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– Oh! parfaitement.

– Voulez-vous me suivre chez moi, le pouvez-vous?

– Je le puis, si vous voulez me conduire par la pensée.

– Venez.

– Ah! dit Andrée, nous entrons dans Paris, nous suivons le boulevard, nous nous enfonçons dans une rue qui n’est éclairée que par une seule lanterne.

– C’est cela: entrons, entrons.

– Nous sommes dans une antichambre. Il y a un escalier à droite; mais vous m’entraînez vers le mur: le mur s’ouvre; des degrés se présentent…

– Montez! montez! s’écria Balsamo, c’est notre chemin.

– Ah! nous voici dans une chambre; il y a des peaux de lion, des armes. Tiens, la plaque de la cheminée s’ouvre.

– Passons; où êtes-vous?

– Dans une chambre singulière, dans une chambre sans issues, dont les fenêtres sont grillées; oh! comme tout est en désordre dans cette chambre!

– Mais, vide, vide, n’est-ce pas?

– Vide.

– Pouvez-vous voir la personne qui l’habitait?

– Oui, si l’on me donne un objet qui l’ait touchée, qui vienne d’elle ou qui lui appartienne.

– Tenez; voici de ses cheveux.

Andrée prit les cheveux et les approcha de sa personne.

– Oh! je la reconnais, dit-elle, j’ai déjà vu cette femme; elle fuyait vers Paris.

– C’est cela, c’est cela; pouvez-vous me dire ce qu’elle a fait depuis deux heures et comment elle s’est enfuie?

– Attendez, attendez; oui: elle est couchée sur un sofa; elle a la poitrine à moitié nue, avec une blessure au-dessous du sein.

– Voyez, Andrée, voyez, ne la quittez plus.

– Elle était endormie; elle se réveille; elle cherche autour d’elle; elle tire un mouchoir; elle monte sur une chaise; elle attache le mouchoir aux barreaux de sa fenêtre. Oh! mon Dieu!

– Elle veut donc mourir réellement?

– Oh! oui, elle est décidée. Mais cette mort l’épouvante. Elle laisse le mouchoir attaché aux barreaux. Descends, ah! pauvre femme!

– Quoi?

– Oh! comme elle pleure! Comme elle souffre! Comme elle se tord les bras; elle cherche un angle de muraille où se briser le front.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura Balsamo.

– Oh! elle s’élance contre la cheminée. La cheminée représente deux lions de marbre; elle va se briser le front contre la tête du lion.

– Après?… après?… Voyez, Andrée, voyez, je le veux!

– Elle s’arrête.

Balsamo respira.

– Elle regarde.

– Que regarde-t-elle? demanda Balsamo.

– Elle a aperçu du sang sur l’œil du lion.

– Mon Dieu! mon Dieu! murmura Balsamo.

– Oui, du sang, et cependant elle ne s’est pas frappée. Oh! c’est étrange! ce sang n’est pas le sien, c’est le vôtre.

– Ce sang est le mien! s’écria Balsamo, ivre d’égarement.

– Oui, le vôtre, le vôtre! Vous vous êtes coupé les doigts avec un couteau, avec un poignard, et vous avez appuyé votre doigt ensanglanté sur l’œil du lion. Je vous vois.

– C’est vrai, c’est vrai… Mais comment s’enfuit-elle?

– Attendez, attendez, je la vois examiner ce sang, réfléchir, puis appuyer son doigt où vous avez appuyé le vôtre. Ah! l’œil du lion cède, un ressort agit. La plaque de la cheminée s’ouvre.

– Imprudent! s’écrie Balsamo; malheureux imprudent! malheureux fou que je suis! Je me suis trahi moi-même… Et elle sort? continua Balsamo, elle fuit?

– Oh! il faut lui pardonner, à la pauvre femme; elle était bien malheureuse.

– Où est-elle? Où va-t-elle? Suivez-la, Andrée, je le veux!

– Attendez, elle s’arrête un instant dans la chambre aux armes et aux fourrures; une armoire est ouverte; une cassette ordinairement enfermée dans cette armoire est posée sur une table. Elle reconnaît la cassette et la prend.

– Que contient cette cassette?

– Vos papiers, je crois.

– Comment est-elle?

– Recouverte de velours bleu avec des clous d’argent, des fermoirs d’argent, une serrure d’argent.

– Oh! dit Balsamo frappant du pied avec colère, c’est donc elle qui a pris cette cassette?

– Oui, oui, c’est elle. Elle descend l’escalier qui donne dans l’antichambre, elle ouvre la porte, elle tire la chaîne qui fait ouvrir la porte de la rue, elle sort.

– Est-il bien tard?

– Il doit être tard, car il fait nuit.

– Tant mieux! elle sera partie peu de temps avant mon retour, et j’aurai le temps de la rejoindre peut-être; suivez-la, suivez-la, Andrée.

– Une fois hors de la maison, elle court comme une folle; comme une folle, elle gagne le boulevard… Elle court… elle court, sans s’arrêter.

– De quel côté?

– Du côté de la Bastille.

– Vous la voyez toujours?

– Oui, elle est comme une insensée; elle se heurte aux passants. Elle s’arrête enfin, elle cherche à savoir où elle est… Elle interroge.

– Que dit-elle? Écoutez, Andrée, écoutez, et, au nom du Ciel, ne perdez pas une de ses paroles. Vous avez dit qu’elle interrogeait?

– Oui, un homme vêtu de noir.

– Que lui demande-t-elle?

– Elle lui demande l’adresse du lieutenant de police.

– Oh! ce n’était donc pas une vaine menace. La lui donne-t-on?

– Oui.

– Que fait-elle?

– Elle revient sur ses pas, elle prend une rue qui va en biais; elle passe sur une grande place.

– La place Royale, c’est le chemin. Lisez-vous dans son intention?

– Courez vite, courez vite! elle va vous dénoncer. Si elle arrive avant vous, si elle voit M. de Sartine, vous êtes perdu!

Balsamo poussa un cri terrible, s’élança dans le taillis, franchit une petite porte qu’ouvrit et referma une espèce d’ombre, d’un bond sauta sur son cheval Djérid, qui battait la terre à la porte.

L’animal, aiguillonné à la fois par la voix et par l’éperon, partit comme une flèche dans la direction de Paris, et l’on n’entendit plus que le froissement des pavés sur lesquels il volait.