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– Tu as raison, Samuel, nous devons tout sacrifier pour le sauver!

– Agissons donc, et disposez ces sacs sur le bord de la nacelle, de façon à ce qu’ils puissent être précipités d’un seul coup.

– Mais cette obscurité?

– Elle cache nos préparatifs, et ne se dissipera que lorsqu’ils seront terminés. Ayez soin de tenir toutes les armes à portée de notre main. Peut-être faudra-t-il faire le coup de feu; or nous avons pour la carabine un coup, pour les deux fusils quatre, pour les deux revolvers douze, en tout dix-sept, qui peuvent être tirés en un quart de minute. Mais peut-être n’aurons-nous pas besoin de recourir à tout ce fracas. Êtes-vous prêts?

– Nous sommes prêts», répondit Joe.

Les sacs étaient disposés, les armes étaient en état.

«Bien, fit le docteur. Ayez l’œil à tout. Joe sera chargé de précipiter le lest, et Dick d’enlever le prisonnier; mais que rien ne se fasse avant mes ordres. Joe, va d’abord détacher l’ancre, et remonte promptement dans la nacelle.»

Joe se laissa glisser par le câble, et reparut au bout de quelques instants. Le Victoria rendu libre flottait dans l’air, à peu près immobile.

Pendant ce temps, le docteur s’assura de la présence d’une suffisante quantité de gaz dans la caisse de mélange pour alimenter au besoin le chalumeau sans qu’il fût nécessaire de recourir pendant quelque temps à l’action de la pile de Bunsen; il enleva les deux fils conducteurs parfaitement isolés qui servaient à la décomposition de l’eau; puis, fouillant dans son sac de voyage, il en retira deux morceaux de charbon taillés en pointe, qu’il fixa à l’extrémité de chaque fil.

Ses deux amis le regardaient sans comprendre, mais ils se taisaient; lorsque le docteur eut terminé son travail, il se tint debout au milieu de la nacelle; il prit de chaque main les deux charbons, et en rapprocha les deux pointes.

Soudain, une intense et éblouissante lueur fut produite avec un insoutenable éclat entre les deux pointes de charbon; une gerbe immense de lumière électrique brisait littéralement l’obscurité de la nuit.

«Oh! fit Joe, mon maître!

– Pas un mot», dit le docteur.

XXII

La gerbe de lumière. – Le missionnaire. – Enlèvement dans un rayon de lumière. – Le prêtre Lazariste. – Peu d’espoir. – Soins du docteur. – Une vie d’abnégation. – Passage d’un volcan.

Fergusson projeta vers les divers points de l’espace son puissant rayon de lumière et l’arrêta sur un endroit où des cris d’épouvante se firent entendre. Ses deux compagnons y jetèrent un regard avide.

Le baobab au-dessus duquel se maintenait le Victoria presque immobile s’élevait au centre d’une clairière; entre des champs de sésame et de cannes à sucre, on distinguait une cinquantaine de huttes basses et coniques autour desquelles fourmillait une tribu nombreuse.

À cent pieds au-dessous du ballon se dressait un poteau. Au pied de ce poteau gisait une créature humaine, un jeune homme de trente ans au plus, avec de longs cheveux noirs, à demi nu, maigre, ensanglanté, couvert de blessures, la tête inclinée sur la poitrine, comme le Christ en croix. Quelques cheveux plus ras sur le sommet du crâne indiquaient encore la place d’une tonsure à demi effacée.

«Un missionnaire! un prêtre! s’écria Joe.

– Pauvre malheureux! répondit le chasseur.

– Nous le sauverons, Dick! fit le docteur, nous le sauverons!»

La foule des Nègres, en apercevant le ballon, semblable à une comète énorme avec une queue de lumière éclatante, fut prise d’une épouvante facile à concevoir. À ses cris, le prisonnier releva la tête. Ses yeux brillèrent d’un rapide espoir, et sans trop comprendre ce qui se passait, il tendit ses mains vers ces sauveurs inespérés.

«Il vit! il vit! s’écria Fergusson; Dieu soit loué! Ces sauvages sont plongés dans un magnifique effroi! Nous le sauverons! Vous êtes prêts, mes amis.

– Nous sommes prêts Samuel.

– Joe, éteins le chalumeau.»

L’ordre du docteur fut exécuté. Une brise à peine saisissable poussait doucement le Victoria au-dessus du prisonnier, en même temps qu’il s’abaissait insensiblement avec la contraction du gaz. Pendant dix minutes environ, il resta flottant au milieu des ondes lumineuses. Fergusson plongeait sur la foule son faisceau étincelant qui dessinait çà et là de rapides et vives plaques de lumière. La tribu, sous l’empire d’une indescriptible crainte, disparut peu à peu dans ses huttes, et la solitude se fit autour du poteau. Le docteur avait donc eu raison de compter sur l’apparition fantastique du Victoria qui projetait des rayons de soleil dans cette intense obscurité.

La nacelle s’approcha du sol. Cependant quelques Nègres, plus audacieux, comprenant que leur victime allait leur échapper, revinrent avec de grands cris. Kennedy prit son fusil, mais le docteur lui ordonna de ne point tirer.

Le prêtre, agenouillé, n’ayant plus la force de se tenir debout, n’était pas même lié à ce poteau, car sa faiblesse rendait des liens inutiles. Au moment où la nacelle arriva près du sol, le chasseur, jetant son arme et saisissant le prêtre à bras-le-corps, le déposa dans la nacelle, à l’instant même où Joe précipitait brusquement les deux cents livres de lest.

Le docteur s’attendait à monter avec une rapidité extrême; mais, contrairement à ses prévisions, le ballon, après s’être élevé de trois à quatre pieds au-dessus du sol, demeura immobile!

«Qui nous retient?» s’écria-t-il avec l’accent de la terreur.

Quelques sauvages accouraient en poussant des cris féroces.

«Oh! s’écria Joe en se penchant au dehors. Un de ces maudits Noirs s’est accroché au-dessous de la nacelle!

– Dick! Dick! s’écria le docteur, la caisse à eau!»

Dick comprit la pensée de son ami, et soulevant une des caisses à eau qui pesait plus de cent livres, il la précipita par-dessus le bord.

Le Victoria, subitement délesté, fit un bond de trois cents pieds dans les airs, au milieu des rugissements de la tribu, à laquelle le prisonnier échappait dans un rayon d’une éblouissante lumière.

«Hurrah!» s’écrièrent les deux compagnons du docteur.

Soudain le ballon fit un nouveau bond, qui le porta à plus de mille pieds d’élévation.

«Qu’est-ce donc? demanda Kennedy qui faillit perdre l’équilibre.

«Ce n’est rien! c’est ce gredin qui nous lâche», répondit tranquillement Samuel Fergusson.

Et Joe, se penchant rapidement, put encore apercevoir le sauvage, les mains étendues, tournoyant dans l’espace, et bientôt se brisant contre terre. Le docteur écarta alors les deux fils électriques, et l’obscurité redevint profonde. Il était une heure du matin.