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Alexandre Dumas

JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome III

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TROISIÈME PARTIE

Chapitre LXXXII La chasse au sorcier

Une longue file de carrosses encombrait les avenues de la forêt de Marly, où le roi chassait.

C’était ce que l’on appelait une chasse d’après-midi.

En effet Louis XV, dans les derniers temps de sa vie, ne chassait plus ni à tir ni à courre. Il se contentait de regarder chasser.

Ceux de nos lecteurs qui ont lu Plutarque se rappelleront peut-être ce cuisinier de Marc-Antoine qui mettait d’heure en heure un sanglier à la broche, afin que, parmi les cinq ou six sangliers qui rôtissaient, il s’en trouvât toujours un cuit à point pour le moment précis où Marc-Antoine se mettrait à table.

C’est que Marc-Antoine, dans son gouvernement de l’Asie Mineure, avait des affaires à foison: il rendait la justice, et, comme les Ciliciens sont de grands voleurs – le fait est constaté par Juvénal – Marc-Antoine était fort préoccupé. Il avait donc toujours cinq ou six rôtis étagés à la broche, pour le moment où par hasard ses fonctions de juge lui laisseraient le temps de manger un morceau.

Or, il en était de même chez Louis XV. Pour les chasses de l’après-midi, il avait deux ou trois daims lancés à deux ou trois heures différentes, et, selon la disposition où il était, il choisissait un hallali prompt ou éloigné.

Ce jour-là, Sa Majesté avait déclaré qu’elle chasserait jusqu’à quatre heures. On avait donc choisi un daim lancé depuis midi, et qui promettait d’aller jusque-là.

De son côté, madame du Barry se promettait de suivre le roi aussi fidèlement que le roi avait promis de suivre le daim.

Mais les veneurs proposent et le hasard dispose. Une combinaison du hasard changea ce beau projet de madame du Barry.

La comtesse avait trouvé dans le hasard un adversaire presque aussi capricieux qu’elle.

Tandis que, tout en causant politique avec M. de Richelieu, la comtesse courait après Sa Majesté, laquelle, de son côté, courait après le daim, et que le duc et elle renvoyaient une portion des saluts qu’ils rencontraient en chemin, ils aperçurent tout à coup, à une cinquantaine de pas de la route, sous un admirable dais de verdure, une pauvre calèche brisée qui tournait piteusement ses deux roues du côté du ciel, tandis que les deux chevaux noirs qui eussent dû la traîner rongeaient paisiblement, l’un l’écorce d’un hêtre, l’autre la mousse qui s’étendait à ses pieds.

Les chevaux de madame du Barry, magnifique attelage donné par le roi, avaient distancé, comme on dit aujourd’hui, toutes les autres voitures, et étaient arrivés les premiers en vue de cette calèche brisée.

– Tiens! un malheur, fit tranquillement la comtesse.

– Ma foi, oui, fit le duc de Richelieu avec le même flegme, car, à la cour, on use peu de sensiblerie; ma foi, oui, la calèche est en morceaux.

– Est-ce un mort que je vois là-bas sur l’herbe? demanda la comtesse. Regardez donc, duc.

– Je ne le crois pas, cela remue.

– Est-ce un homme ou une femme?

– Je ne sais trop. J’y vois fort mal.

– Tiens, cela salue.

– Alors, ce n’est pas un mort.

Et Richelieu à tout hasard leva son tricorne.

– Eh! mais, comtesse, dit-il, il me semble…

– Et à moi aussi.

– Que c’est Son Éminence le prince Louis.

– Le cardinal de Rohan en personne.

– Que diable fait-il là? demanda le duc.

– Allons voir, répondit la comtesse. Champagne, à la voiture brisée, allez.

Le cocher de la comtesse quitta aussitôt la route et s’enfonça sous la futaie.

– Ma foi, oui, c’est monseigneur le cardinal, dit Richelieu.

C’était, en effet, Son Éminence qui s’était couchée sur l’herbe, en attendant qu’il passât quelqu’un de connaissance.

En voyant madame du Barry venir à lui, il se leva.

– Mille respects à madame la comtesse, dit-il.

– Comment, cardinal, vous?

– Moi-même.

– À pied?

– Non, assis.

– Seriez-vous blessé?

– Pas le moins du monde.

– Et par quel hasard en cet état?

– Ne m’en parlez pas, madame: c’est une brute de cocher, un faquin que j’ai fait venir d’Angleterre, à qui je dis de couper à travers bois pour rejoindre la chasse, et qui tourne si court, qu’il me verse, et, en me versant, il me brise ma meilleure voiture.

– Ne vous plaignez point, cardinal, dit la comtesse; un cocher français vous eût rompu le cou, ou tout au moins brisé les côtes.

– C’est peut-être vrai.

– Consolez-vous donc.

– Oh! j’ai de la philosophie, comtesse; seulement, je vais être obligé d’attendre, et c’est mortel.

– Comment, prince, d’attendre? un Rohan attendrait?

– Il le faut bien.

– Ma foi, non; je descendrais plutôt de mon carrosse que de vous laisser là.

– En vérité, madame, vous me rendez honteux.

– Montez, prince, montez.

– Non, merci, madame; j’attends Soubise, qui est de la chasse, et qui ne peut manquer de passer d’ici à quelques instants.

– Mais s’il a pris une autre route?

– N’importe.

– Monseigneur, je vous en prie.

– Non, merci.

– Mais pourquoi donc?

– Je ne veux point vous gêner.

– Cardinal, si vous refusez de monter, je fais prendre ma queue par un valet de pied, et je cours dans les bois comme une dryade.

Le cardinal sourit; et, songeant qu’une plus longue résistance pouvait être mal interprétée par la comtesse, il se décida à monter dans son carrosse.

Le duc avait déjà cédé sa place au fond, et s’était installé sur la banquette de devant.

Le cardinal se mit à marchander les honneurs, mais le duc fut inflexible.

Bientôt, les chevaux de la comtesse eurent regagné le temps perdu.