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«Tu vas me faire le plaisir, reprit Fergusson, de jeter une certaine quantité de ce minerai à terre.

– Mais, monsieur, vous m’avez permis…

– Je t’ai permis de remplacer le lest, voilà tout.

– Cependant…

– Veux-tu donc que nous restions éternellement dans ce désert!»

Joe jeta un regard désespéré vers Kennedy; mais le chasseur prit l’air d’un homme qui n’y pouvait rien.

«Eh bien, Joe?

– Votre chalumeau ne fonctionne donc pas? reprit l’entêté.

– Mon chalumeau est allumé, tu le vois bien! mais le ballon ne s’enlèvera que lorsque tu l’auras délesté un peu.»

Joe se gratta l’oreille, prit un fragment de quartz, le plus petit de tous, le pesa, le repesa, le fit sauter dans ses mains; c’était un poids de trois ou quatre livres; il le jeta.

Le Victoria ne bougea pas.

«Hein! fit-il, nous ne montons pas encore.

– Pas encore, répondit le docteur. Continue.»

Kennedy riait. Joe jeta encore une dizaine de livres. Le ballon demeurait toujours immobile. Joe pâlit.

«Mon pauvre garçon, dit Fergusson, Dick, toi et moi, nous pesons, si je ne me trompe, environ quatre cents livres; il faut donc te débarrasser d’un poids au moins égal au nôtre, puisqu’il nous remplaçait.

– Quatre cents livres à jeter! s’écria Joe piteusement.

– Et quelque chose avec pour nous enlever. Allons, courage!»

Le digne garçon, poussant de profonds soupirs, se mit à délester le ballon. De temps en temps il s’arrêtait:

«Nous montons! disait-il.

– Nous ne montons pas, lui était-il invariablement répondu.

– Il remue, dit-il enfin.

– Va encore, répétait Fergusson.

– Il monte! j’en suis sûr.

– Va toujours», répliquait Kennedy.

Alors Joe, prenant un dernier bloc avec désespoir, le précipita en dehors de la nacelle. Le Victoria s’éleva d’une centaine de pieds, et, le chalumeau aidant, il dépassa bientôt les cimes environnantes.

«Maintenant, Joe, dit le docteur, il te reste encore une jolie fortune, si nous parvenons à garder cette provision jusqu’à la fin du voyage, et tu seras riche pour le reste de tes jours.»

Joe ne répondit rien et s’étendit moelleusement sur son lit de minerai.

«Vois, mon cher Dick, reprit le docteur, ce que peut la puissance de ce métal sur le meilleur garçon du monde. Que de passions, que d’avidités, que de crimes enfanterait la connaissance d’une pareille mine! Cela est attristant.»

Au soir, le Victoria s’était avancé de quatre-vingt-dix milles dans l’ouest; il se trouvait alors en droite ligne à quatorze cents milles de Zanzibar.

XXIV

Le vent tombe. – Les approches du désert. – Le décompte de la provision d’eau. – Les nuits de l’équateur. – Inquiétudes de Samuel Fergusson. – La situation telle qu’elle est. – Énergiques réponses de Kennedy et de Joe. – Encore une nuit.

Le Victoria, accroché à un arbre solitaire et presque desséché, passa la nuit dans une tranquillité parfaite; les voyageurs purent goûter un peu de ce sommeil dont ils avaient si grand besoin; les émotions des journées précédentes leur avaient laissé de tristes souvenirs.

Vers le matin, le ciel reprit sa limpidité brillante et sa chaleur. Le ballon s’éleva dans les airs; après plusieurs essais infructueux, il rencontra un courant, peu rapide d’ailleurs, qui le porta vers le nord-ouest.

«Nous n’avançons plus, dit le docteur; si je ne me trompe, nous avons accompli la moitié de notre voyage à peu près en dix jours; mais, au train dont nous marchons, il nous faudra des mois pour le terminer. Cela est d’autant plus fâcheux que nous sommes menacés de manquer d’eau.

– Mais nous en trouverons, répondit Dick; il est impossible de ne pas rencontrer quelque rivière, quelque ruisseau, quelque étang, dans cette vaste étendue de pays.

– Je le désire.

– Ne serait-ce pas le chargement de Joe qui retarderait notre marche?»

Kennedy parlait ainsi pour taquiner le brave garçon; il le faisait d’autant plus volontiers, qu’il avait un instant éprouvé les hallucinations de Joe; mais, n’en ayant rien fait paraître, il se posait en esprit fort; le tout en riant, du reste.

Joe lui lança un coup d’œil piteux. Mais le docteur ne répondit pas. Il songeait, non sans de secrètes terreurs, aux vastes solitudes du Sahara; là, des semaines se passant sans que les caravanes rencontrent un puits où se désaltérer. Aussi surveillait-il avec la plus soigneuse attention les moindres dépressions du sol.

Ces précautions et les derniers incidents avaient sensiblement modifié la disposition d’esprit des trois voyageurs; ils parlaient moins; ils s’absorbaient davantage dans leurs propres pensées.

Le digne Joe n’était plus le même depuis que ses regards avaient plongé dans cet océan d’or; il se taisait; il considérait avec avidité ces pierres entassées dans la nacelle sans valeur aujourd’hui, inestimables demain.

L’aspect de cette partie de l’Afrique était inquiétant d’ailleurs. Le désert se faisait peu à peu. Plus un village, pas même une réunion de quelques huttes. La végétation se retirait. À peine quelques plantes rabougries comme dans les terrains bruyéreux de l’Écosse, un commencement de sables blanchâtres et des pierres de feu, quelques lentisques et des buissons épineux. Au milieu de cette stérilité, la carcasse rudimentaire du globe apparaissant en arêtes de roches vives et tranchantes. Ces symptômes d’aridité donnaient à penser au docteur Fergusson.

Il ne semblait pas qu’une caravane eût jamais affronté cette contrée déserte; elle aurait laissé des traces visibles de campement, les ossements blanchis de ses hommes ou de ses bêtes. Mais rien. Et l’on sentait que bientôt une immensité de sable s’emparerait de cette région désolée.

Cependant on ne pouvait reculer; il fallait aller en avant; le docteur ne demandait pas mieux; il eut souhaité une tempête pour l’entraîner au-delà de ce pays. Et pas un nuage au ciel! À la fin de cette journée, le Victoria n’avait pas franchi trente milles.

Si l’eau n’eut pas manqué! Mais il en restait en tout trois gallons [44]! Fergusson mit de côté un gallon destiné à étancher la soif ardente qu’une chaleur de quatre-vingt-dix degrés [45] rendait intolérable; deux gallons restaient donc pour alimenter le chalumeau; ils ne pouvaient produire que quatre cent quatre-vingts pieds cubes de gaz; or le chalumeau en dépensait neuf pieds cubes par heure environ; on ne pouvait donc plus marcher que pendant cinquante-quatre heures. Tout cela était rigoureusement mathématique.

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[44] Treize litres et demi environ.

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[45] 50° centigrades.