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VII LES DEUX FIGEONS

– Dites papa Julien, quand est-ce dimanche?

– Dans quatre jours, mon enfant.

– Et avant, je ne verrai pas maman?…

– Hé, non… mon petit Jeannot.

– Pourquoi ne vient-elle pas plus tôt?

– Parce qu’elle travaille, la pauvre chère dame!

– Oui… mais vous, pourquoi ne m’emmenez-vous pas la voir?

Et le brave père Bontemps qui était en train de remplir de choux une voiture de maraîcher, expliquait avec un accent de bonhomie affectueuse:

– Nous aussi, mon mignon, nous avons beaucoup d’ouvrage… Mais ne vous tourmentez pas, quatre jours, c’est vite passé.

– Quatre jours! quatre jours! répétait le bambin, en comptant sur ses doigts.

Et il ajouta, tandis que deux grosses larmes, voilaient ses beaux yeux si doux:

– Pauv’petite maman chérie!

Tout le restant de l’après-midi, malgré les efforts répétés de Bontemps et de sa fille pour l’égayer, Jeannot demeura triste. Ce ne fut qu’au moment d’aller se coucher que sa physionomie reprit son expression de joie enfantine; et lorsque après l’avoir bordé maternellement, puis tendrement embrassé, Marianne se retira chez elle, le regard de Jeannot se remplit d’une expression de satisfaction malicieuse et presque provocante. Puis le petit, fermant les yeux, parut s’endormir presque aussitôt, au lumignon d’une veilleuse qui répandait autour d’elle une discrète et rassurante clarté.

Or, M. Jeannot était parfaitement éveillé… L’oreille aux aguets, il entendit chaque bruit de la maison s’éteindre peu à peu; et lorsque autour de lui tout devint silencieux, il se dressa sur son séant, demeura un instant immobile; puis, se glissant hors de son lit, marchant sur la pointe des pieds, il s’en fut coller son oreille à la porte qui faisait communiquer sa chambre avec celle de Marianne.

Rassuré sans doute, il s’habilla entièrement, évitant avec soin de déranger inutilement les objets et de heurter imprudemment les meubles; puis, marchant à pas de loup, il descendit au rez-de-chaussée, pénétra dans la cuisine dont il ouvrit la fenêtre avec les précautions les plus minutieuses, sauta dans la cour, se dirigea tout droit vers la voiture du maraîcher qu’il escalada non sans peine, disparut aussitôt au milieu des énormes choux qui allaient lui procurer la plus sûre des cachettes, s’y installa, s’y cala, avec le calme et le sang-froid de quelqu’un qui sait très bien ce qu’il fait et où il va… et lorsque, vers une heure du matin, le père Mathieu, un cultivateur du pays qui conduisait la charrette aux Halles, partit comme chaque nuit pour la capitale, il ne se douta pas, un seul instant, qu’il emmenait avec lui, enfoui sous un tas de légumes, un garçonnet de cinq ans paisiblement endormi, et rêvant à sa maman.

Le maraîcher arriva vers l’aube aux portes de la ville. Après avoir franchi les fortifications, il s’arrêta à proximité d’un marchand de vins où il pénétra aussitôt pour y boire un coup en cassant la croûte.

À peine eut-il disparu, qu’un de ces types de gamins de Paris, nichant on ne sait où et vivant on ne sait de quoi, haut comme une botte, vêtu d’un vieux paletot déchiré, une musette de toile en bandoulière, et coiffé d’un énorme melon gris qui lui entrait jusqu’aux oreilles, s’en vint rôder autour de la charrette. Constatant bientôt que la rue était déserte, brusquement, il s’empara du plus beau chou qui s’offrait à lui, et il se préparait à s’enfuir avec son butin, lorsqu’un cri lui échappa… Un bel enfant blond venait de lui apparaître.

– Mince, alors! s’écria-t-il. On m’avait bien dit que les gosses venaient dans les choux… Mais j’aurais jamais cru ça!

Et tout de suite, d’un air important, il demanda à Jeannot:

– Quèque tu fais-là, le Momignard?

– Je viens voir ma maman…, répliqua aussitôt le petit Jean…

– Dans c’te carriole? reprenait le gosse à la musette.

– Je me suis sauvé cette nuit de la campagne.

– T’as donc pas le moyen de prendre le train?

– Non… et puis mes parents nourriciers, ils ne m’auraient pas laissé m’en aller tout seul à Paris.

– Alors, tu t’es trotté?

– Je m’ennuyais trop sans maman!

– Comment c’est-y que tu t’appelles?

– Jean… et toi?

– Le môme Réglisse.

– Le môme comment?

– Réglisse, quoi! C’est ceux du quartier qui m’ont donné ce nom-là, rapport que je suis noir comme une taupe… Et puis, c’est pas tout ça, mon vieux, s’agit de pas rester là et de te débiner en douce… car si un flic nous voyait là, il serait capable de nous demander not’livret militaire ou not’quittance de loyer! Allez, ouste!

Après avoir aidé Jeannot à descendre de la charrette, le môme Réglisse le prit par la main et l’entraîna rapidement jusqu’au fond d’un terrain vague; et, tout de suite, il lui demanda:

– Où c’est-y qu’elle demeure, ta mère?

– Je ne me rappelle pas… Mais tu sais lire?

– Un p’tit peu… pas beaucoup, et toi?

– Je connais mes lettres.

Et Jeannot sortit de sous son gilet le message de sa mère, qu’il avait gardé précieusement sur lui… Assis côte à côte, penchés vers le papier dont ils tenaient un bout chacun, tous deux se mirent à épeler chaque mot, s’entraidant de leurs mutuelles lumières.

Mon enfant chéri,

J’ai été bien contente d’apprendre que tu étais bien sage. Aussi, pour te récompenser, je viendrai passer mon prochain dimanche avec toi et tes bons parents nourriciers, auxquels tu feras toutes mes amitiés. Voici le nom sous lequel je suis connue, et mon adresse: Madame Jeanne Bertin, chez Mme Chapuis, 10, passage Saint-Ferdinand, Neuilly-sur-Seine.

– Neuilly! Neuilly! répétait le môme Réglisse après un travail de déchiffrage qui n’avait pas duré moins d’une demi-heure. C’est pas la porte en face, mon colon. Ici, on est à la Villette. S ’agit donc de traverser presque tout Paris. As-tu du pognon?

– Du pognon?

– De l’argent, quoi?

Jeannot fouilla dans sa poche et en tira triomphalement une pièce de deux sous.

– C’est pas «besef», constatait le môme Réglisse. Avec ça, pas mèche de se payer le tram, ni même le métro… et encore moins un taxi… Te v’là frais, mon pauv’lapin.

Jeannot, tout désemparé, se mit à pleurer.

– Chiâle pas comme ça mon gosse…, fit son compagnon… C’est moi qui vais te conduire auprès de ta maman.