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– Sans remède, madame? reprit Schedoni. N’est-ce pas trop dire?

– Quoi donc, mon père? dit la marquise. Resterait-il quelques moyens?

– Peut-être, articula le moine à voix basse.

– Ah! dites-les, mon père, dites-les vite, car je n’en imagine aucun.

Schedoni parut se recueillir quelques instants, puis il reprit lentement, en calculant l’effet de chacune de ses paroles:

– Vous excuserez mon trouble, madame. Mais comment puis-je voir une famille si respectable par son ancienneté et son illustration réduite à une telle affliction, sans ressentir l’indignation la plus profonde et sans être tenté de recourir à des moyens… même violents, pour la préserver d’une telle honte.

– Eh! quels moyens? s’écria la marquise, puisqu’il n’y a pas de loi pour punir des mariages si criminels!

– Voilà qui est triste! reprit Schedoni.

– Et pourtant, continua la marquise, la femme qui s’introduit dans une famille pour la déshonorer n’est-elle pas aussi coupable que celle qui aurait commis un crime d’État? Car c’en est un que d’insulter et d’avilir la noblesse, le premier soutien de l’État. Ne mérite-t-elle pas d’être punie d’une peine presque égale?

– D’une peine presque égale, madame? reprit Schedoni. Ce n’est pas assez. Dites de la même peine.

Et il fit encore une pause.

– En vérité, ajouta-t-il en donnant à sa voix creuse un accent encore plus sinistre, il n’y a que la mort, oui, la mort, qui puisse effacer le déshonneur d’une famille dont le blason est ainsi traîné dans la boue!

La marquise tressaillit. Il continua d’un ton grave:

– La justice naturelle n’en existe pas moins, quoique ses lois ne soient pas toujours écrites. Nous en avons le sentiment dans nos cœurs; et quand nous n’y obéissons pas, c’est faiblesse et non pas vertu.

– Assurément, dit la marquise, et c’est là une vérité qui n’a jamais été mise en doute.

– Pardonnez-moi, madame, reprit l’artificieux sophiste, ce doute a lieu quelquefois. Lorsque nos préjugés sont en opposition avec ce sentiment de justice, nous sommes portés à croire que c’est vertu que de désobéir à sa voix. Vous, par exemple, vous, ma fille, quoique douée d’un esprit mâle et juste, parce que les lois écrites ne condamnent pas cette fille dont la justice a prononcé la sentence, vous croiriez commettre un crime en vous faisant son juge. Ce serait donc à la crainte que vous obéiriez et non pas à l’amour de la justice.

– Ah! mon père, murmura la marquise, quelle est donc votre pensée?

– Je crois vous l’avoir dite, réplique Schedoni, et mes paroles n’ont pas besoin d’autre explication.

La marquise demeura pensive et silencieuse. Son âme n’était pas encore familiarisée avec le crime et l’action que Schedoni lui faisait entrevoir l’épouvantait. Elle n’osait y arrêter sa pensée, encore moins l’appeler par son nom. Cependant son orgueil était si irrité et son désir de vengeance si ardent que ces passions soulevaient dans son âme une véritable tempête, prête à emporter tout ce qui y restait d’humain. Schedoni observait ces mouvements et en mesurait les progrès.

– C’est donc votre opinion, mon père, reprit la marquise après un long silence, qu’Elena… que cette artificieuse fille mérite… mérite une sévère punition?

– Certainement, répliqua Schedoni. Et cette opinion n’est-elle pas aussi la vôtre?

– Ainsi, continua la marquise, vous pensez qu’aucune peine ne saurait être trop sévère? que la justice et la nécessité demandent… Quoi?… Sa mort? N’est-ce pas là ce que vous avez dit?

– Moi, madame? Pardonnez. Je puis être égaré par le soin de votre bonheur; je n’ai prétendu énoncer qu’un avis dicté par mon zèle et par la justice, et si je me suis laissé emporter trop loin…

– Alors, mon père, vous ne pensez donc pas?… dit la marquise avec humeur.

– Madame, je n’ai plus aucun avis à émettre. Je laisse à votre bon esprit le soin de décider avec sa justesse ordinaire.

Et, disant ces mots, il se leva pour se retirer.

La marquise, toute troublée, voulut l’arrêter; mais il s’excusa, alléguant un devoir religieux.

– Eh bien donc, dit-elle, je ne vous retiens pas, mon père, mais vous savez le cas que je fais de vos avis. Et j’espère que vous ne me les refuserez pas lorsque le moment sera venu.

– Je ne puis que m’honorer de votre confiance, dit le confesseur.

– À demain soir, dit la marquise gravement. J’irai aux vêpres à San Nicolo et, après l’office, je me rendrai dans le cloître. Là nous pourrons nous entretenir sans témoins. Bonsoir, mon père.

– La paix soit avec vous, ma fille, et que la sagesse vous inspire!

Il croisa ses mains sur sa poitrine, et fit un profond salut à la marquise qui demeura seule aux prises avec ses passions tumultueuses.

Le lendemain, à l’heure convenue, la marquise se rendit à San Nicolo et, laissant ses domestiques et son carrosse à une porte latérale, elle entra dans l’église, suivie seulement d’une femme de chambre. Les vêpres achevées, elle attendit que tout le monde fût sorti et pénétra alors dans le cloître. Son cœur était oppressé et sa démarche chancelante. Elle aperçut bientôt Schedoni qui venait à elle. Le confesseur reconnut au premier coup d’œil qu’elle n’avait pas encore pris sa résolution; mais, quoiqu’il en conçût quelque inquiétude, sa contenance n’en fut pas altérée; il raffermit sa démarche et adoucit l’éclat perçant de ses yeux noirs.

– Mon père, dit la marquise en l’abordant, je ne puis goûter un moment de repos. L’image de ce fils ingrat m’obsède nuit et jour; je ne trouve de soulagement que dans mes entretiens avec vous, mon unique conseil et mon seul ami désintéressé.

Le confesseur s’inclina.

– Pourtant, dit-il d’un air humble, M. le marquis est aussi affecté que vous de cet événement. N’est-ce pas lui plutôt que moi qu’il serait convenable de consulter sur un sujet si délicat?

– Ah! mon père, vous savez que le marquis est rempli de préjugés. C’est un homme sensé, mais qui se trompe quelquefois et qui ne revient jamais d’une erreur. S’il s’agit d’adopter un plan qui s’écarte quelque peu des règles de morale commune dont il a reçu les principes dans son enfance, il résiste sans distinguer les circonstances qui rendent la même action vertueuse ou criminelle. Je n’ose donc pas le consulter, de peur d’une objection qui nous arrêterait. Aussi ce que nous disons là doit-il rester entre nous, mon père. Je compte sur votre discrétion.

– Ah! madame, comme sur le secret de la confession.

La marquise reprit en hésitant:

– À vrai dire, je ne sais par quel moyen on pourrait être délivré de cette créature. Voilà bien ce qui me tourmente.