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Sans être ni un savant ni un artiste, Maurice n’était étranger ni à aucune science, ni à aucun art. Il savait assez de physique et de chimie pour discuter une question médicale avec les Thénard et les Orfila. Sans être artiste, dans l’acception du mot, qui indique toujours une certaine supériorité pratique, il pouvait, à l’aide du crayon, rendre sa pensée ou pratique, un souvenir. Entièrement étranger en apparence à la politique, il lui était cependant mille fois arrivé, lorsque M. de Montgiroux, entouré de ses honorables collègues de l’une ou l’autre chambre, exposait dans le salon de madame de Barthèle, une question du moment, d’éclairer tout à coup, d’un autre groupe où il était, cette question d’un mot si brillant, qu’elle demeurait en lumière jusqu’à ce que la routine tracassière de deux ou trois honorables l’eussent, en la tirant par en bas replongée dans l’obscurité. Quelques ministres demi-apostats, qui, jeunes gens, avaient partagé les opinions politiques de Maurice de Barthèle, opinions qui n’avaient rien de haineux ni d’exclusif, avaient voulu faire de lui, tantôt un officier, tantôt un diplomate, tantôt un conseiller d’État; mais il avait toujours refusé, disant que son attachement à la famille déchue était une espèce de culte doux et religieux qui n’admettait pas de mélange; ce qui n’empêchait pas que, lorsque Maurice de Barthèle se trouvait, comme il lui arrivait souvent, dans quelque salon de la haute aristocratie avec celui de nos princes qui, à cette époque, était le seul à qui son âge permit déjà d’y aller, il ne rendit hautement toute justice à son esprit et à son courage, et tout respect à son nom et à son rang. Or, c’étaient là des marques de goût que le prince que nous venons de désigner, appréciait fort. Aussi, à Chantilly ou à Versailles, aux courses ou au camp, Maurice de Barthèle était-il toujours de sa part l’objet d’une attention personnelle et particulière, que, de son côté, celui-ci savait admirablement apprécier.

Nous l’avons dit, en épousant Clotilde, Maurice n’avait éprouvé pour elle qu’un sentiment purement fraternel, et le mariage était non seulement, à ses yeux, une mise à la loterie, une chance de félicité, mais encore un moyen naturel de faire cesser la vie d’aventures qui l’entraînait dans son tourbillon en lui laissant le vide du cœur. Cependant Maurice avait trouvé un avantage à ses relations avec les femmes qu’il avait connues jusqu’alors, c’était de sentir la différence qui sépare la grande expérience de l’extrême naïveté. L’affection que sa femme lui portait s’était donc présentée à lui avec un parfum de chasteté et de fraîcheur jusqu’alors inconnu. Accoutumé à la voir presque chaque jour, ses yeux jusque là s’étaient portés sur elle sans rien détailler, mais, quand ils furent unis solennellement, quand le prêtre eut parlé à Clotilde de ses devoirs et à Maurice de ses droits l’idée de la possession passa de sa tête à son cœur; un désir craintif et timide le conduisit à l’analyse, et l’analyse lui fit découvrir, dans celle qui était destinée à devenir la compagne de sa vie, des grâces naturelles, des qualités acquises, une aménité si réelle et si douce, que le jeune homme éprouva un enchantement inattendu, et que, pour un moment, il eut des illusions à ce point qu’il se crut amoureux de sa femme. Or, en amour, nous défions le théologien le plus subtil d’établir la différence qu’il y a entre être amoureux et croire qu’on l’est. Au reste, la vie nouvelle que menait Maurice prolongeant son erreur, bientôt les caprices d’un homme qui se range succédèrent à l’étourdissement des premières impressions. À son retour d’Italie, Maurice avait retrouvé le château rebâti et le jardin replanté sur les dessins qu’il avait faits. C’est alors qu’il avait mis l’ancien garde-meuble de la famille au pillage et les meilleurs tapissiers de Paris en œuvre pour loger son bonheur: il avait commencé par l’hôtel de la rue de Varennes, où il avait tout bouleversé, tant il était heureux de détruire le passé pour édifier l’avenir. Le temps ne lui suffisait pas pour tout voir, tout approuver, tout choisir et tout acheter. Encouragé par sa mère, sa grande fortune, en lui permettant de satisfaire à tous ses caprices, entretenait la sérénité et les illusions de son âme. L’hôtel achevé, le tour de la maison de Fontenay était venu. Maurice en avait fait la charmante villa que nous avons vue, de sorte que, sur trois années de mariage, deux années et demie s’étaient passées en voyages, en constructions et en félicité, sans que le plus léger nuage eût obscurci le ciel pur et presque brillant de leur horizon conjugal.

Clotilde était parfaitement heureuse. Pendant les six derniers mois surtout qui s’étaient écoulés, les soins, sinon l’amour de Maurice, avaient paru redoubler pour elle. Ses sorties étaient plus fréquentes, il est vrai; mais, à chaque retour, il lui rapportait quelques chinoiserie de Gansberg, quelque charmante aquarelle achetée chez Susse, quelque merveilleux bijou rêvé par Marlé. D’ailleurs, les prétextes ne manquaient pas. Il fallait aller faire des armes chez lord S…; on était invité à chasser à Couvray avec le comte de L…; on dînait en garçons au café de Paris avec le duc de G… ou le comte de B…; puis, brochant sur le tout, venait le Jockey Club, cet éternel et merveilleux complice des amants qui se détachent ou des maris qui s’ennuient. Clotilde acceptait toutes ces excuses, qu’elle ne demandait même pas. Sa vie s’écoulait douce, paisible, uniforme, sans langueur et sans émotion, sans soupçon et sans ennui. Quand il fallait aller dans le monde, son mari n’était-il pas toujours là pour l’y conduire? et dans le monde ne paraissait-il pas toujours le même Maurice qu’elle avait connu galant et empressé? Toutes les femmes qui l’entouraient lui portaient envie en la voyant si belle et en la croyant si aimée. Madame de Neuilly, sa cousine la plus cruelle et la plus implacable révélatrice de tous ces petits secrets qui torturent le cœur d’une femme, ne la venait-elle pas voir tous les quinze jours sans avoir jamais trouvé l’occasion de lui dénoncer un mauvais procédé de son mari? Clotilde, comme nous l’avons dit, était donc parfaitement heureuse.

De son côté, madame de Barthèle ne voyait plus une fois le comte de Montgiroux, qu’elle ne s’applaudit avec lui de ce parti plein de sagesse qu’ils avaient pris de marier les deux jeunes gens.

On en était donc arrivé à ce point de félicité intérieure que l’on sentait qu’elle ne pouvait plus croître, lorsqu’on s’aperçut, du jour au lendemain, d’un immense changement dans le caractère de Maurice. Il devint rêveur, puis mélancolique; puis il tomba dans un marasme profond, qu’il n’essaya pas même de combattre, et que ne purent dissiper ni les soins de sa mère ni les caresses de sa femme. Bientôt cet état d’atonie donna d’assez vives inquiétudes pour qu’on envoyât chercher le médecin. Le docteur vit du premier coup dans ce mal toute la gravité qui existe dans les maladies dont le malade ne veut pas guérir. Il ne cacha point à madame de Barthèle qu’une grave affection morale était le principe de cette maladie. Madame de Barthèle interrogea le baron de Barthèle, homme du monde, comme elle eût interrogé Maurice écolier, croyant, comme toutes les mères, que son enfant ne devait point avoir de secret pour elle; mais Maurice, au grand étonnement de la baronne avait gardé son secret, tout en niant, il est vrai, que ce secret existât. Enfin, il en était arrivé à ce point que son état donnât les graves inquiétudes que nous avons entendu madame de Barthèle exprimer au comte de Montgiroux dès le commencement de cette histoire, inquiétudes que le grave pair de France, nous sommes forcé de l’avouer, n’avait peut être point partagées avec toute la sympathie que lui commandaient cependant les liens secrets qui l’unissaient à la famille.