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Lorenza poussa un cri d’effroi. elle ne connaissait pas de bornes au pouvoir de Balsamo; elle crut à sa menace.

Balsamo était sauvé.

Tandis qu’elle s’abîmait dans cette nouvelle cause de son désespoir, qu’elle n’avait pas prévue, et que sa raison vacillante se voyait enfermée dans un cercle infranchissable de tortures, la sonnette d’appel agitée par Fritz retentit à l’oreille de Balsamo.

Elle tinta trois fois rapidement et à coups égaux.

– Un courrier, dit-il.

Puis, après un court intervalle, un autre coup retentit.

– Et pressé, dit-il.

– Ah! fit Lorenza, vous allez donc me quitter!

Il prit la main froide de la jeune femme.

– Encore une fois, dit-il, et la dernière, vivons en bonne intelligence, vivons fraternellement, Lorenza; puisque la destinée nous a liés l’un à l’autre, faisons-nous de la destinée une amie et non un bourreau.

Lorenza ne répondit rien. Son œil fixe et morne semblait chercher dans l’infini une pensée qui lui échappait éternellement, et qu’elle ne trouvait plus peut-être pour l’avoir trop poursuivie, comme il arrive à ceux dont la vue a trop ardemment sollicité la lumière après avoir vécu dans les ténèbres et que le soleil a aveuglés.

Balsamo lui prit la main et la lui baisa sans qu’elle donnât signe d’existence.

Puis il fit un pas vers la cheminée.

À l’instant même, Lorenza sortit de sa torpeur et fixa avidement ses yeux sur lui.

– Oui, murmura-t-il, tu veux savoir par où je sors, pour sortir un jour après moi, pour fuir comme tu m’en as menacé; et voilà pourquoi tu te réveilles, voilà pourquoi tu me suis du regard.

Et, passant sa main sur son front, comme s’il s’imposait à lui-même une contrainte pénible, il étendit cette même main vers la jeune femme, et d’un ton impératif, en lui lançant son regard et son geste comme un trait vers la poitrine et les yeux:

– Dormez, dit-il.

Cette parole était à peine prononcée, que Lorenza plia comme une fleur sur sa tige; sa tête, vacillante un instant, s’inclina et alla s’appuyer sur le coussin du sofa. Ses mains, d’une blancheur mate, glissèrent à ses côtés, en effleurant sa robe soyeuse.

Balsamo s’approcha, la voyant si belle, et appuya ses lèvres sur ce beau front.

Alors toute la physionomie de Lorenza s’éclaircit, comme si un souffle sorti des lèvres de l’Amour même avait écarté de son front le nuage qui le couvrait; sa bouche s’entrouvrit frémissante, ses yeux nagèrent dans de voluptueuses larmes, et elle soupira comme durent soupirer ces anges qui, aux premiers jours de la création, se prirent d’amour pour les enfants des hommes.

Balsamo la regarda un instant, comme un homme qui ne peut s’arracher à sa contemplation; puis, comme le timbre retentissait de nouveau, il s’élança vers la cheminée, poussa un ressort, et disparut derrière les fleurs.

Fritz l’attendait au salon avec un homme vêtu d’une veste de coureur et chaussé de bottes épaisses armées de longs éperons.

La physionomie vulgaire de cet homme annonçait un homme du peuple, son œil seul recélait une parcelle de feu sacré qu’on eût dit lui avoir été communiquée par une intelligence supérieure à la sienne.

Sa main gauche était appuyée sur un fouet court et noueux, tandis que sa main droite figurait des signes que Balsamo, après un court examen, reconnut, et auxquels, muet lui-même, il répondit en effleurant son front du doigt indicateur.

La main du postillon monta aussitôt à sa poitrine, où elle traça un nouveau caractère qu’un indifférent n’eût pas reconnu, tant il ressemblait au geste que l’on fait pour attacher un bouton.

À ce dernier signe, le maître répondit par l’exhibition d’une bague qu’il portait au doigt.

Devant ce symbole redoutable, l’envoyé plia un genou.

– D’où viens-tu? dit Balsamo.

– De Rouen, maître.

– Que fais-tu?

– Je suis courrier au service de madame de Grammont.

– Qui t’a placé chez elle?

– La volonté du grand Cophte.

– Quel ordre as-tu reçu en entrant à son service?

– De n’avoir pas de secrets pour le maître.

– Où vas-tu?

– À Versailles.

– Qu’y portes-tu?

– Une lettre.

– À qui?

– Au ministre.

– Donne.

Le courrier tendit à Balsamo une lettre qu’il venait de tirer d’un sac de cuir attaché derrière son dos.

– Dois-je attendre? demanda-t-il.

– Oui.

– J’attends.

– Fritz!

L’Allemand parut.

– Cache Sébastien dans l’office.

– Oui, maître.

– Il sait mon nom! murmura l’adepte avec une superstitieuse frayeur.

– Il sait tout, lui répliqua Fritz en l’entraînant. Balsamo resta seul: il regarda le cachet bien pur et bien profond de cette lettre, que le coup d’œil suppliant du courrier semblait lui avoir recommandé de respecter le plus possible.

Puis, lent et pensif, il remonta vers la chambre de Lorenza et ouvrit la porte de communication.

Lorenza dormait toujours, mais fatiguée, mais énervée par l’inaction. Il lui prit la main qu’elle serra convulsivement, et il appliqua sur son cœur la lettre du courrier, toute cachetée qu’elle était.

– Voyez-vous? lui dit-il.

– Oui, je vois, répondit Lorenza.

– Quel est l’objet que je tiens à la main?

– Une lettre.

– Pouvez-vous la lire?

– Je le puis.

– Lisez-la donc, alors.

Alors Lorenza, les yeux fermés, la poitrine haletante, récita mot à mot les lignes suivantes, que Balsamo écrivait sous sa dictée à mesure qu’elle parlait:

«Cher frère,

«Comme je l’avais prévu, mon exil me sera au moins bon à quelque chose. J’ai quitté ce matin le président de Rouen; il est à nous, mais timide. Je l’ai pressé en votre nom. Il se décide enfin, et les remontrances de sa compagnie seront avant huit jours à Versailles.