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– Eh bien, le père Schedoni?…

– On ne l’a pas trouvé non plus, madame. Il a sans doute beaucoup de pratiques, et il faut qu’il écoute tous les péchés qui se commettent… Enfin, il n’a pas pu venir à temps; alors, on est allé chercher un autre confesseur. Celui-ci est resté longtemps enfermé avec la marquise, puis elle a fait venir le marquis. On a entendu de l’antichambre beaucoup de bruit, et la voix de la mourante dominait souvent malgré son état. À la fin le bruit cessa et le marquis sortit de la chambre fort en colère, et pourtant fort triste. La marquise vécut encore cette nuit-là et une partie du jour suivant. Elle paraissait accablée d’un poids qui lui brisait le cœur. Tantôt elle sanglotait, tantôt elle poussait des gémissements à fendre l’âme. Elle redemanda encore le marquis, et leurs entretiens duraient longtemps… On rappela aussi le confesseur, et tous trois demeurèrent enfermés pendant plus d’une heure. La marquise parut alors avoir recouvré quelque tranquillité, et bientôt après elle expira.

Elena, qui avait écouté attentivement ce récit, allait poser à Béatrice de nouvelles questions, lorsque sœur Olivia entra chez elle. Celle-ci, voyant une personne étrangère, se disposait à se retirer, mais Elena la pria de rester et de s’asseoir devant son métier à broder, pendant qu’elle achèverait de faire parler la vieille servante. Puis voulant éclaircir le mystère de l’absence de Schedoni, elle demanda à Béatrice si elle avait revu l’étranger qui l’avait ramené à la villa Altieri.

– Non, madame, répondit Béatrice, je n’ai jamais revu sa figure depuis ce jour-là. Et je dois dire franchement que je ne m’en souciais guère, tant elle m’a paru peu aimable.

Tandis que Béatrice parlait, sœur Olivia, qui s’était levée à demi de son siège, la considérait avec une grande attention.

– Assurément je connais cette voix, dit la religieuse vivement émue, quoique je ne reconnaisse pas bien les traits. Est-ce elle? Est-il possible? Est-ce Béatrice Olca à qui je parle après tant d’années?

Béatrice répondit avec une égale surprise:

– Oui, c’est moi, madame, vous dites bien mon nom. Mais, vous, qui donc êtes-vous?

La vieille femme, en parlant ainsi, tenait les yeux attachés sur sœur Olivia. L’étonnement et l’effroi se peignaient sur ses traits, cependant que le visage de la religieuse changeait d’expression à chaque instant et que les paroles prêtes à sortir expiraient sur ses lèvres tremblantes.

– Ah! s’écria Béatrice, mes yeux me trompent-ils? Quelle étrange ressemblance, sainte Vierge! J’ai peine à me soutenir…

Sœur Olivia, qui s’était tournée vers Elena et la regardait fixement, parut en proie à un sentiment profond, comme si elle hésitait entre un doute ou une espérance. Montrant la jeune fille, elle murmura d’une voix sourde et à peine articulée:

– Béatrice, je vous en conjure, dites-moi si elle est… si c’est elle qui…

Et elle ne put achever.

Béatrice, occupée à la considérer, s’écria au lieu de lui répondre:

– Madame la comtesse! Oui, c’est vous! C’est bien vous! Au nom du ciel, madame, comment êtes-vous ici? Oh! quelle joie vous avez dû éprouver à vous retrouver l’une près de l’autre!

Elena cherchait le sens de ces paroles, quand elle se sentit pressée contre le sein de la religieuse qui les avait mieux comprises et qui l’entourait de ses bras tremblants. Cela qui la déroutait un peu excita l’étonnement de Béatrice.

– Est-il possible, dit-elle, que vous ne vous soyez pas encore reconnues?

– Mais, mon Dieu, de quelle reconnaissance, parle-t-elle? dit la jeune fille à sœur Olivia. Déjà, il y a peu de temps que j’ai retrouvé mon père… Mais vous! Ah! dites-moi de quel nom je dois vous appeler!

L’étonnement suspendit les émotions de sœur Olivia, tandis qu’Elena, confuse d’avoir trahi le secret de Schedoni, gardait un silence embarrassé. Mais la religieuse, passant de la surprise à l’expression d’une profonde douleur, dit à Elena en la tenant embrassée:

– Votre père, dites-vous? Non, mon enfant, non, votre père n’est plus.

Elena, au comble de la stupeur, cessa de rendre à sœur Olivia ses caresses. Elle la considérait d’un air égaré et murmura, enfin, comme si elle sortait d’un songe:

– Ai-je bien compris? Ai-je bien ma raison? Est-ce donc ma mère que je vois?

– Oui, répondit sœur Olivia d’un accent solennel. Oui, c’est ta mère et sa bénédiction est avec toi!

Elena tomba dans les bras de sa mère qui s’efforça de calmer son agitation, quoique dominée elle-même par mille émotions nouvelles. Longtemps elles ne purent l’une et l’autre s’exprimer que par des mots entrecoupés et par des larmes de tendresse et de joie. Enfin sœur Olivia, redevenue maîtresse d’elle-même, demanda des nouvelles de sa sœur, la signora Bianchi. Le silence et les pleurs d’Elena lui répondirent. Sœur Olivia, vivement affectée de cette nouvelle, avoua qu’elle s’y attendait n’ayant reçu aucune réponse de sa sœur à la lettre où elle lui annonçait sa prochaine arrivée au couvent de la Pietà.

– Hélas, dit Béatrice, je m’étonne que madame l’abbesse ne vous ait pas appris cette triste nouvelle. Elle la savait bien, car ma pauvre maîtresse est enterrée dans son église. Quant à la lettre, je l’ai apportée ici pour la remettre à la signora Elena.

– Madame l’abbesse, répondit sœur Olivia, n’est pas instruite de notre parenté, et j’ai des raisons pour la lui cacher encore quelque temps. Vous-même, ma chère enfant, vous ne devez être ici que mon amie jusqu’à ce que j’aie fait quelques recherches dont dépend ma tranquillité.

Sœur Olivia pressa ensuite Elena d’expliquer les paroles qui lui étaient échappées sur la découverte qu’elle aurait faite de son père, et mit ainsi la jeune fille dans une grande perplexité. Elena en avait déjà trop dit pour garder le secret que Schedoni avait exigé d’elle; elle vit bien qu’il fallait donner à sœur Olivia une explication complète. Dès que Béatrice se fut retirée, elle répéta ce qu’elle avait dit, c’est que son père vivait encore. Et comme sœur Olivia stupéfaite répondait par le récit des derniers moments du comte de Bruno, son époux, Elena, pour la convaincre, rappela quelques circonstances de sa dernière entrevue avec Schedoni et prit dans un tiroir le portrait qu’il lui avait dit être le sien. Mais sœur Olivia y eut à peine jeté un coup d’œil qu’elle pâlit et tomba sans connaissance.

Les soins empressés de sa fille lui rendirent bientôt l’usage de ses sens, et elle demanda à revoir le portrait. Elena, qui attribuait cet évanouissement au saisissement de la surprise et de la joie, lui remit l’image sous les yeux, en l’assurant de nouveau, non seulement que le comte vivait, mais encore qu’il était à Naples et qu’elle le reverrait sans doute avant la fin de la journée. Car, dit-elle, elle avait envoyé un messager à son père pour le conjurer de venir sur-le-champ afin de jouir du bonheur de se retrouver en famille.

En annonçant à sa mère la prochaine arrivée de Schedoni, Elena s’attendait à voir sur la physionomie de celle-ci une expression de joie et de tendresse; quel ne fut pas son étonnement quand elle n’y lut que le désespoir et l’effroi et qu’elle entendit sa mère s’écrier avec épouvante: