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– Oh! moi, c’est mon état, comtesse. Voyons un peu vos candidats…

– Non pas! Dites-moi les vôtres.

– Je le veux bien, pour vous donner l’exemple.

– À la Marine, d’abord, où était ce cher M. de Praslin?

– Ah! du nouveau, comtesse; un homme charmant, qui n’a jamais vu la mer.

– Allons donc!

– D’honneur! ceci est une invention magnifique. Je vais me rendre très populaire, et on va me couronner dans les deux mers, en effigie, s’entend.

– Mais qui, sire? qui donc?

– Gageons qu’en mille vous ne devinez pas.

– Un homme dont le choix vous rend populaire?… Ma foi, non.

– Un homme du parlement, ma chère… Un premier président du parlement de Besançon.

– M. de Boynes?

– Lui-même… Peste! comme vous êtes savante!… Vous connaissez ces gens-là?

– Il le faut bien, vous me parlez parlement toute la journée. Ah çà! mais cet homme-là ne sait pas ce que c’est qu’un aviron.

– Tant mieux. M. de Praslin savait trop bien son état, et il m’a coûté trop cher avec ses constructions navales.

– Mais aux Finances, sire?

– Oh! pour les Finances, c’est différent; je choisis un homme spécial.

– Un financier?

– Non… un militaire. Il y a trop longtemps que les financiers me grugent.

– Mais à la Guerre, grand Dieu?

– Tranquillisez-vous, j’y mets un financier. Terray; c’est un éplucheur de comptes; il va trouver des erreurs dans toutes les additions de M. de Choiseul. Je vous dirai que j’avais eu l’idée de prendre pour la guerre un homme merveilleux, un pur, comme ils disent; c’était pour plaire aux philosophes.

– Bon! qui donc? Voltaire?

– Presque… le chevalier du Muy… Un Caton.

– Ah! mon Dieu! vous m’épouvantez.

– C’était fait… J’avais fait venir l’homme, ses provisions étaient signées; il m’avait remercié, lorsque mon bon ou mon mauvais génie, décidez, comtesse, me pousse à lui dire de venir ce soir à Luciennes, souper et causer.

– Fi! l’horreur!

– Eh bien, comtesse, voilà précisément ce que du Muy m’a répondu.

– Il vous a dit cela?

– En d’autres termes, comtesse; mais enfin il m’a dit que servir le roi était son plus ardent désir, mais que, pour servir madame du Barry, c’était impossible.

– Eh bien, il est joli, votre philosophe!

– Vous comprenez ma réponse, comtesse, je lui ai tendu la main… pour qu’il me rendît son brevet, que j’ai mis en pièces avec un fort patient sourire, et le chevalier a disparu. Louis XIV pourtant eût fait pourrir ce gaillard-là dans un des vilains trous de la Bastille; mais je suis Louis XV, et j’ai un parlement qui me donne le fouet, au lieu que ce soit moi qui donne le fouet au parlement. Voilà.

– C’est égal, sire, dit la comtesse en couvrant de baisers son royal amant, vous êtes un homme accompli.

– Ce n’est pas ce que tout le monde dira. Terray est exécré.

– Qui ne l’est pas?… Et aux affaires étrangères?

– Ce brave Bertin, que vous connaissez.

– Non.

– Alors que vous ne connaissez pas.

– Mais, dans tout cela, je ne vois pas un seul bon ministre, moi.

– Soit; dites-moi les vôtres.

– Je n’en dirai qu’un.

– Vous ne le dites pas; vous avez peur.

– Le maréchal.

– Quel maréchal? fit le roi avec une grimace.

– Le duc de Richelieu.

– Ce vieillard? cette poule mouillée?

– Bon! le vainqueur de Mahon, une poule mouillée!

– Un vieux paillard…

– Sire, votre compagnon.

– Un homme immoral, qui fait fuir toutes les femmes.

– Que voulez-vous! c’est depuis qu’il ne court plus après elles.

– Ne me parlez jamais de Richelieu, c’est ma bête noire; ce vainqueur de Mahon m’a mené dans tous les tripots de Paris…; on nous chansonnait. Non pas, non pas! Richelieu! oh! rien que le nom me met hors de moi.

– Vous les haïssez donc bien?

– Qui?

– Les Richelieu.

– Je les exècre.

– Tous?

– Tous. Voilà-t-il pas un beau duc et pair que M. Fronsac; il a dix fois mérité la roue.

– Je vous le livre; mais il y a encore des Richelieu de par le monde.

– Ah! oui, d’Aiguillon.

– Eh bien?

On juge si, à ces mots, l’oreille du neveu était droite dans le boudoir.

– Celui-là, je devrais le haïr plus que les autres, car il me met sur les bras tout ce qu’il y a de braillards en France; mais c’est un faible dont je ne puis me guérir, il est hardi et ne me déplaît pas.

– C’est un homme d’esprit, s’écria la comtesse.

– Un homme courageux et âpre à défendre la prérogative royale. Voilà un vrai pair!

– Oui, oui, cent fois oui! Faites-en quelque chose.

Alors le roi regarda la comtesse en se croisant les bras:

– Comment se peut-il, comtesse, que vous me proposiez une chose pareille au moment où toute la France me demande d’exiler et de dégrader le duc?

Madame du Barry se croisa les bras à son tour.

– Tout à l’heure, dit-elle, vous appeliez Richelieu une poule mouillée; eh bien, c’est à vous que ce nom revient de droit.

– Oh! comtesse…

– Vous voilà bien fier, parce que vous avez renvoyé M. de Choiseul.

– Eh! ce n’était pas aisé.

– Vous l’avez fait, c’est bien! et, à présent, vous reculez devant les conséquences.

– Moi?

– Sans doute. Que faites-vous en renvoyant le duc?

– Je donne un coup de pied au derrière du parlement.

– Et vous n’en voulez pas donner deux! Que diable! levez les deux jambes, l’une après l’autre, bien entendu. Le parlement voulait garder Choiseul; renvoyez Choiseul. Il veut renvoyer d’Aiguillon; gardez d’Aiguillon.