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Elle s’arrêta pâlissant.

– Eh bien, Lorenza? répéta Balsamo.

– Eh bien, ce que vous faites parfois dans l’intérêt de la science vis-à-vis de malheureux animaux, faites-le vis-à-vis de moi pour obéir aux lois de l’humanité; faites-le pour une amie qui vous bénira de toute son âme, pour une amie qui baisera vos mains avec une reconnaissance infinie, si vous lui accordez ce qu’elle vous demande. Faites-le, Balsamo, pour moi qui suis à vos genoux, pour moi qui vous promets, à mon dernier soupir, plus d’amour et de joie que vous n’en avez fait éclore en moi pendant toute ma vie; pour moi qui vous promets un sourire franc et radieux au moment où je quitterai la terre. Balsamo, par l’âme de votre mère, par le sang de notre Dieu, par tout ce qu’il y a de doux et de solennel, de sacré dans le monde des vivants et dans le monde des morts, je vous en conjure, tuez-moi, tuez-moi!

– Lorenza! s’écria Balsamo en saisissant entre ses bras la jeune femme, qui, à ces derniers mots, s’était levée, Lorenza, tu es en délire; moi, te tuer! toi, mon amour, toi, ma vie!

Lorenza se dégagea des bras de Balsamo par un violent effort et tomba à genoux.

– Je ne me relèverai pas, dit-elle, que tu ne m’aies accordé ma demande. Tue-moi sans secousse, sans douleur, sans agonie; accorde-moi cette grâce, puisque tu dis que tu m’aimes, de m’endormir comme tu m’as endormie souvent; seulement, ôte-moi le réveil, c’est le désespoir.

– Lorenza, mon amie, dit Balsamo, mon Dieu! ne voyez-vous donc point que vous me percez le cœur? Quoi! vous êtes malheureuse à ce point? Voyons, Lorenza, remettez-vous, ne vous abandonnez point au désespoir. Hélas! vous me haïssez donc bien?

– Je hais l’esclavage, la gêne, la solitude; et, puisque c’est vous qui me faites esclave, malheureuse et solitaire, eh bien, oui, je vous hais.

– Mais, moi, je vous aime trop pour vous voir mourir. Lorenza, vous ne mourrez donc pas, et je ferai la cure la plus difficile de toutes celles que j’ai faites, ma Lorenza; je vous ferai aimer la vie.

– Non, non, impossible; vous m’avez fait chérir la mort.

– Lorenza, par pitié, ma Lorenza, je te promets qu’avant peu…

– La mort ou la vie! s’écria la jeune femme, qui s’enivrait graduellement de sa colère. Aujourd’hui est le jour suprême; voulez-vous me donner la mort, c’est-à-dire le repos?

– La vie, ma Lorenza, la vie.

– C’est la liberté alors.

Balsamo garda le silence.

– Alors, la mort, la douce mort par un philtre, par un coup d’aiguille, la mort pendant le sommeil: le repos! le repos! le repos!

– La vie et la patience, Lorenza.

Lorenza poussa un éclat de rire terrible, et faisant un bond en arrière, elle tira de sa poitrine un couteau à la lame fine et aiguë qui, pareil à l’éclair, étincela dans sa main.

Balsamo poussa un cri; mais il était trop tard: lorsqu’il s’élança, lorsqu’il atteignit la main, l’arme avait déjà fait son trajet et était retombée sur la poitrine de Lorenza. Balsamo avait été ébloui par l’éclair; il fut aveuglé par la vue du sang.

À son tour, il poussa un cri terrible et saisit Lorenza à bras-le-corps, allant chercher au milieu de sa course l’arme prête à retomber une seconde fois et la saisissant à pleine main.

Lorenza retira le couteau par un violent effort, et la lame tranchante glissa entre les doigts de Balsamo.

Le sang jaillit de sa main mutilée.

Alors, au lieu de continuer la lutte, Balsamo étendit cette main toute sanglante sur la jeune femme et d’une voix irrésistible:

– Dormez, Lorenza, dit-il, dormez, je le veux!

Mais, cette fois, l’irritation était telle, que l’obéissance fut moins prompte que d’habitude.

– Non, non, murmura Lorenza chancelante et cherchant à se frapper encore. Non, je ne dormirai pas!

– Dormez! vous dis-je! s’écria une seconde fois Balsamo en faisant un pas vers elle, dormez, je vous l’ordonne.

Cette fois, la puissance de volonté fut telle chez Balsamo, que toute réaction fut vaincue; Lorenza poussa un soupir, laissa échapper le couteau, chancela et alla rouler sur des coussins.

Ses yeux restaient seuls ouverts, mais le feu sinistre de ses yeux pâlit graduellement et ils se fermèrent. Le cou, crispé, se détendit; la tête se pencha sur l’épaule, comme fait la tête d’un oiseau blessé, un frissonnement nerveux courut par tout son corps. Lorenza était endormie.

Alors seulement Balsamo put écarter les vêtements de Lorenza et sonda sa blessure, qui lui parut légère. Cependant, le sang s’en échappait avec abondance.

Balsamo poussa l’œil du lion, le ressort joua, la plaque s’ouvrit; puis, détachant le contrepoids qui faisait descendre la trappe d’Althotas, il se plaça sur cette trappe et monta dans le laboratoire du vieillard.

– Ah! c’est toi, Acharat? dit celui-ci toujours dans son fauteuil. Tu sais que c’est dans huit jours que j’ai cent ans. Tu sais que, d’ici là, il me faut le sang d’un enfant ou d’une vierge?

Mais Balsamo ne l’écoutait point, il courut à l’armoire où se trouvaient les baumes magiques, saisit une de ces fioles dont il avait tant de fois éprouvé l’efficacité; puis il se replaça sur la trappe, frappa du pied et redescendit.

Althotas fit rouler son fauteuil jusqu’à l’orifice de la trappe, avec l’intention de le saisir par ses vêtements.

– Tu entends, malheureux! lui dit-il; tu entends, si dans huit jours je n’ai pas un enfant ou une vierge pour achever mon élixir, je suis mort.

Balsamo se retourna; les yeux du vieillard semblaient flamboyer au milieu de son visage aux muscles immobiles; on eût dit que les yeux seuls vivaient.

– Oui, oui, répondit Balsamo; oui, sois tranquille, on te donnera ce que tu demandes.

Puis, lâchant le ressort, il fit remonter la trappe qui, ainsi qu’un ornement, alla s’adapter au plafond.

Après quoi, il s’élança dans la chambre de Lorenza, où il était à peine rentré, que la sonnette de Fritz retentit.

– M. de Richelieu, murmura Balsamo; oh! ma foi, tout duc et pair qu’il est, il attendra.