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– Le gouverneur? dit le roi.

– Le gouverneur, répondit respectueusement le valet, veille sur les jours précieux de Votre Majesté.

– Où est-il?

– En ronde.

– En ronde? répéta le roi.

– Avec quatre officiers, répondit le valet.

– Juste comme M. de Marlborough, s’écria la comtesse.

Le roi ne put réprimer un sourire.

– Oui, c’est drôle, dit-il; mais cela n’empêche point qu’on attelle.

– Sire, M. le gouverneur a fait fermer les écuries, de peur qu’elles ne donnassent refuge à quelque malfaiteur.

– Mes piqueurs, où sont-ils?

– Aux communs, sire.

– Que font-ils?

– Ils dorment.

– Comment! ils dorment?

– Par ordre.

– Par ordre de qui?

– Par ordre du gouverneur.

– Mais les portes? dit le roi.

– Quelles portes, sire?

– Les portes du château.

– Elles sont fermées.

– Très bien. Mais on peut s’en procurer les clefs.

– Sire, les clefs sont à la ceinture du gouverneur.

– Voilà un château bien tenu, dit le roi. Peste! quel ordre!

Le valet de pied sortit, voyant que le roi ne lui adressait pas de nouvelles questions.

La comtesse, étendue sur un fauteuil, mordillait une belle rose, près de laquelle ses lèvres semblaient de corail.

– Voyons, sire, lui dit-elle avec ce sourire languissant qui n’appartenait qu’à elle, j’ai pitié de Votre Majesté, prenez mon bras et mettons-nous en quête. Chon, éclaire le chemin.

Chon sortit la première, faisant l’avant-garde, et prête à signaler les périls s’il s’en présentait.

Au détour du premier corridor, un parfum qui eût éveillé l’appétit du gourmet le plus délicat commença de chatouiller les narines du roi.

– Ah! ah! dit-il en s’arrêtant, qu’est-ce donc que cette odeur, comtesse.

– Dame! sire, c’est celle du souper. Je croyais que le roi me faisait l’honneur de souper à Luciennes, et je m’étais arrangée en conséquence.

Louis XV respira deux ou trois fois le parfum gastronomique, tout en réfléchissant, à part lui, que son estomac lui donnait déjà, depuis quelque temps, signe d’existence; qu’il lui faudrait, en faisant grand bruit, une demi-heure pour réveiller les piqueurs, un quart d’heure pour atteler les chevaux, dix minutes pour aller à Marly; qu’à Marly, où il n’était pas attendu, il ne trouverait qu’un en-cas; il respira encore le fumet séducteur, et, conduisant la comtesse, il s’arrêta devant la porte de la salle à manger.

Deux couverts étaient mis sur une table splendidement éclairée et somptueusement servie.

– Peste! dit Louis XV, vous avez un bon cuisinier, comtesse.

– Sire, c’était justement son coup d’essai aujourd’hui, et le pauvre diable avait fait merveille pour mériter l’approbation de Votre Majesté. Il est capable de se couper la gorge, comme ce pauvre Vatel.

– Vraiment, vous croyez? dit Louis XV.

– Il y avait surtout une omelette aux œufs de faisan, sire, sur laquelle il comptait…

– Une omelette aux œufs de faisan? Justement je les adore, les omelettes aux œufs de faisan!

– Voyez quel malheur!

– Eh bien! comtesse, ne faisons pas de chagrin à votre cuisinier, dit le roi en riant, et peut-être, tandis que nous souperons, maître Zamore rentrera-t-il de sa ronde.

– Ah! sire, c’est une triomphante idée, dit la comtesse, ne pouvant cacher sa satisfaction d’avoir gagné cette première manche. Venez, sire, venez.

– Mais qui nous servira? dit le roi, cherchant inutilement un seul laquais.

– Ah! sire, dit madame du Barry, votre café vous semble-t-il plus mauvais quand c’est moi qui vous le présente?

– Non, comtesse, et je dirai même quand c’est vous qui le faites.

– Eh bien! venez donc, sire.

– Deux couverts seulement? dit le roi. Et Chon, elle a donc soupé?

– Sire, on n’aurait pas osé, sans un ordre exprès de Votre Majesté…

– Allons donc! dit le roi, en prenant lui-même une assiette et un couvert sur une étagère. Viens, petite Chon, là, en face de nous.

– Oh! sire…, dit Chon.

– Ah! oui, fais la très humble et très obéissante sujette, hypocrite! Mettez vous là, comtesse, près de moi, de côté. Quel charmant profil vous avez!

– C’est d’aujourd’hui que vous remarquez cela, monsieur la France?

– Que voulez-vous! j’ai pris l’habitude de vous regarder en face, comtesse. Décidément, votre cuisinier est un grand cordon; quelle bisque!

– J’ai donc eu raison de renvoyer l’autre?

– Parfaitement raison.

– Alors, sire, suivez mon exemple, vous voyez qu’il n’y a qu’à y gagner.

– Je ne vous comprends pas.

– J’ai renvoyé mon Choiseul, renvoyez le vôtre.

– Pas de politique, comtesse; donnez-moi de ce madère.

Le roi tendit son verre; la comtesse prit une carafe à goulot étroit, et servit le roi.

La pression fit blanchir les doigts et rougir les ongles du gracieux échanson.

– Versez longtemps et doucement, comtesse, dit le roi.

– Pour ne pas troubler la liqueur, sire?

– Non, pour me donner le temps de voir votre main.

– Ah! décidément, sire, dit la comtesse en riant, Votre Majesté est en train de faire des découvertes.

– Ma foi! oui, dit le roi, qui reprenait peu à peu sa belle humeur; et je crois que je suis tout près de découvrir…

– Un monde? demanda la comtesse.

– Non, non, dit le roi; un monde, c’est trop ambitieux, et j’ai déjà bien assez d’un royaume. Mais une île, un petit coin de terre, une montagne enchantée, un palais dont une dame de mes amies sera l’Armide, et dont toutes sortes de monstres défendront l’entrée quand il me plaira d’oublier.