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– Madame, excusez-moi si j’ai chanté faux; cet escalier m’échauffe… Ah! nous voici arrivés; permettez que je tire le pied de biche.

La vieille laissa passer en grommelant le duc devant elle.

Le maréchal sonna, et madame Flageot, qui, pour être devenue procureuse, n’avait pas cessé d’être portière et cuisinière, vint ouvrir la porte.

Les deux plaideurs, introduits dans le cabinet de maître Flageot, trouvèrent un homme furieux qui s’escrimait, la plume aux dents, à dicter un factum terrible à son premier clerc.

– Mon Dieu, maître Flageot, qu’y a-t-il donc? s’écria la comtesse, dont la voix fit se retourner le procureur.

– Ah! madame, serviteur de tout mon cœur. Un siège à madame la comtesse de Béarn. Monsieur est avec vous, madame?… Eh! mais je ne me trompe pas, M. le duc de Richelieu chez moi!… Un autre siège, Bernardet, un autre siège.

– Maître Flageot, dit la comtesse, où en est mon procès, je vous prie?

– Ah! madame, justement je m’occupais de vous à cette heure.

– Fort bien, maître Flageot, fort bien.

– Et d’une façon, madame la comtesse, qui fera du bruit, je l’espère.

– Hum! prenez garde…

– Oh! madame, il n’y a plus rien à ménager…

– Si vous vous occupez de moi, alors vous pouvez donner audience à M. le duc.

– Monsieur le duc, excusez-moi, dit maître Flageot; mais vous êtes trop galant pour ne pas comprendre…

– Je comprends, maître Flageot, je comprends.

– Maintenant, je suis tout à vous.

– Soyez tranquille, je n’abuserai pas: vous savez ce qui m’amène.

– Les sacs que M. Rafté m’a remis l’autre jour.

– Quelques pièces relatives à mon procès de… à mon procès du… Que diable! vous devez savoir de quel procès je veux parler, maître Flageot.

– De votre procès de la terre de Chapenat.

– Je ne dis pas non, et me ferez-vous gagner?… Voyons. Ce serait bien gracieux de votre part.

– Monsieur le duc, c’est une affaire remise indéfiniment.

– Bon! pourquoi?

– Cela ne se plaidera pas avant un an, au moins.

– La raison, s’il vous plaît?

– Les circonstances, monsieur le duc, les circonstances… Vous connaissez l’arrêté de Sa Majesté?…

– Je crois que oui… Lequel? Sa Majesté rend beaucoup d’arrêtés.

– Celui qui annule le nôtre.

– Très bien. Après?

– Eh bien, monsieur le duc, nous y répondrons en brûlant nos vaisseaux.

– En brûlant vos vaisseaux, mon cher? vous brûlerez les vaisseaux du parlement? Voilà ce qui n’est pas parfaitement clair, et j’ignorais que le parlement eût des vaisseaux.

– La première chambre refuse d’enregistrer peut-être? demanda madame de Béarn, que le procès de M. de Richelieu ne distrayait en aucune façon du sien.

– Mieux que cela.

– La seconde aussi?

– Ça ne serait rien… Les deux chambres ont pris la résolution de ne plus rien juger avant que le roi ait retiré M. d’Aiguillon.

– Bah! s’écria le maréchal en frappant des mains.

– Ne plus juger… quoi? demanda la comtesse émue.

– Mais… les procès, madame.

– On ne jugerait pas mon procès, à moi? s’écria madame de Béarn avec une terreur qu’elle ne cherchait pas même à dissimuler.

– Pas plus le vôtre, madame, que celui de M. le duc.

– Mais c’est inique! c’est de la rébellion aux ordres de Sa Majesté, cela.

– Madame, répliqua le procureur majestueusement, le roi s’est oublié… nous nous oublions aussi.

– Monsieur Flageot, vous vous ferez mettre à la Bastille, c’est moi qui vous le dis.

– J’irai en chantant, madame, et, si j’y vais, tous mes confrères m’y suivront en portant des palmes.

– Il est enragé! dit la comtesse à Richelieu.

– Nous sommes tous comme cela, répliqua le procureur.

– Oh! oh! fit le maréchal, cela devient curieux.

– Mais, monsieur, vous m’avez dit tout à l’heure que vous vous occupiez de moi, reprit madame de Béarn.

– Je l’ai dit, et c’est vrai… Vous êtes, madame, le premier exemple que je cite dans ma narration; voici le paragraphe qui vous concerne.

Et il arracha des mains de son clerc le factum commencé, pinça son nez avec ses lunettes et lut avec emphase:

«Leur état perdu, leur fortune compromise, leurs devoirs foulés aux pieds… Sa Majesté comprendra combien ils ont dû souffrir… Ainsi, l’exposant détenait entre ses mains une importante affaire de laquelle dépend la fortune d’une des premières maisons du royaume; par ses soins, par son industrie, par son talent, il ose le dire, cette affaire marchait à bien, et le droit de très haute et très puissante dame Angélique-Charlotte-Véronique, comtesse de Béarn, allait être reconnu, proclamé, lorsque le souffle de la discorde… s’engouffrant…»

– J’en suis resté là, madame, dit le procureur en se rengorgeant, et je crois que la figure sera belle.

– Monsieur Flageot, dit la comtesse de Béarn, il y a quarante ans que je fis officier pour la première fois monsieur votre père, digne homme s’il en fut; je vous continuai ma clientèle; vous avez gagné dix ou douze mille livres avec mes affaires; vous en eussiez gagné autant encore, peut-être.

– Écrivez, écrivez tout cela, dit vivement Flageot à son clerc, c’est un témoignage, c’est une preuve: on l’insérera dans la confirmation.

– Or, interrompit la comtesse, je vous retire mes dossiers; à partir de ce moment, vous avez perdu ma confiance.

Maître Flageot, frappé de cette disgrâce comme d’un coup de foudre, resta un moment stupéfait; mais, se relevant sous le coup comme un martyr qui confesse son Dieu:

– Soit! dit-il; Bernardet, rendez les dossiers à madame, et vous consignerez ce fait, ajouta-t-il, que l’exposant a préféré sa conscience à sa fortune.

– Pardon, comtesse, glissa le maréchal à l’oreille de madame de Béarn, mais vous n’avez pas réfléchi, ce me semble.

– À quoi, monsieur le duc?

– Vous retirez vos dossiers à ce brave protestant; mais pourquoi faire?