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– Vous m’intriguez, comtesse.

– Vous ne le connaissez pas, duc?

– Non, ma foi.

– Il est pourtant de votre famille.

– J’aurais un homme de génie dans ma famille? Voudriez-vous parler du cardinal-duc, mon oncle, madame?

– Non; je veux parler du duc d’Aiguillon, votre neveu.

– Ah! M. d’Aiguillon, c’est vrai, lui qui a donné le branle à l’affaire La Chalotais. Ma foi, c’est un joli garçon, oui, oui, en vérité. Il a fait là une rude besogne. Tenez, comtesse, voilà, sur mon honneur, un homme qu’une femme d’esprit devrait s’attacher.

– Comprenez-vous, duc, fit la comtesse, que je ne connaisse pas votre neveu?

– En vérité, madame, vous ne le connaissez pas?

– Non, jamais je ne l’ai vu.

– Pauvre garçon! en effet, depuis votre avènement, il a toujours vécu au fond de la Bretagne. Gare à lui, quand il vous verra, il n’est plus habitué au soleil.

– Comment fait-il, au milieu de toutes ces robes noires, un homme d’esprit et de race comme lui?

– Il les révolutionne, ne pouvant faire mieux. Vous comprenez, comtesse, chacun prend son plaisir où il le trouve, et il n’y a pas grand plaisir en Bretagne. Ah! voilà un homme actif; peste! quel serviteur le roi aurait là s’il voulait. Ce n’est pas avec lui que les parlements garderaient leur insolence… Ah! il est vraiment Richelieu, comtesse: aussi, permettez…

– Quoi?

– Que je vous le présente à son premier débotté.

– Doit-il donc venir de sitôt dans Paris?

– Eh! madame, qui sait? peut-être en a-t-il encore pour un lustre à rester dans sa Bretagne, comme dit ce coquin de Voltaire; peut-être est-il en route; peut-être est-il à deux cents lieues; peut-être est-il à la barrière!

Et le maréchal étudia sur le visage de la jeune femme l’effet des dernières paroles qu’il avait dites.

Mais, après avoir rêvé un moment:

– Revenons au point où nous en étions.

– Où vous voudrez, comtesse.

– Où en étions-nous?

– Au moment où Sa Majesté se plaît si fort à Trianon, dans la compagnie de M. de Choiseul.

– Et où nous parlions de renvoyer ce Choiseul, duc.

– C’est-à-dire où vous parliez de le renvoyer, comtesse.

– Comment! dit la favorite, j’ai si grande envie qu’il parte, que je risque à mourir s’il ne part pas; vous ne m’y aiderez pas un peu, mon cher duc?

– Oh! oh! fit Richelieu en se rengorgeant, voilà ce qu’en politique nous appelons une ouverture.

– Prenez comme il vous plaît, appelez comme il vous convient, mais répondez catégoriquement.

– Oh! que voilà un grand vilain adverbe dans une si petite et si jolie bouche.

– Vous appelez cela répondre, duc?

– Non, pas précisément; c’est ce que j’appelle préparer ma réponse.

– Est-elle préparée?

– Attendez donc.

– Vous hésitez, duc?

– Non pas.

– Eh bien, j’écoute.

– Que dites-vous des apologues, comtesse?

– Que c’est bien vieux.

– Bah! le soleil aussi est vieux, et nous n’avons encore rien inventé de mieux pour y voir.

– Va donc pour l’apologue: mais ce sera transparent.

– Comme du cristal.

– Allons.

– M’écoutez-vous, belle dame?

– J’écoute.

– Supposez donc, comtesse… vous savez, on suppose toujours dans les apologues.

– Dieu! que vous êtes ennuyeux, duc.

– Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites là, comtesse, car jamais vous n’avez écouté plus attentivement.

– Soit; j’ai tort.

– Supposez donc que vous vous promenez dans votre beau jardin de Luciennes, et que vous apercevez une prune magnifique, une de ces reines-claudes que vous aimez tant, parce qu’elles ont des couleurs vermeilles et purpurines qui ressemblent aux vôtres.

– Allez toujours, flatteur.

– Vous apercevez, dis-je, une de ces prunes tout au bout d’une branche, tout au haut de l’arbre; que faites-vous, comtesse?

– Je secoue l’arbre, pardieu!

– Oui, mais inutilement, car l’arbre est gros, indéracinable, comme vous disiez tout à l’heure; et vous vous apercevez bientôt que, sans l’ébranler même, vous égratignez vos charmantes petites menottes à son écorce. Alors vous dites, en tournaillant la tête de cette adorable façon qui n’appartient qu’à vous et aux fleurs: «Mon Dieu! mon Dieu! que je voudrais bien voir cette prune à terre» et vous vous dépitez.

– C’est assez naturel, duc.

– Ce n’est certes pas moi qui vous dirai le contraire.

– Continuez, mon cher duc; votre apologue m’intéresse infiniment.

– Tout à coup, en vous retournant comme cela, vous apercevez votre ami le duc de Richelieu qui se promène en pensant.

– À quoi?

– La belle question, pardieu! à vous; et vous lui dites avec votre adorable voix flûtée: «Ah! duc, duc!»

– Très bien!

– «Vous êtes un homme, vous; vous êtes fort; vous avez pris Mahon; secouez-moi donc un peu ce diable de prunier, afin que j’aie cette satanée prune.» N’est-ce pas cela, comtesse, hein?

– Absolument, duc; je disais la chose tout bas, tandis que vous la disiez tout haut; mais que répondiez-vous?

– Je répondais…

– Oui.

– Je répondais: «Comme vous y allez, comtesse! Je ne demande certes pas mieux; mais regardez donc, regardez donc comme cet arbre est solide, comme les branches sont rugueuses; je tiens à mes mains aussi, moi, que diable! quoiqu’elles aient cinquante ans de plus que les vôtres.»

– Ah! fit tout à coup la comtesse, bien, bien, je comprends.

– Alors, continuez l’apologue: que me dîtes-vous?

– Je vous dis…

– De votre voix flûtée?

– Toujours.