifflet, en tira un son aigu et prolongé, et, avant que Judex ait eu le temps de se mettre sur la défensive, Martelli et deux matelots aux figures de bandits faisaient irruption dans la cabine et, se jetant traîtreusement sur Jacques de Trémeuse, le ligotèrent, le bâillonnèrent… puis l’attachèrent solidement – après lui avoir mis un épais bandeau noir sur la figure -, au pilier central qui soutenait le toit de la cabine.

Alors, entraînant Favraut, Diana, après avoir adressé un signe mystérieux au capitaine du brick-goélette, remonta sur le pont…

– Eh bien… que vous disais-je? fit-elle au banquier…

Et, avant d’entendre sa réponse, elle martela:

– Croyez-vous que j’avais raison!… Cet homme est le démon incarné… Mais maintenant qu’il est en notre pouvoir, rien ne pourra l’en arracher… et nous lui ferons subir à notre tour, et au centuple, toutes les souffrances qu’il vous a fait endurer.

– Diana!… Diana! s’écria le père de Jacqueline, entièrement dominé par la diabolique ensorceleuse.

Mais il ne put continuer… Brisé par l’émotion, il chancela… puis, s’appuyant au bastingage, il murmura:

– Je me demande si je ne rêve pas… et si je ne vais pas m’éveiller tout à coup dans cet atroce cachot… où j’ai failli devenir fou… Ah! Diana… c’est atroce… atroce!

– Allez vous reposer, mon ami… Dormez tranquillement; votre réveil ne sera troublé par aucune surprise fâcheuse. Loin de là! Vous trouverez votre amie à votre chevet, vous souriant de toute sa pensée affectueuse… de tout son dévouement sans limites.

Et lui montrant les matelots qui, sous la direction du capitaine, commençaient à larguer les voiles… et se livraient à différentes manœuvres annonciatrices d’un prochain départ, elle fit de cette voix enveloppante sous laquelle elle savait si bien dissimuler son insondable perversité:

– Nous allons emmener Judex à quelques milles d’ici… en pleine mer… où nous pourrons, en toute sécurité, régler avec lui définitivement nos comptes. Nous reviendrons ensuite chercher votre fille et votre petit-fils. Allez, mon ami… allez… Puisse cette nuit être la plus douce de votre existence… puisqu’elle sera le prélude du bonheur sans mélange que je vous prépare et que vous aussi vous allez me donner!

De ses lèvres tremblantes, le banquier effleura le front de Diana, qui, doucement, l’emmena jusqu’à sa cabine… en le laissant, sur le seuil, lui prendre encore un hésitant baiser.

Alors… remontant sur le pont, elle murmura, atrocement cynique:

– Allons, tout va bien!… Et nous allons pouvoir travailler tranquilles!

Et, se heurtant à Moralès, qui la guettait caché derrière un tas de caisses vides, elle fit rudement:

– Qu’est-ce que tu fais là, toi?

– J’attendais.

– Quoi?

– Que tu aies fini de roucouler ton duo d’amour avec Favraut.

– Je te dispense de ces plaisanteries stupides… Tu connais le but que nous poursuivons… nous devons l’atteindre par tous les moyens… Par conséquent… tais-toi…

– Je ne dis rien.

– Mais tu n’en penses pas moins!

– Cependant, Diana, je crois que je t’ai bien secondée dans toute cette affaire et que, cette fois-ci, tu n’auras pas de reproches à m’adresser.

– Je reconnais que tu n’as pas été trop mal…, admettait l’aventurière.

– Enfin.

– Pourtant, tout à l’heure, lorsque Judex t’a parlé de ton père… tu as encore pâli… et tu t’es mis à trembler à un tel point que j’ai cru que tu allais flancher encore… Aussi je me demande…

– Quoi?…

– Rien!

– Dis, au contraire.

– Eh bien, je me demande si tout à l’heure tu auras le courage de balancer par-dessus bord ce Judex exécré.

– Judex l’a dit, Diana… tu me conduiras…

– À l’échafaud!…

– Non, en enfer.

– Pas de grands mots, mon petit Mora… Puis-je compter sur toi?

– Tu le sais bien.

– Alors, je t’aime!

Un baiser infâme scella ce pacte suprême… tandis que l’Aiglon appareillait dans la nuit.

*
* *

De la terre, divers témoins suivaient, à la clarté de la lune qui s’était assez rapidement dégagée des nuages, les évolutions du navire qui commençait à s’éloigner lentement.

C’était d’abord Cocantin, qui, demeuré sur la jetée, avait vu Miss Daisy Torp exécuter son plongeon magistral, et s’éloigner ensuite, nageuse intrépide, dans la direction du brick-goélette.

Jamais, comme en ce moment, Cocantin n’avait regretté de ne pas savoir nager.

Et, songeant aux joies qu’il eût éprouvées en accompagnant sa bien-aimée dans son raid nautique, et en partageant les dangers que la jolie Américaine n’allait pas manquer de courir, il se lamentait:

– Décidément… c’est idiot… À quoi pensent les parents de ne pas apprendre à nager à leurs enfants! On ne devrait accorder aucun diplôme à quiconque ne sait pas nager. On devrait rayer des listes électorales quiconque ne sait pas nager. On devrait faire payer un impôt de cinq cents francs par an à quiconque ne sait pas nager.

Et Cocantin, se montant, ne cessait de répéter, en brandissant avec désespoir le chapeau, le manteau et les souliers de miss Daisy:

– Ne sait pas nager!… Ne sait pas nager!

Et, tout à coup, une question se posa à son esprit bouleversé: