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– Je ne me plains point, madame, dit fièrement Gilbert.

– Allons, allons, dit Chon, je vois que, moi aussi, je suis exclue de la confiance de M. Gilbert. Ce n’est cependant pas l’envie de la conquérir qui me manque; c’est l’ignorance où je suis des moyens que l’on doit employer.

Gilbert se pinça les lèvres.

– Bref, ces Taverney n’ont pas su vous contenter, ajouta Chon avec une curiosité dont Gilbert sentit la tendance. Dites-moi donc un peu ce que vous faisiez chez eux?

Gilbert fut assez embarrassé, car il ne savait pas lui-même ce qu’il faisait à Taverney.

– Madame, dit-il, j’étais…, j’étais homme de confiance.

À ces mots, prononcés avec le flegme philosophique qui caractérisait Gilbert, Chon fut prise d’un tel accès de rire, qu’elle se renversa sur sa chaise en éclatant.

– Vous en doutez? dit Gilbert en fronçant le sourcil.

– Dieu m’en garde! Savez-vous, mon cher ami, que vous êtes féroce et que l’on ne peut vous rien dire. Je vous demandais quels gens étaient ces Taverney. Ce n’est point pour vous désobliger, mais bien plutôt pour vous servir en vous vengeant.

– Je ne me venge pas, ou je me venge moi-même, madame.

– Très bien; mais nous avons nous-mêmes un grief contre les Taverney; puisque de votre côté vous en avez un, et même peut-être plusieurs, nous sommes donc naturellement alliés.

– Vous vous trompez, madame; ma façon de me venger ne peut avoir aucun rapport avec la vôtre, car vous parlez des Taverney en général, et moi j’admets différentes nuances dans les divers sentiments que je leur porte.

– Et M. Philippe de Taverney, par exemple, est-il dans les nuances sombres ou dans les nuances tendres?

– Je n’ai rien contre M. Philippe. M. Philippe ne m’a jamais fait ni bien ni mal. Je ne l’aime ni le déteste; il m’est tout à fait indifférent.

– Alors vous ne déposeriez pas devant le roi ou devant M. de Choiseul contre M. Philippe de Taverney?

– À quel propos?

– À propos de son duel avec mon frère.

– Je dirais ce que je sais, madame, si j’étais appelé à déposer.

– Et que savez-vous?

– La vérité.

– Voyons, qu’appelez-vous la vérité? C’est un mot bien plastique.

– Jamais pour celui qui sait distinguer le bien du mal, le juste de l’injuste.

– Je comprends: le bien… c’est M. Philippe de Taverney; le mal… c’est M. le vicomte du Barry.

– Oui, madame, à mon avis, et selon ma conscience, du moins.

– Voilà ce que j’ai recueilli en chemin! dit Chon avec aigreur; voilà comment me récompense celui qui me doit la vie!

– C’est-à-dire, madame, celui qui ne vous doit pas la mort.

– C’est la même chose.

– C’est bien différent, au contraire.

– Comment cela?

– Je ne vous dois pas la vie; vous avez empêché vos chevaux de me l’ôter, voilà tout, et encore ce n’est pas vous, c’est le postillon.

Chon regarda fixement le petit logicien qui marchandait si peu avec les termes.

– J’aurais attendu, dit-elle en adoucissant son sourire et sa voix, un peu plus de galanterie de la part d’un compagnon de voyage qui savait si bien, pendant la route, trouver mon bras sous un coussin et mon pied sur son genou.

Chon était si provocante avec cette douceur et cette familiarité, que Gilbert oublia Zamore, le tailleur et le déjeuner auquel on avait oublié de l’inviter.

– Allons! allons, nous voilà redevenu gentil, dit Chon en prenant le menton de Gilbert dans sa main. Vous témoignerez contre Philippe de Taverney, n’est-ce pas?

– Oh! pour cela, non, fit Gilbert. Jamais!

– Pourquoi donc, entêté?

– Parce que M. le vicomte Jean a eu tort.

– Et en quoi a-t-il eu tort, s’il vous plaît?

– En insultant la dauphine. Tandis qu’au contraire, M. Philippe de Taverney…

– Eh bien?

– Avait raison en la défendant.

– Ah! nous tenons pour la dauphine, à ce qu’il semble?

– Non, je tiens pour la justice.

– Vous êtes un fou, Gilbert! taisez-vous, qu’on ne vous entende point parler ainsi dans ce château.

– Alors dispensez-moi de répondre quand vous m’interrogerez.

– Changeons de conversation, en ce cas.

Gilbert s’inclina en signe d’assentiment.

– Ça, petit garçon, demanda la jeune femme d’un ton de voix assez dur, que comptez-vous faire ici, si vous ne vous y rendez agréable?

– Faut-il me rendre agréable en me parjurant?

– Mais où donc allez-vous prendre tous ces grands mots-là?

– Dans le droit que chaque homme a de rester fidèle à sa conscience.

– Bah! dit Chon, quand on sert un maître, ce maître assume sur lui toute responsabilité.

– Je n’ai pas de maître, grommela Gilbert.

– Et au train dont vous y allez, petit niais, dit Chon en se levant comme une belle paresseuse, vous n’aurez jamais de maîtresse. Maintenant, je répète ma question, répondez-y catégoriquement: que comptez-vous faire chez nous?

– Je croyais qu’il n’était pas besoin de se rendre agréable quand on pouvait se rendre utile.

– Et vous vous trompez: on ne rencontre que des gens utiles, et nous en sommes las.

– Alors je me retirerai.

– Vous vous retirerez?

– Oui sans doute; je n’ai point demandé à venir, n’est-ce pas? Je suis donc libre.

– Libre! s’écria Chon, qui commençait à se mettre en colère de cette résistance à laquelle elle n’était pas habituée. Oh! que non!

La figure de Gilbert se contracta.

– Allons, allons, dit la jeune femme, qui vit au froncement de sourcils de son interlocuteur qu’il ne renonçait pas facilement à sa liberté. Allons, la paix!… Vous êtes un joli garçon, très vertueux, et en cela vous serez très divertissant, ne fût-ce que par le contraste que vous ferez avec tout ce qui nous entoure. Seulement, gardez votre amour pour la vérité.

– Sans doute, je le garderai, dit Gilbert.