Изменить стиль страницы

À l’instant même, comme par enchantement, les rouages de cuivre cessèrent leur rotation pondérée, les axes d’acier se reposèrent dans leurs trous de rubis, et un profond silence se fit dans cette machine où fourmillaient naguère le bruit et le mouvement. Plus de secousses, plus de balancement, plus de frémissements de timbres, plus de courses d’aiguilles et de roues.

La machine était arrêtée, la pendule était morte.

Quelque grain de sable fin comme un atome était-il entré dans la dent d’une roue, ou bien était-ce tout simplement le génie de cette merveilleuse machine qui se reposait, fatigué de son éternelle agitation?

À la vue de ce trépas subit, de cette apoplexie foudroyante, le dauphin oublia pourquoi il était venu et depuis quel temps il attendait; il oublia surtout que l’heure n’est point lancée dans l’éternité par les secousses d’un balancier sonore, ou retardée sur la pente des temps par l’arrêt momentané d’un mouvement de métal, mais bien marquée sur l’horloge éternelle qui a précédé les mondes et qui doit leur survivre, par le doigt éternel et invariable du Tout-Puissant.

Il commença en conséquence par ouvrir la porte de cristal de la pagode où sommeillait le génie, et passa sa tête dans l’intérieur de la pendule pour y voir de plus près.

Mais il fut tout d’abord gêné dans son observation par le grand balancier.

Alors il glissa délicatement ses doigts si intelligents par l’ouverture de cuivre et détacha le balancier.

Ce n’était point assez; car le dauphin eut beau regarder de tous côtés, la cause de cette léthargie resta invisible à ses yeux.

Le prince supposa alors que l’horloger du château avait oublié de remonter la pendule, et qu’elle s’était arrêtée naturellement. Il prit alors la clef suspendue à son socle, et commença d’en monter les ressorts avec un aplomb d’homme exercé. Mais, au bout de trois tours, il fallut s’arrêter, preuve que la mécanique était soumise à un accident inconnu; et le ressort, quoique tendu, n’en fonctionna point davantage.

Le dauphin tira de sa poche un petit grattoir d’écaille à lame d’acier, et, du bout de la lame, donna l’impulsion à une roue. Les rouages crièrent une demi-seconde, puis s’arrêtèrent.

L’indisposition de la pendule devenait sérieuse.

Alors, avec la pointe de son grattoir, Louis commença de démonter plusieurs pièces dont il étala soigneusement les vis sur une console.

Puis, son ardeur l’entraînant, il continua de démonter la machine compliquée et en visita jusqu’aux recoins les plus secrets et les plus mystérieux.

Tout à coup il poussa un cri de joie: il venait de découvrir qu’une vis de pression, jouant dans sa spirale, avait relâché un ressort et arrêté la roue motrice.

Alors il se mit à serrer la vis.

Puis, une roue de la main gauche, son grattoir de la main droite, il replongea sa tête dans la cage.

Il en était là de sa besogne, absorbé dans la contemplation du mécanisme, quand la porte s’ouvrit et qu’une voix cria:

– Le roi!

Mais Louis n’entendit rien que le tic-tac mélodieux né sous sa main, comme le battement d’un cœur qu’un habile médecin rend à la vie.

Le roi regarda de tous côtés et fut quelque temps sans voir le dauphin, dont on n’apercevait que les jambes écartées, le torse étant caché par la pendule et la tête perdue dans l’ouverture.

Il s’approcha souriant et frappa sur l’épaule de son petit-fils.

– Que diable fais-tu là? lui demanda-t-il.

Louis se retira précipitamment, mais cependant avec toutes les précautions nécessaires pour n’endommager en rien le beau meuble dont il avait entrepris la restauration.

– Mais sire, Votre Majesté le voit, dit le jeune homme tout rougissant de honte d’avoir été surpris dans cette occupation, je m’amusais en attendant que vous vinssiez.

– Oui, à massacrer ma pendule. Joli amusement!

– Au contraire, sire, je la réparais. La roue principale ne fonctionnait plus, elle était gênée par cette vis que Votre Majesté voit là. J’ai resserré la vis, et elle va maintenant.

– Mais tu t’aveugleras à regarder là dedans. Je ne tournerais pas ma tête dans un pareil guêpier pour tout l’or du monde.

– Oh! que non, sire. Je m’y connais: c’est moi qui démonte, remonte et nettoie ordinairement l’admirable montre que Votre Majesté m’a donnée le jour où j’ai eu quatorze ans.

– Soit; mais laisse là, momentanément, ta mécanique. Tu veux me parler?

– Moi, sire? dit le jeune homme en rougissant.

– Sans doute, puisque tu m’as fait dire que tu m’attendais.

– C’est vrai, sire, répondit le dauphin en baissant les yeux.

– Eh bien! que me voulais-tu? Réponds. Si tu n’as rien à me dire, je pars pour Marly.

Et déjà Louis XV cherchait à s’évader, selon sa coutume.

Le dauphin posa son grattoir et son rouage sur un fauteuil, ce qui indiquait qu’il avait effectivement quelque chose d’important à dire au roi, puisqu’il interrompait l’intéressante besogne qu’il faisait.

– As-tu besoin d’argent? demanda vivement le roi. Si c’est cela, attends, je vais t’en envoyer.

Et Louis XV fit un pas de plus vers la porte.

– Oh! non, sire, répondit le jeune Louis; j’ai encore mille écus sur ma pension du mois.

– Quel économe! s’écria le roi, et comme M. de Lavauguyon me l’a bien élevé! En vérité, je crois qu’il lui a juste donné toutes les vertus que je n’ai pas.

Le jeune homme fit un effort violent sur lui-même.

– Sire, dit-il, est-ce que madame la dauphine est encore bien loin?

– Mais ne le sais-tu pas aussi bien que moi?

– Moi? demanda le dauphin embarrassé.

– Sans doute; on nous a lu hier le bulletin du voyage; elle devait passer lundi dernier à Nancy; elle doit être maintenant à quarante-cinq lieues de Paris, à peu près.

– Sire, Votre Majesté ne trouve-t-elle pas, continua le dauphin, que madame la dauphine va bien lentement?

– Mais non, mais non, dit Louis XV, je trouve qu’elle va très vite, au contraire, pour une femme, et en raison de toutes ces fêtes, de toutes ces réceptions; elle fait au moins dix lieues tous les deux jours, l’un dans l’autre.

– Sire, c’est bien peu, dit timidement le dauphin.

Le roi Louis XV marchait d’étonnement en étonnement à la révélation de cette impatience, qu’il n’avait point soupçonnée.