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Hector ne répondait toujours pas.

– Tant que durera l’argent, continuait Jenny, nous rirons. Quand il n’y en aura plus, si tu es toujours décidé, tu te tueras, c’est-à-dire, nous nous tuerons ensemble. Mais pas avec un pistolet, n’est-ce pas cela doit faire trop de mal. Nous allumerons un grand réchaud de charbon, nous nous endormirons dans les bras l’un de l’autre, et tout sera dit. Il paraît qu’on ne souffre pas du tout. Une de mes amies qui avait déjà perdu connaissance quand on a enfoncé sa porte, m’a dit qu’elle n’avait rien senti, qu’un peu de mal à la tête.

Cette proposition tira Hector de l’engourdissement voluptueux où l’avaient maintenu les regards et l’étreinte de sa maîtresse.

Elle réveillait en lui un souvenir qui froissait toutes ses vanités de gentilhomme et de viveur.

Trois ou quatre jours auparavant, il avait lu, dans un journal, le récit du suicide d’un marmiton de chez Vachette qui, dans un accès de désespoir amoureux, avait dérobé chez son patron un réchaud, et était allé s’asphyxier bravement dans son taudis. Même, avant de mourir, il avait écrit à son infidèle, une lettre très touchante.

Cette idée de finir comme le cuisinier le fit frémir. Il entrevit la possibilité d’une comparaison horrible. Quel ridicule! Et le comte de Trémorel qui avait passé sa vie à faire profession de tout braver, avait une peur folle du ridicule.

Aller se faire périr par le charbon à Belleville, avec une grisette. Horreur!

Il dénoua presque brutalement les bras de miss Fancy et la repoussa.

– Assez de sentiment comme cela, dit-il de son ton d’autrefois. Tout ce que tu dis, ma chère enfant, est fort joli, mais complètement absurde. Un homme de mon nom ne déchoit pas, il meurt.

En retirant de sa poche les billets qu’y avait glissés miss Fancy, il les rejeta sur la table.

– Allons, adieu!

Il voulait sortir, mais rouge, échevelée, l’œil flamboyant de résolution, Jenny courut se placer devant la porte.

– Tu ne sortiras pas, cria-t-elle, je ne veux pas, tu es à moi, entends-tu, puisque je t’aime; si tu fais un pas, j’appelle.

Le comte de Trémorel haussa les épaules.

– Il faut pourtant en finir, dit-il.

– Tu ne passeras pas.

– Fort bien! ce sera donc ici que je me ferai sauter la cervelle.

Et sortant un de ses pistolets, il l’appuya contre sa tempe en disant:

– Si tu appelles, si tu ne me laisses pas le passage libre, je tire.

Si miss Fancy eut appelé, très certainement le comte de Trémorel eût pressé la détente, il était mort. Mais elle n’appela pas, elle ne le put, elle poussa un grand cri et tomba évanouie.

– Enfin! fit Hector, remettant son arme dans sa poche.

Aussitôt, sans prendre le soin de relever sa maîtresse qui gisait à terre, il sortit, refermant la porte à double tour.

Puis, dans l’antichambre, ayant appelé les domestiques, il leur remit dix louis pour se les partager et s’éloigna rapidement.

13

Arrivé dans la rue, le comte de Trémorel s’apprêtait à remonter le boulevard, lorsque l’idée de ses amis traversa son esprit. L’histoire de sa saisie, colportée par ses gens, devait déjà courir la ville.

– Non, pas par là, murmura-t-il.

C’est qu’en effet, de ce côté, il rencontrerait infailliblement quelqu’un de ses «très chers» et il lui semblait entendre les compliments de condoléances et les ridicules offres de service.

Il voyait les grimaces contrites dissimulant mal une intime et délicieuse satisfaction. Il avait, en sa vie, blessé tant de vanités, écrasé tant d’amours-propres, qu’il devait s’attendre à de terribles représailles.

Et pourquoi ne pas tout dire? Les amis d’un homme que favorise une insolente prospérité, ressemblent tous, plus ou moins – volontairement ou sans s’en douter – à cet excentrique Anglais qui suivait un dompteur de bêtes féroces avec le doux espoir de le voir dévorer. La fortune, aussi, dévore parfois ceux qui la domptent.

Hector traversa donc la chaussée, prit la rue Duphot et gagna les quais.

Où allait-il? Il n’en savait rien, il ne se le demandait même pas.

Il marchait au hasard, longeant les parapets, respirant à pleins poumons l’air pur et vif, savourant cette béatitude physique qui suit un bon repas, heureux de se sentir vivre, aux tièdes rayons du soleil d’avril. Le temps était splendide, et Paris entier était dehors. La ville avait un air de fête, les flâneurs encombraient les rues, la foule affairée ralentissait sa course, toutes les femmes étaient jolies. À un angle des ponts, des marchandes tenaient leur éventaire de violettes qui embaumaient.

Près du Pont-Neuf, le comte acheta un de ces bouquets qu’on crie à dix centimes, et le passa à sa boutonnière. Il jeta vingt sous à la marchande, et sans attendre qu’on lui rendît la monnaie, il continua sa route.

Arrivé à cette grande place qui est au bout du boulevard Bourbon, et qui est toujours encombrée de saltimbanques et de montreurs de curiosités en plein vent, la foule, le bruit, le déchirement des musiques, l’arrachèrent à sa torpeur, le ramenant brusquement à la situation présente.

«Il s’agit, pensa-t-il, de quitter Paris.»

Et, d’un pas plus rapide, il s’achemina vers la gare d’Orléans, dont on aperçoit les bâtiments en face, de l’autre côté de la Seine.

Arrivé à la salle de départ, il demanda l’heure d’un train pour Étampes. Pourquoi choisissait-il Étampes?

Il lui fut répondu qu’un train venait de partir, il n’y avait pas cinq minutes, et qu’il n’y en aurait pas d’autre avant deux heures.

Il éprouva une vive contrariété, et comme il ne pouvait rester là deux heures à attendre, il sortit, et, pour tuer le temps, il entra au Jardin des Plantes.

Certes, il y avait bien dix ou douze ans qu’il n’y avait mis les pieds. Il n’y était pas venu depuis le temps où, lorsqu’il était au lycée, on y conduisait les élèves, les jours de promenade, pour visiter la ménagerie ou jouer aux barres.

Rien n’avait changé. C’étaient bien les mêmes marronniers, les mêmes treillages vermoulus, les mêmes petites allées coupant des carrés pleins de plantes portant leur nom sur une étiquette au bout d’une tige de fil de fer.

Les grandes allées de ce côté étaient presque désertes. Il s’assit sur un banc en face du musée de minéralogie. Qui sait! Peut-être lorsqu’il était au lycée, dix ans plus tôt, las de courir, de s’amuser, il était venu se reposer sur ce même banc.

Entre ce temps et aujourd’hui, quelle différence!