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Les poules et les poussins passèrent sur le tas de fumier et le coq les suivit.

– OEuvre de la Nature! dit-il au concombre. Ces quelques mots convainquirent le concombre que le coq avait de l'éducation et il en oublia même que le coq était en train de le picorer et de le manger. -Quelle belle mort!

Les poules accoururent, les poussins accoururent et vous le savez bien, dès que l'un se met à courir les autres font de même. Les poules caquetaient, les poussins caquetaient et regardaient le coq avec admiration. Ils en étaient fiers, il était de leur famille.

– Cocorico! chanta-t-il. Les poussins deviendront bientôt de grandes poules, il me suffit d'en parler à la basse-cour du monde.

Et les poules caquetèrent et les poussins piaillèrent.

Le coq leur annonça la grande nouvelle.

– Un coq peut pondre un oeuf! Et savez-vous ce qu'il y a dans un tel oeuf? Un basilic! Personne ne supporte le regard d'un basilic! Les hommes le savent, vous le savez aussi, et maintenant vous savez tout ce que j'ai en moi! Je suis un gaillard, je suis le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde!

Et le coq agita ses ailes, secoua sa crête et chanta. Toutes les poules et tous les poussins en eurent froid dans le dos. Et ils étaient très fiers d'avoir un tel gaillard dans la famille, le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde. Les poules caquetèrent, les poussins piaillèrent pour que même le coq de girouette les entende. Et il les entendit, mais cela ne le fit même pas bouger.

– Tout cela n'a aucun sens, se dit le coq de girouette. Jamais le coq de girouette ne pondra un oeuf et je n'en ai pas envie. Si je voulais, je pourrais pondre un oeuf de vent, un oeuf pourri, mais le monde n'en vaut même pas la peine. Tout cela est inutile!… Maintenant, je n'ai même plus envie d'être perché là!

Et le coq se détacha du toit. Mais il ne tua pas le coq de poulailler même si «c'était ce qu'il voulait», affirmèrent les poules. Et quel enseignement en tirerons-nous?

– Il vaut mieux chanter que d'être blasé et se briser!

Les coureurs

Un prix, deux prix même, un premier et un second, furent un jour proposés pour ceux qui montreraient la plus grande vélocité.

C'est le lièvre qui obtint le premier prix.

– Justice m'a été rendue, dit-il; du reste, j'avais assez de parents et d'amis parmi le jury, et j'étais sûr de mon affaire. Mais que le colimaçon ait reçu le second prix, cela, je trouve que c'est presque une offense pour moi.

– Du tout, observa le poteau, qui avait figuré comme témoin lors de la délibération du jury; il fallait aussi prendre en considération la persévérance et la bonne volonté: c'est ce qu'ont affirmé plusieurs personnes respectables, et j'ai bien compris que c'était équitable. Le colimaçon, il est vrai, a mis six mois pour se traîner de la porte au fond du jardin, et les autres six mois pour revenir jusqu'à la porte; mais, pour ses forces c'est déjà une extrême rapidité; aussi dans sa précipitation s'est-il rompu une corne en heurtant une racine. Toute l'année, il n'a pensé qu'à la course et, songez donc, il avait le poids de sa maison sur son dos. Tout cela méritait récompense et voilà pourquoi on lui a donné le second prix.

– On aurait bien pu m'admettre au concours, interrompit l'hirondelle. Je pense que personne ne fend l'air, ne vire, ne tourne avec autant d'agilité que moi. J'ai été au loin, à l'extrémité de la terre. Oui, je vole vite, vite, vite.

– Oui, mais c'est là votre malheur, répliqua le poteau. Vous êtes trop vagabonde, toujours par monts et par vaux. Vous filez comme une flèche à l'étranger quand il commence à geler chez nous. Vous n'avez pas de patriotisme.

– Mais, dit l'hirondelle, si je me niche pendant l'hiver dans les roseaux des tourbières, pour y dormir comme la marmotte tout le temps froid, serai-je une autre fois admise à concourir?

– Oh, certainement! déclara le poteau. Mais il vous faudra apporter une attestation de la vieille sorcière qui règne sur les tourbières, comme quoi vous aurez passé réellement l'hiver dans votre pays et non dans les pays chauds à l'étranger.

– J'aurais bien mérité le premier prix et non le second, grommela le colimaçon. Je sais une chose: ce qui faisait courir le lièvre comme un dératé, c'est la pure couardise; partout, il voit des ennemis et du danger. Moi, au contraire, j'ai choisi la course comme but de ma vie, et j'y ai gagné une cicatrice honorable. Si, donc, quelqu'un était digne du premier prix, c'était bien moi. Mais je ne sais pas me faire valoir, flatter les puissants.

– Écoutez, dit la vieille borne qui avait été membre du jury, les prix ont été adjugés avec équité et discernement. C'est que je procède toujours avec ordre et après mûre réflexion. Voilà déjà sept fois que je fais partie du jury, mais ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai fait admettre mon avis par la majorité.

«Cependant chaque fois je basais mon jugement sur des principes. Tenez, admirez mon système. Cette fois, comme nous étions le 12 du mois, j'ai suivi les lettres de l'alphabet depuis l'a, et j'ai compté jusqu'à douze; j'étais arrivé à l: C'était donc au lièvre que revenait le premier prix. Quant au second, j'ai recommencé mon petit manège; et, comme il était trois heures au moment du vote, je me suis arrêté au c et j'ai donné mon suffrage au colimaçon. La prochaine fois, si on maintient les dates fixées, ce sera l'f qui remportera le premier prix et le d le second. En toutes choses, il faut de la régularité et un point de départ fixe.

– Je suis bien de votre avis, dit le mulet; et si je n'avais pas été parmi le jury, je me serais donné ma voix à moi-même. Car enfin, la vélocité n'est pas tout; il y a encore d'autres qualités, dont il faut tenir compte: par exemple, la force musculaire qui me permet de porter un lourd fardeau tout en trottant d'un bon pas. De cela, il n'était pas question étant donné les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en considération la prudence, la ruse du lièvre, son adresse.

«Ce qui m'a surtout préoccupé, c'était de tenir compte de la beauté, qualité si essentielle. À mérite égal, m'étais-je dit, je donnerai le prix au plus beau. Or qu'y a-t-il au monde de plus beau que les longues oreilles du lièvre, si mobiles, si flexibles? C'est un vrai plaisir que de les voir retomber jusqu'au milieu du dos; il me semblait que je me revoyais tel que j'étais aux jours de ma plus tendre enfance. De cela, il n'était pas question étant donné les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en considération la prudence, la ruse du lièvre, son adresse.

– Pst! dit la mouche, permettez-moi une simple observation. Des lièvres, moi qui vous parle, j'en ai rattrapé pas mal à la course. Je me place souvent sur la locomotive des trains; on y est à son aise pour juger de sa propre vélocité. Naguère, un jeune levraut des plus ingambes, galopait en avant du train; j'arrive et il est bien forcé de se jeter de côté et de me céder la place. Mais il ne se gare pas assez vite et la roue de la locomotive lui enlève l'oreille droite. Voilà ce que c'est que de vouloir lutter avec moi. Votre vainqueur, vous voyez bien comme je le battrais facilement; mais je n'ai pas besoin de prix, moi.

– Il me semble cependant, pensa l'églantine, il me semble que c'est le rayon de soleil qui aurait mérité de recevoir le premier prix d'honneur et aussi le second. En un clin d'oeil, il fait l'immense trajet du soleil à la terre, et il y perd si peu de sa force que c'est lui qui anime toute la nature. C'est à lui que moi, et les roses, mes soeurs, nous devons notre éclat et notre parfum. La haute et savante commission du jury ne paraît pas s'en être doutée. Si j'étais rayon de soleil, je leur lancerais un jet de chaleur qui les rendrait tout à fait fous. Mais je n'irai pas critiquer tout haut leur arrêt. Du reste, le rayon de soleil aura sa revanche; il vivra plus longtemps qu'eux tous.