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– En une heure? dit Marat.

– Oui. Voulez-vous me donner cette heure?

– Certainement.

– Où vous verrai-je?

– Maître, c’est à moi d’aller vous trouver au rendez-vous que vous voudrez bien fixer à votre serviteur.

– Eh bien, dit Balsamo, j’irai chez vous.

– Faites attention à l’engagement que vous prenez, maître; j’habite une mansarde, rue des Cordeliers. Une mansarde, vous entendez, dit Marat avec une affectation de simplicité orgueilleuse, avec une fanfaronnade de misère qui n’échappa point à Balsamo, tandis que vous…

– Tandis que moi?

– Tandis que vous, vous habitez, dit-on, un palais.

Celui-ci haussa les épaules, comme ferait un géant qui, du haut de sa taille, mesurerait les colères d’un nain.

– Eh bien, soit, monsieur, répondit-il, j’irai vous voir dans votre mansarde.

– Quand cela, monsieur?

– Demain.

– À quelle heure?

– Le matin.

– C’est qu’au point du jour, je vais à mon amphithéâtre et, de là, à l’hôpital.

– Précisément, c’est ce qu’il me faut. Je vous eusse demandé de m’y conduire si vous ne me l’eussiez pas proposé.

– Vous entendez, de bonne heure. Je dors peu, dit Marat.

– Et moi, je ne dors pas, répondit Balsamo. Ainsi donc, au point du jour.

– Je vous attendrai.

Là-dessus, ils se séparèrent, car ils étaient arrivés à la porte de la rue, aussi sombre et aussi solitaire au moment de leur sortie qu’elle était peuplée et bruyante au moment de leur entrée.

Balsamo prit à gauche et disparut rapidement.

Marat l’imita en tirant à droite avec ses jambes longues et grêles.

Balsamo fut exact: à six heures du matin, il heurtait, le lendemain, à la porte du palier qui, centre d’un long corridor percé de six portes, formait le dernier étage d’une vieille maison de la rue des Cordeliers.

Marat, on le voyait bien, avait tout préparé pour recevoir plus dignement son hôte illustre. Le maigre lit de noyer, la commode à dessus de bois, reluisaient de propreté sous le chiffon de laine d’une femme de ménage, qui s’escrimait à tour de bras sur ces meubles vermoulus.

Marat lui-même prêtait une aide active à cette femme et rafraîchissait dans un petit pot de faïence bleue des fleurs pâles et étiolées, le principal ornement de la mansarde.

Il tenait encore un torchon de toile sous le bras, ce qui indiquait qu’il n’avait touché aux fleurs qu’après avoir donné son coup de main aux meubles.

Comme la clef était à la porte et que Balsamo était entré sans frapper, il surprit Marat dans cette occupation.

Marat, à la vue du maître, rougit beaucoup plus qu’il ne convenait à un stoïcien véritable.

– Vous voyez, monsieur, dit-il en jetant sournoisement derrière un rideau le torchon révélateur, je suis homme de ménage, et j’aide à cette bonne femme. Je choisis l’ouvrage, par exemple, ce qui n’est peut-être pas d’un bon plébéien, mais qui n’est pas non plus tout à fait d’un grand seigneur.

– C’est d’un jeune homme pauvre et qui aime la propreté, dit froidement Balsamo, voilà tout. Êtes-vous bientôt prêt, monsieur? Vous savez que mes moments sont comptés.

– Je passe mon habit, monsieur… Dame Grivette, mon habit… C’est ma portière, monsieur; c’est mon valet de chambre, c’est ma cuisinière, c’est mon intendant, et elle me coûte un écu par mois.

– Je loue l’économie, dit Balsamo; c’est la richesse des pauvres, c’est la sagesse des riches.

– Mon chapeau, ma canne, dit Marat.

– Allongez la main, dit Balsamo; voilà votre chapeau, et sans doute cette canne, qui est près de votre chapeau, est la vôtre.

– Oh! pardon, monsieur, je suis tout confus.

– Êtes-vous prêt?

– Oui, monsieur. Ma montre, dame Grivette.

Dame Grivette se tourna et se retourna, mais ne répondit point.

– Vous n’avez pas besoin de montre, monsieur, pour aller à l’amphithéâtre et à l’hôpital; on serait peut-être longtemps à la retrouver, et cela nous retarderait.

– Cependant, monsieur, je tiens beaucoup à ma montre, qui est excellente et que j’ai achetée à force d’économies.

– En votre absence, dame Grivette la cherchera, répondit Balsamo avec un sourire; et, si elle cherche bien, à votre retour, elle sera retrouvée.

– Oh! certainement, dit dame Grivette, elle sera retrouvée, si toutefois monsieur ne l’a pas laissée ailleurs; rien ne se perd ici.

– Vous voyez bien, dit Balsamo. Allons, monsieur, allons.

Marat n’osa point insister et suivit Balsamo tout en grommelant.

Lorsqu’ils furent à la porte:

– Où allons-nous d’abord? dit Balsamo.

– À l’amphithéâtre, si vous voulez, maître; j’y ai désigné un sujet qui a dû mourir cette nuit d’une méningite aiguë; j’ai des observations à faire sur son cerveau, et je ne voudrais pas que mes camarades me le prissent.

– Allons donc à l’amphithéâtre, monsieur Marat.

– D’autant plus que ce n’est qu’à deux pas d’ici; que l’amphithéâtre touche à l’hôpital, et que nous ne faisons qu’entrer et sortir; vous pouvez même m’attendre à la porte.

– Au contraire, je désire entrer avec vous: vous me direz votre opinion sur le sujet.

– Quand il était un corps, monsieur?

– Non, depuis qu’il est un cadavre.

– Holà! prenez-y garde, dit Marat en souriant; je pourrai gagner un point sur vous, car je connais cette partie de ma profession et suis, dit-on, un assez habile anatomiste.

– Orgueil, orgueil, toujours orgueil! murmura Balsamo.

– Que dites-vous? demanda Marat.

– Je dis que nous allons voir cela, monsieur, répliqua Balsamo. Entrons.

Marat s’engagea le premier dans l’allée étroite qui conduisait à cet amphithéâtre, au bout de la rue Hautefeuille.

Balsamo le suivit sans hésiter jusque dans la salle longue et étroite où, sur une table de marbre, on voyait deux cadavres étendus, l’un de femme l’autre d’homme.

La femme était morte jeune. L’homme était vieux et chauve; un méchant suaire leur voilait le corps, en laissant leurs visages à moitié découverts.