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– Que le bon Dieu vous entende! fit Marianne.

Et comme Roger regagnait sa voiture, le môme Réglisse, implora:

– M’sieu, emmenez-moi avec vous pour retrouver le gosse!

Le frère de Judex considéra un instant le petit bonhomme… Puis, il décida:

– Si tes parents y consentent… soit!

– Mais oui, mon bon monsieur, acceptait le papa Julien.

– Surtout donnez-nous vite des nouvelles, fit Marianne.

– Dans vingt-quatre heures nous serons fixés, fit Roger, qui, après avoir installé le môme dans la voiture, s’assit près de lui et donna l’ordre à son wattman de le conduire à l’élégante garçonnière qu’il possédait, rue du Cirque, tout près des Champs-Élysées.

Sans perdre un seul instant, Roger se mit en campagne… Il s’agissait avant tout de retrouver la piste de Diana et d’Amaury. À son vif désappointement, il apprit que depuis plusieurs jours ni l’un ni l’autre n’avaient reparu chez eux…

Comment les rejoindre?

Roger qui, malgré tous ses efforts, n’avait découvert aucun indice capable de le mettre sur la piste des bandits, se demandait avec une anxiété douloureuse ce qu’avait bien pu devenir le pauvre petit Jean… nouvel otage entre les mains de cette misérable femme, capable des crimes les plus abominables…

Car il ne doutait pas un seul instant que l’aventurière ne se servît de cet innocent comme d’un puissant instrument de chantage, pour se défendre et au besoin pour attaquer!

Après une nuit d’angoisse et d’insomnie, Roger, qui se préparait à mener son enquête de la façon la plus sérieuse, prenait son premier déjeuner en face du môme Réglisse et s’apprêtait à lui faire recommencer le récit de l’enlèvement de son petit camarade, lorsqu’un valet de chambre apporta les journaux…

Roger, distrait se mit à les parcourir, et il allait les abandonner, lorsque son attention fut attirée par l’annonce suivante:

JUDEX

Si vous désirez des nouvelles de l’enfant,

adressez-vous à l’Agence Céléritas,

135, rue Milton. Central 86-45.

– Cette fois, se dit-il, je tiens quelque chose…

Puis après avoir examiné le môme Réglisse qui, après avoir pris une cigarette dans une boîte, l’avait délibérément allumée et la fumait avec une satisfaction évidente, il murmura:

– Hé parbleu, oui, c’est cela!… il avait raison, ce petit, de venir avec moi… Décidément, je vois qu’il va m’être très utile…

Et s’emparant d’un appareil téléphonique, Roger demanda aussitôt la communication avec l’agence.

– Allô… allô… c’est vous, Céléritas… Monsieur Cocantin… très bien… C’est Judex qui vous téléphone… parfaitement, Judex.

Une exclamation effarée dut certainement vibrer dans le récepteur, car Roger eut un léger sourire d’ironie. Puis il reprit sur un ton qui n’allait pas sans une certaine solennité mystérieuse:

– Allô… monsieur Cocantin… Allô!… Vous êtes toujours là? Oui… Eh bien Judex sera chez vous aujourd’hui à quatre heures.

Coiffé d’un chapeau de gendarme en papier, Cocantin était en train de jouer au cheval fondu avec Jeannot, lorsque Diana et Amaury apparurent dans son bureau.

Un peu confus de se trouver surpris dans cette posture, Cocantin renvoya doucement le petit Jean dans une pièce voisine; puis, prenant un air grave et compassé, il annonça à ses redoutables clients:

– J’ai l’honneur de vous annoncer que j’ai reçu un coup de téléphone de Judex.

– Ah! ah! firent simultanément les deux associés… Et que vous a-t-il dit?

– Qu’il serait ici à quatre heures.

– Diable! constata Amaury, il n’y a pas un instant à perdre.

Et, sonnant délibérément le garçon de bureau, il l’envoya sur un ton péremptoire faire une course à l’autre bout de Paris.

– Qu’est-ce que cela veut dire? protestait Cocantin. Je suppose que vous n’avez pas l’intention de… d’organiser un guet-apens chez moi?

– Voyons, cher ami…, calmait perfidement l’aventurière, rappelez-vous ce que je vous ai dit.

– Je ne prends conseil que de ma conscience.

– Allons, Cocantin, ne parlez pas des absents, raillait Amaury… Maintenant, d’ailleurs, il est trop tard pour reculer… il faut être avec nous ou contre nous… Décidez!…

– Il est avec nous, ce cher Prosper, minaudait l’ancienne institutrice.

Mais, cette fois, Cocantin semblait s’être cuirassé de vertu, et peut-être Napoléon allait-il reprendre sa revanche sur la femme, lorsqu’un coup léger, discret, retentit à la porte du cabinet.

– C’est lui! firent les deux complices, persuadés que Judex, après avoir vu sur la porte l’inscription: Entrez sans sonner, avait pénétré dans l’antichambre et, n’y trouvant pas de garçon, s’annonçait lui-même au détective.

– Entrez! fit Cocantin d’une voix blanche… tandis que d’un seul bond Diana et Amaury, sortant chacun un revolver de leur poche, s’embusquaient de chaque côté de la porte.

Cette fois, Cocantin, complètement terrorisé, s’abattit sur son fauteuil.

Lentement, la porte s’ouvrit… livrant passage à un petit bonhomme haut comme trois crêpes et portant une large enveloppe à la main.

Sans s’inquiéter du cri de déception et de rage que poussaient les deux complices, le môme Réglisse, un sourire malicieux aux lèvres, demandait:

– Monsieur Cocantin, s’il vous plaît?

– C’est moi… mon petit… garçon, bégayait le détective.

– Voici une lettre pour vous.

Et le directeur de l’Agence Céléritas lut d’une voix que l’émotion assourdissait:

Monsieur Cocantin,

Judex est méfiant. Rien ne lui prouve que l’enfant qu’il cherche est bien entre vos mains. Que cet enfant se montre au balcon de votre appartement, que je le voie; et, quelques minutes après, je viendrai négocier son rachat.

JUDEX.

En proie à une violente colère… Diana et Amaury menaçaient de se précipiter sur le jeune messager qui, d’ailleurs, les narguait avec la plus insolente bravoure.

Sans doute, dans leur fureur, allaient-ils le brutaliser; mais Cocantin, faisant appel à toute son énergie, avait saisi l’enfant et clamait:

– Je vous défends d’y toucher!

Et avant que ses deux clients, démontés par cet excès d’audace inattendu, aient eu le temps de protester, Prosper, empoignant le môme Réglisse, le faisait disparaître dans la chambre où se trouvait déjà le fils de Jacqueline… Enhardi par ce premier coup de force, il revenait à Diana et Amaury et leur lançait la phrase classique qui revient dans tous les importants mélodrames: