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– Madame la duchesse, mon cheval est sellé, je passe pour savoir manier un cheval, et je cours ventre à terre, je serai à la citadelle huit minutes avant vous.

– Et moi, madame la duchesse, s’écria le prince, je vous demande quatre de ces huit minutes.

L’aide de camp avait disparu, c’était un homme qui n’avait pas d’autre mérite que celui de monter à cheval. A peine eut-il refermé la porte, que le jeune prince, qui semblait avoir du caractère, saisit la main de la duchesse.

– Daignez, madame, lui dit-il avec passion, venir avec moi à la chapelle.

La duchesse, interdite pour la première fois de sa vie, le suivit sans mot dire. Le prince et elle parcoururent en courant toute la longueur de la grande galerie du palais, la chapelle se trouvant à l’autre extrémité. Entré dans la chapelle, le prince se mit à genoux, presque autant devant la duchesse que devant l’autel.

– Répétez le serment, dit-il avec passion; si vous aviez été juste, si cette malheureuse qualité de prince ne m’eût pas nui, vous m’eussiez accordé par pitié pour mon amour ce que vous me devez maintenant parce que vous l’avez juré.

– Si je revois Fabrice non empoisonné, s’il vit encore dans huit jours, si Son Altesse le nomme coadjuteur avec future succession de l’archevêque Landriani, mon honneur, ma dignité de femme, tout par moi sera foulé aux pieds, et je serai à Son Altesse.

– Mais, chère amie, dit le prince avec une timide anxiété et une tendresse mélangées et bien plaisantes, je crains quelque embûche que je ne comprends pas, et qui pourrait détruire mon bonheur; j’en mourrais. Si l’archevêque m’oppose quelqu’une de ces raisons ecclésiastiques qui font durer les affaires des années entières, qu’est-ce que je deviens? Vous voyez que j’agis avec une entière bonne foi; allez-vous être avec moi un petit jésuite?

– Non: de bonne foi, si Fabrice est sauvé, si, de tout votre pouvoir, vous le faites coadjuteur et futur archevêque, je me déshonore et je suis à vous.

«Votre Altesse s’engage à mettre “approuvé” en marge d’une demande que monseigneur l’archevêque vous présentera d’ici à huit jours.

– Je vous signe un papier en blanc, régnez sur moi et sur mes Etats, s’écria le prince rougissant de bonheur et réellement hors de lui. Il exigea un second serment. Il était tellement ému, qu’il en oubliait la timidité qui lui était si naturelle, et, dans cette chapelle du palais où ils étaient seuls, il dit à voix basse à la duchesse des choses qui, dites trois jours auparavant, auraient changé l’opinion qu’elle avait de lui. Mais chez elle le désespoir que lui causait le danger de Fabrice avait fait place à l’horreur de la promesse qu’on lui avait arrachée.

La duchesse était bouleversée de ce qu’elle venait de faire. Si elle ne sentait pas encore toute l’affreuse amertume du mot prononcé, c’est que son attention était occupée à savoir si le général Fontana pourrait arriver à temps à la citadelle.

Pour se délivrer des propos follement tendres de cet enfant et changer un peu le discours, elle loua un tableau célèbre du Parmesan, qui était au maître-autel de cette chapelle.

– Soyez assez bonne pour me permettre de vous l’envoyer, dit le prince.

– J’accepte, reprit la duchesse; mais souffrez que je coure au-devant de Fabrice.

D’un air égaré, elle dit à son cocher de mettre ses chevaux au galop. Elle trouva sur le pont du fossé de la citadelle le général Fontana et Fabrice, qui sortaient à pied.

– As-tu mangé?

– Non, par miracle.

La duchesse se jeta au cou de Fabrice, et tomba dans un évanouissement qui dura une heure et donna des craintes d’abord pour sa vie, et ensuite pour sa raison.

Le gouverneur Fabio Conti avait pâli de colère à la vue du général Fontana: il avait apporté de telles lenteurs à obéir à l’ordre du prince, que l’aide de camp, qui supposait que la duchesse allait occuper la place de maîtresse régnante, avait fini par se fâcher. Le gouverneur comptait faire durer la maladie de Fabrice deux ou trois jours, et voilà, se disait-il, que le général, un homme de la cour, va trouver cet insolent se débattant dans les douleurs qui me vengent de sa fuite.

Fabio Conti, tout pensif, s’arrêta dans le corps de garde du rez-de-chaussée de la tour Farnèse, d’où il se hâta de renvoyez les soldats; il ne voulait pas de témoins à la scène qui se préparait. Cinq minutes après il fut pétrifié d’étonnement en entendant parler Fabrice, et le voyant, vif et alerte, faire au général Fontana la description de la prison. Il disparut.

Fabrice se montra un parfait gentleman dans son entrevue avec le prince. D’abord il ne voulut point avoir l’air d’un enfant qui s’effraie à propos de rien. Le prince lui demandant avec bonté comment il se trouvait:

– Comme un homme, Altesse Sérénissime, qui meurt de faim, n’ayant par bonheur ni déjeuné, ni dîné.

Après avoir eu l’honneur de remercier le prince, il sollicita la permission de voir l’archevêque avant de se rendre à la prison de la ville. Le prince était devenu prodigieusement pâle, lorsque arriva dans sa tête d’enfant l’idée que le poison n’était point tout à fait une chimère de l’imagination de la duchesse. Absorbé dans cette cruelle pensée, il ne répondit pas d’abord à la demande de voir l’archevêque, que Fabrice lui adressait; puis il se crut obligé de réparer sa distraction par beaucoup de grâces.

– Sortez seul, monsieur, allez dans les rues de ma capitale sans aucune garde. Vers les dix ou onze heures vous vous rendrez en prison, où j’ai l’espoir que vous ne resterez pas longtemps.

Le lendemain de cette grande journée, la plus remarquable de sa vie, le prince se croyait un petit Napoléon; il avait lu que ce grand homme avait été bien traité par plusieurs des jolies femmes de sa cour. Une fois Napoléon par les bonnes fortunes, il se rappela qu’il l’avait été devant les balles. Son cœur était encore tout transporté de la fermeté de sa conduite avec la duchesse. La conscience d’avoir fait quelque chose de difficile en fit un tout autre homme pendant quinze jours; il devint sensible aux raisonnements généreux; il eut quelque caractère.

Il débuta ce jour-là par brûler la patente de comte dressée en faveur de Rassi, qui était sur son bureau depuis un mois. Il destitua le général Fabio Conti, et demanda au colonel Lange, son successeur, la vérité sur le poison. Lange, brave militaire polonais, fit peur aux geôliers, et dit au prince qu’on avait voulu empoisonner le déjeuner de M. del Dongo; mais il eût fallu mettre dans la confidence un trop grand nombre de personnes. Les mesures furent mieux prises pour le dîner; et, sans l’arrivée du général Fontana, M. del Dongo était perdu. Le prince fut consterné; mais, comme il était réellement fort amoureux, ce fut une consolation pour lui de pouvoir se dire: «Il se trouve que j’ai réellement sauvé la vie à M. del Dongo, et la duchesse n’osera pas manquer à la parole qu’elle m’a donnée.» Il arriva à une autre idée: «Mon métier est bien plus difficile que je ne le pensais; tout le monde convient que la duchesse a infiniment d’esprit, la politique est ici d’accord avec mon cœur. Il serait divin pour moi qu’elle voulût être mon premier ministre.»