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– Maintenant, mon père… je suis tranquille… Le justicier peut venir… je l’attends!…

Judex venait à peine d’arriver au Château-Rouge… et d’apprendre à son frère que, croyant avoir découvert une piste, il allait s’élancer à la poursuite du ravisseur de Jacqueline, lorsque la sonnerie du téléphone retentit.

– Allô… allô! disait la voix de Kerjean… Venez vite au moulin des Sablons, vous y trouverez la fille de Favraut.

Telle était la communication sensationnelle que le bagnard envoyait à son maître.

Judex eut dans les yeux un rayonnement d’allégresse.

Prudemment, au lieu de demander des détails, il raccrocha le récepteur.

– Je me doutais bien, fit-il, que cette malheureuse n’était pas loin d’ici… Marie Verdier… parbleu… connaît ce moulin.

Et reconstituant tout de suite, avec sa lumineuse intelligence, le drame tel qu’il s’était déroulé, tandis que l’indignation la plus terrible se lisait sur son visage, il ajouta:

– Cette femme et son complice, résolus à l’assassiner, l’auront transportée là, afin de se débarrasser plus facilement de son cadavre… Les misérables! j’espère bien que cette fois ils ne m’échapperont pas!… Et ce brave Kerjean!… Sans lui, je serais peut-être arrivé trop tard! Ah! frère, vois-tu, cela porte bonheur d’être généreux! Mais je pars. Car il n’y a pas une minute à perdre et j’ai hâte…

– De la revoir, fit Roger.

– Peut-être!…

Judex, après avoir serré fiévreusement la main de Roger, quitta les souterrains et gagna la Seine… Montant dans un rapide canot automobile, amarré à un ponton au bord de la rive, il mit lui-même le moteur en marche et partit, descendant la Seine dans la direction du moulin des Sablons… dont il n’était éloigné que de quelques kilomètres.

L’embarcation, que Judex conduisait avec beaucoup d’aisance, glissait rapidement sur le fleuve… au milieu de cet admirable paysage qu’offre l’une des plus belles vallées de France.

Le justicier songeait:

– Voilà déjà deux fois que Jacqueline manque d’être assassinée et qu’elle est sauvée, la première fois par des enfants, la seconde par un vieillard… et non point parce que je l’ai voulu, mais parce que le hasard s’en est mêlé. Cette fois, j’y suis bien décidé, quoi qu’il arrive… c’est moi, et moi seul qui veillerai sur Jacqueline.

Lorsqu’au lointain le vieux moulin lui apparut dans tout le rayonnement d’un beau soleil d’été, Judex… sentit son cœur battre à la fois d’inquiétude et d’espérance… Vite, il sauta à terre… amarra son canot à un arbre… et courut au moulin, où Kerjean l’attendait avec impatience.

Tout de suite, il se précipita vers Jacqueline… sans même apercevoir Moralès qui, dans une attitude toute d’effacement craintif et douloureux, s’était retiré dans l’angle le plus obscur de la pièce; puis il approcha de la jeune femme un flacon en argent ciselé qui contenait un puissant révulsif… Bientôt, une légère coloration se répandit sur le visage de l’infortunée… dont la respiration se fit à la fois plus forte et plus régulière. Ses lèvres s’agitèrent d’un imperceptible frémissement… ses paupières s’entrouvrirent, et ses yeux tout hagards errèrent lentement autour d’elle.

Eut-elle le temps d’apercevoir Judex qui, penché au-dessus d’elle, guettait avec une anxiété aiguë son retour à l’existence?… En tout cas, cette image dut certainement s’estomper aussitôt dans la brume qui enveloppait sa pensée encore engourdie…

Cependant, elle dut avoir l’intuition que c’était un protecteur, un ami qui était auprès d’elle, car ses traits contractés se détendirent en une expression de sérénité… et lentement, ses yeux se refermèrent, non plus cette fois sur la mort… mais sur la vie.

– Nous allons l’emporter tout de suite, fit Judex en s’adressant à Kerjean…

Mais, apercevant Moralès, sur lequel la vue du mystérieux personnage avait produit une impression intense, il fit d’un ton d’autorité menaçante:

– C’est vous, n’est-ce pas, qui avez enlevé cette jeune femme?

Moralès, courbant le front, avouait:

– Oui, c’est moi.

– Bandit!

Mais Kerjean, se plaçant devant lui, révélait sur un ton de telle amertume que le bras vengeur du justicier s’arrêta:

– C’est mon fils. C’est mon fils… qu’une mauvaise femme a entraîné au bord de l’abîme, mais qui s’est ressaisi à temps! J’ajouterai que, honteux de ses crimes, et repentant de ses fautes, il s’est jeté à genoux pour implorer de moi un pardon que je n’ai pas cru devoir lui refuser et qu’enfin il m’a donné une preuve de sa sincérité, en restant à veiller sur cette malheureuse et empêchant cette gueuse qu’est Diana Monti de s’enfuir.

– Où est-elle? interrogeait âprement Judex tout en dévisageant de son regard scrutateur Moralès qui avait tout de suite compris qu’il était en face d’une de ces forces auxquelles rien ne résiste.

Désignant la porte du grenier, Robert Kerjean répliqua:

– Elle est là!

Comme Judex poussait le verrou, Moralès prévint:

– Prenez garde! Elle est armée; et, pour se défendre, elle est capable de tout.

Judex eut un sourire dédaigneux… et calme, impassible, ouvrit la porte.

Le grenier était vide.

Diana avait disparu.

*
* *

Comment l’aventurière avait-elle réussi à s’évader de ce grenier où elle semblait prise comme dans une souricière?

Il fallait pour cela, toute son audace et toute sa hardiesse, décuplées par son ardent désir d’échapper à ce justicier dont elle avait entendu le vieux Kerjean annoncer la prochaine venue.

Comprenant qu’elle ne parviendrait pas à attendrir Moralès, Diana, avec une rapidité qui montrait de quel esprit de décision elle était douée, en même temps qu’elle envisageait la situation, en avait trouvé le dénouement.

Aucun autre moyen d’évasion ne s’offrait à elle que la trappe.

Certes, elle risquait fort de se briser les os ou de se noyer.

Mais la partie valait la peine qu’on la jouât.

Souple comme une panthère en même temps qu’excellente nageuse, le double danger qu’elle allait courir n’était nullement fait pour l’arrêter. Elle n’eut même pas une hésitation. Du moment qu’elle avait pris son parti, elle ne songea plus qu’à s’exécuter… Tout en continuant à geindre et à sangloter, feignant même dans la force de son désespoir de se laisser tomber à terre, l’aventurière commença à enlever ses vêtements, gardant seulement un maillot de corps qu’elle avait l’habitude de porter et qui allait, en l’occurrence, remplacer à merveille le classique costume de bain.