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Rouletabille aurait bien désiré que la consigne qu’il avait imposée pour l’appartement Darzac fût également suivie pour l’appartement du vieux Bob, mais celui-ci s’y était opposé avec un éclat comique auquel il avait fallu céder. Le vieux Bob ne voulait pas être traité comme un prisonnier et il tenait absolument à entrer chez lui et à en ressortir quand il lui en prenait fantaisie sans avoir à demander sa clef au concierge.

Sa porte resterait ouverte et ainsi il pourrait autant de fois qu’il lui plairait se rendre de sa chambre ou de son salon à son bureau installé dans la tour de Charles le Téméraire sans déranger personne et sans se tourmenter de personne. Pour cela, il fallait encore laisser la porte K ouverte. Il l’exigea et Mrs. Edith donna raison à son oncle sur un ton d’ironie tel, ironie qui s’adressait à la prétention que pouvait avoir Rouletabille de traiter le vieux Bob à l’instar de la fille du professeur Stangerson, que Rouletabille n’insista pas. Mrs. Edith lui avait dit de ses lèvres minces: «Mais, monsieur Rouletabille, mon oncle, lui, ne craint pas qu’on l’enlève!» Et Rouletabille avait compris qu’il n’avait plus qu’à rire avec le vieux Bob de cette idée saugrenue, qu’on pût enlever comme une jolie femme l’homme dont le principal attrait était de posséder le plus vieux crâne de l’humanité! Et il avait ri… Il avait même ri plus fort que le vieux Bob, mais à une condition c’est que la porte K fût fermée à clef passé dix heures du soir, et que cette clef restât toujours en possession des Bernier qui viendraient lui ouvrir s’il y avait lieu. Ceci encore dérangeait le vieux Bob qui travaillait quelquefois très tard dans la tour de Charles Le Téméraire. Mais non plus il ne voulait avoir l’air de contrecarrer en tout ce brave M. Rouletabille qui avait, disait-il, peur des voleurs! Car il faut tout de suite faire observer à la décharge du vieux Bob que, s’il se prêtait si peu aux consignes défensives de notre jeune ami, c’est qu’on n’avait point jugé utile de le mettre au courant de la résurrection de Larsan-Ballmeyer. Il avait bien entendu parler des malheurs extraordinaires qui avaient fondu autrefois sur cette pauvre Mlle Stangerson; mais il était à cent lieues de penser qu’elle n’avait point rompu avec ces malheurs-là depuis qu’elle s’appelait Mme Darzac. Et puis le vieux Bob était un égoïste comme presque tous les savants. Très heureux, à cause qu’il possédait le plus vieux crâne de l’humanité, il ne pouvait concevoir que tout le monde ne le fût point autour de lui.

Rouletabille, après s’être aimablement enquis de la santé de la mère Bernier qui était en train d’éplucher des pommes de terre dites «saucisses», dont un grand sac, à ses côtés, était plein, pria le père Bernier de nous ouvrir la porte de l’appartement Darzac.

C’était la première fois que je pénétrais dans la chambre de M. Darzac. L’aspect en était glacial. Elle me parut froide et sombre. La pièce, très vaste, était meublée fort simplement d’un lit de chêne, d’une table-toilette que l’on avait glissée dans l’une des deux ouvertures J pratiquées dans la muraille, autour de ce qui avait été autrefois des meurtrières. Si épaisse était la muraille et si grande l’ouverture que toute cette embrasure formait une sorte de petite chambrette dans la grande, et M. Darzac en avait fait son cabinet de toilette. La seconde fenêtre J’ était plus petite. Ces deux fenêtres étaient garnies de barreaux épais entre lesquels on pouvait à peine passer le bras. Le lit, haut sur ses pieds, était adossé à la muraille extérieure et poussé contre la cloison (de pierre) qui séparait la chambre de M. Darzac de celle de sa femme. En face, dans l’angle de la tour, se trouvait un placard. Au centre de la chambre, une table-guéridon sur laquelle on avait déposé quelques livres de science et tout ce qu’il fallait pour écrire. Et puis, un fauteuil et trois chaises. C’était tout. Il était absolument impossible de se cacher dans cette chambre, si ce n’est, naturellement, dans le placard. Aussi le père et la mère Bernier avaient-ils reçu l’ordre de visiter, chaque fois qu’ils faisaient l’appartement, ce placard où M. Darzac enfermait ses vêtements; et Rouletabille lui-même qui, en l’absence des Darzac, venait de temps à autre jeter, dans les chambres de la Tour Carrée, le coup d’œil du maître, ne manquait-il jamais de le fouiller.

Il le fit encore devant moi. Quand nous passâmes ensuite dans la chambre de Mme Darzac, nous étions bien sûrs que nous ne laissions personne derrière nous chez M. Darzac. Aussitôt entré dans l’appartement, Bernier qui nous avait suivis avait eu soin, comme il le faisait toujours, de tirer les verrous qui fermaient intérieurement l’unique porte faisant communiquer l’appartement avec le corridor.

La chambre de Mme Darzac était plus petite que celle de son mari. Mais bien éclairée, à cause de la disposition spéciale des fenêtres, et gaie. Aussitôt qu’il y eut mis les pieds, je vis Rouletabille pâlir et tourner vers moi son bon et (alors) mélancolique visage. Il me dit:

«Eh bien, Sainclair, le sentez-vous le parfum de la Dame en noir?»

Ma foi, non! je ne sentais rien du tout. La fenêtre, garnie de barreaux comme toutes les autres qui donnaient sur la pleine mer, était, du reste, grande ouverte et une brise légère faisait voleter l’étoffe que l’on avait tirée sur une tringle au-dessus d’une «penderie» qui garnissait un côté de la muraille. L’autre côté était occupé par le lit. Cette penderie était si haut placée que les robes et peignoirs qui la garnissaient et que l’étoffe qui la recouvrait ne tombaient point jusqu’au parquet, de telle sorte qu’il eût été absolument impossible à quelqu’un qui eût voulu se cacher là de dissimuler ses pieds et le bas de ses jambes. Comme la tringle sur laquelle glissaient les portemanteaux était des plus légères, il n’eût pu également s’y suspendre. Rouletabille n’en examina pas moins avec soin cette garde-robe. Pas de placard dans cette pièce. Table-toilette, table-bureau, un fauteuil, deux chaises et les quatre murs, entre lesquels personne que nous, en toute vérité évidente du bon Dieu.

Rouletabille, après avoir regardé sous le lit, donna le signal du départ et nous balaya d’un geste de l’appartement. Il en sortit le dernier. Bernier ferma aussitôt la porte avec la petite clef qu’il remit dans la poche du haut de son veston que fermait une boutonnière qu’il boutonna. Nous fîmes le tour des corridors et aussi celui de l’appartement du vieux Bob, composé d’un salon et d’une chambre aussi facile à visiter que l’appartement Darzac. Personne dans l’appartement, ameublement sommaire, un placard, une bibliothèque, à peu près vides, aux portes ouvertes. Quand nous sortîmes de l’appartement, la mère Bernier venait de placer sa chaise sur le pas de sa porte, ce qui lui permettait de voir plus clair à sa besogne qui était toujours celle du pelage des pommes de terre dites «saucisses».

Nous entrâmes dans la pièce occupée par les Bernier et la visitâmes comme le reste. Les autres étages étaient inhabités et communiquaient avec le rez-de-chaussée par un petit escalier intérieur qui commençait dans l’angle O3 pour aboutir au sommet de la tour. Une trappe dans le plafond de la pièce habitée par les Bernier fermait cet escalier. Rouletabille demanda un marteau et des clous et encloua la trappe. Cet escalier devenait inutilisable.

On pouvait dire en principe et en fait que rien n’échappait à Rouletabille et que celui-ci ayant fait sa tournée dans la Tour Carrée n’y laissa personne d’autres que le père et la mère Bernier quand nous en fûmes sortis tous deux. On peut dire également qu’aucun être humain ne se trouvait dans l’appartement des Darzac avant que Bernier, quelques minutes plus tard, ne l’eût ouvert lui-même à M. Darzac, ainsi que je vais le raconter.