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– Quelle est cette infortunée? demanda Gisèle, avec un accent de pitié infinie.

– Jeanne Bertin…, laissa échapper le ravisseur en baissant la tête.

– Oh! c’est horrible! s’exclama Gisèle en un sanglot… cette pauvre créature si douce, si bonne!… Frère, qu’as-tu fait là?

– Tu vois bien que je suis un misérable! reprit César, qui ajouta… bouleversé à la vue de l’abîme qui s’ouvrait devant lui: Maintenant que je t’ai tout dit… conseille-moi… Je ne sais plus, moi… j’ai peur de devenir fou… Tout à l’heure, quand tu es entrée, je me demandais si je ne devais pas me tuer… oui, me tuer!

– Frère, ne parle pas ainsi… Tu dois vivre pour réparer, pour racheter…

– Je suis prêt à tout pour cela! Mais… quelle honte pour moi, si je suis obligé d’étaler mon infamie devant un étranger!… Où aller?… À qui m’adresser? Parmi nos amis, quel est l’homme assez sûr pour recevoir mes confidences… et assez fort pour m’aider à venir à bout de ces malfaiteurs?… Moi, je n’en vois pas.

– Et moi, j’en vois un! riposta énergiquement Gisèle.

– Qui donc?

– Notre père!

– Notre père! frémit César… Il est le dernier auquel je devrais m’adresser.

– Il est le seul qui puisse encore te secourir.

– Il me chassera!

– Il te sauvera… Viens!

*
* *

Lorsque le duc de Birargues vit entrer ses deux enfants dans son cabinet de travail, tout de suite, à la physionomie bouleversée de Gisèle et à l’attitude déprimée de César, il comprit que celui-ci avait commis quelque méfait et que, conseillé par sa sœur, il venait implorer sa pitié. Mais il était loin de soupçonner que son fils s’était rendu coupable d’un acte aussi inqualifiable et qu’en ce moment son honneur et celui des siens était à la merci de deux maîtres chanteurs de la pire espèce.

Le duc de Birargues était la noblesse même. Son existence n’était pas seulement celle d’un homme de bien, il en avait aussi consacré une grande partie à l’étude des questions sociales importantes de notre temps. Ses belles qualités naturelles s’en étaient enrichies d’une grande hauteur de vue, d’une sincère humanité et d’un parfait esprit de justice. S’il était fier de son titre et de son rang, c’était uniquement parce qu’il avait le droit de s’en estimer digne.

Toujours très maître de lui, il regarda successivement César avec sévérité et Gisèle avec tendresse. Puis il attaqua:

– Monsieur mon fils a encore fait des siennes et veut faire plaider sa cause par sa sœur… Je vous avertis, monsieur, que c’est la dernière fois que je vous viens en aide. J’en ai assez… Combien vous faut-il?

César, se jetant aux pieds de M. de Birargues, bégaya d’une voix étouffée:

– Mon père… pardonnez-moi.

– Sauvez-le, supplia Gisèle.

À ces mots, saisi de la plus poignante inquiétude, le duc de Birargues s’était dressé d’un seul mouvement.

– Monsieur, ordonna-t-il à son fils… Relevez-vous et parlez… Je vous l’ordonne!

César, vibrant de la plus terrible émotion et du plus ardent repentir, fit à son père le récit de l’horrible aventure.

Le duc de Birargues eut la force admirable d’écouter son fils jusqu’au bout, sans l’interrompre et sans laisser apparaître sur son visage un autre sentiment que celui de la douleur.

Quand César eut terminé, il reprit, sur un ton d’autorité vraiment souveraine:

– Où se trouve Mme Bertin?

Le front bas et n’osant regarder son père en face, César répondit:

– À Chevilly-sur-Seine… Villa Brossard… sur la route de Médan à Vernouillet.

– Bien… Cela me suffit.

Puis, dominant sa colère, le duc de Birargues poursuivit, avec un accent de dignité incomparable:

– J’ose espérer, monsieur, que vous tiendrez à réparer par une conduite exemplaire l’acte abominable que vous avez commis. Votre tort a été de croire que votre naissance et votre fortune vous donnaient tous les droits… lorsque, au contraire, elles vous imposent tous les devoirs… Plus on est haut, monsieur, moins on doit chercher à descendre… Plus on doit, au contraire, s’efforcer de se grandir… Car le seul moyen de se faire pardonner le bonheur que l’on n’a pas conquis soi-même est de le faire servir à celui de son prochain… Si les nôtres avaient toujours mis cette maxime en pratique, peut-être eût-on moins guillotiné d’aristocrates sous la Révolution et peut-être aussi occuperions-nous une autre place dans le monde et dans l’État!

«Vous me dites que votre sœur vous a conseillé de vous adresser à moi… Elle a bien fait… Car seul, je suis en pouvoir d’éviter un scandale qui rejaillirait sur toute notre famille. J’ajouterai que tout ceci restera entre nous… Votre mère, elle-même, ignorera votre conduite… et je m’efforcerai même d’en effacer peu à peu en moi le souvenir. Quant à vous, monsieur, vous allez quitter cette maison et partir pour notre terre des Cévennes où vous attendrez mes ordres… Là, face à face avec votre conscience, vous pourrez mesurer la profondeur de l’abîme où vous avez failli tomber. Et vous vous rappellerez notre devise: Aut honor aut nihil. L’honneur… ou rien.

«Maintenant, retirez-vous, monsieur. Je vous ai parlé comme on se le doit entre gentilshommes. Prouvez-moi par votre obéissance et votre respect que vous êtes encore mon fils! Allez!

– Mon père, reprenait César… Je n’ose vous exprimer ma reconnaissance infinie… Car je sais que je n’ai pas le droit de rien ajouter aux paroles que vous venez de prononcer. Cependant laissez-moi vous dire un mot, un seul…

– Parlez!

– Cette jeune femme?

Alors… le duc de Birargues fit avec une simplicité admirable qui acheva de bouleverser le jeune marquis:

– C’est moi seul, maintenant qui ai le droit de la sauver!