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– Larsan est certainement descendu! reprit M. Darzac… Il est aux Rochers Rouges!…

– En tout cas, si la barque l’a laissé aux Rochers Rouges, il n’en est point revenu, fit Rouletabille. Les deux postes des douaniers sont placés sur le chemin étroit qui conduit des Rochers Rouges en France, de telle sorte que nul n’y peut passer de jour ou de nuit sans en être aperçu. Vous savez, d’autre part, que les Rochers Rouges forment cul-de-sac et que le sentier s’arrête devant ces rochers, à trois cents mètres environ de la frontière. Le sentier passe entre les rochers et la mer. Les rochers sont à pic et constituent une falaise d’une soixantaine de mètres de hauteur.

– Certes! fit Arthur Rance, qui n’avait encore rien dit, et qui semblait très intrigué, il n’a pu escalader la falaise.

– Il se sera caché dans les grottes, observa Darzac; il y a dans la falaise des poches profondes.

– Je l’ai pensé! dit Rouletabille. Aussi, moi, je suis retourné tout seul aux Rochers Rouges, après avoir renvoyé le père Bernier.

– C’était imprudent, remarquai-je.

– C’était par prudence! corrigea Rouletabille. J’avais des choses à dire à Larsan, que je ne tenais point à faire savoir à un tiers… Bref, je suis retourné aux Rochers Rouges; devant les grottes, j’ai appelé Larsan.

– Vous l’avez appelé! s’écria Arthur Rance.

– Oui! je l’ai appelé dans la nuit commençante, j’ai agité mon mouchoir, comme font les parlementaires avec leur drapeau blanc. Mais est-ce qu’il ne m’a point entendu? Est-ce qu’il n’a point vu mon drapeau?… Il n’a pas répondu.

– Il n’était peut-être plus là, hasardai-je.

– Je n’en sais rien!… J’ai entendu du bruit dans une grotte!…

– Et vous n’y êtes pas allé? demanda vivement Arthur Rance.

– Non! répondit simplement Rouletabille, mais vous pensez bien, n’est-ce pas? que ce n’est point parce que j’ai peur de lui…

– Courons-y! nous écriâmes-nous tous, en nous levant d’un même mouvement, et qu’on en finisse une bonne fois!

– Je crois, fit Arthur Rance, que nous n’avons jamais eu une meilleure occasion de joindre Larsan. Eh! nous ferons bien de lui ce que nous voudrons, au fond des Rochers Rouges!»

Darzac et Arthur Rance étaient déjà prêts; j’attendais ce qu’allait dire Rouletabille. D’un geste il les calma et les pria de se rasseoir…

«Il faut réfléchir à ceci, fit-il, que Larsan n’aurait pas agi autrement qu’il ne l’a fait, s’il avait voulu nous attirer ce soir dans les grottes des Rochers Rouges. Il se montre à nous, il débarque presque sous nos yeux à la pointe de Garibaldi, il nous eût crié en passant sous nos fenêtres: «Vous savez, je suis aux Rochers Rouges! Je vous attends! Venez-y!…» qu’il n’aurait peut-être pas été plus explicite ni plus éloquent!

– Vous êtes allé aux Rochers Rouges, repartit Arthur Rance, qui s’avoua, du reste, profondément touché par l’argument de Rouletabille… et il ne s’est pas montré. Il s’y cache, méditant quelque crime abominable pour cette nuit… Il faut le déloger de là.

– Sans doute, répliqua Rouletabille, ma promenade aux Rochers Rouges n’a produit aucun résultat, parce que j’y suis allé seul… mais que nous y allions tous et nous pourrons trouver un résultat à notre retour…

– À notre retour? interrogea Darzac, qui ne comprenait pas.

– Oui, expliqua Rouletabille, à notre retour au château où nous aurons laissé Mme Darzac toute seule! Et où nous ne la retrouverions peut-être plus!… Oh! ajouta-t-il, dans le silence général, ce n’est là qu’une hypothèse. En ce moment, il nous est défendu de raisonner autrement que par hypothèse…»

Nous nous regardions tous, et cette hypothèse nous accablait. Évidemment, sans Rouletabille, nous allions peut-être faire une grosse bêtise, nous allions peut-être à un désastre…

Rouletabille s’était levé, pensif.

«Au fond, finit-il par dire, nous n’avions rien de mieux à faire pour cette nuit, que de nous barricader. Oh! barricade provisoire, car je veux que la place soit mise en état de défense absolue dès demain. J’ai fait fermer la porte de fer et je la fais garder par le père Jacques. J’ai mis Mattoni en sentinelle dans la chapelle. J’ai rétabli ici un barrage, sous la poterne, le seul point vulnérable de la seconde enceinte et je garderai moi-même ce barrage. Le père Bernier veillera toute la nuit à la porte de la Tour Carrée, et la mère Bernier, qui a de très bons yeux, et à laquelle j’ai fait encore donner une lunette marine, restera jusqu’au matin sur la plate-forme de la tour. Sainclair s’installera dans le petit pavillon de feuilles de palmier, sur la terrasse de la Tour Ronde. Du haut de cette terrasse, il surveillera, avec moi du reste, toute la seconde cour et les boulevards et parapets. Mrs. Arthur Rance et M. Robert Darzac se rendront dans la baille et devront se promener jusqu’à l’aurore, le premier sur le boulevard de l’Ouest, le second sur celui de l’Est, boulevards qui bornent la première cour du côté de la mer. Le service sera dur cette nuit, parce que nous ne sommes pas encore organisés. Demain nous dresserons un état de notre petite garnison et des domestiques sûrs, dont nous pouvons disposer en toute sécurité. S’il y a des domestiques douteux, on les fera sortir de la place. Vous apporterez ici, dans cette poterne, en cachette, toutes les armes dont vous pouvez disposer, fusils, revolvers. On se les partagera suivant les besoins du service de garde. La consigne est de tirer sur tout individu qui ne répond pas au qui vive! et qui ne vient pas se faire reconnaître. Il n’y a point de mot de passe, c’est inutile. Pour passer, il suffira de crier son nom et de faire voir son visage. Du reste, il n’y aura que nous qui aurons le droit de passer. Dès demain matin, je ferai dresser, à l’entrée intérieure de la porte Nord, la grille qui fermait jusqu’à ce soir son entrée extérieure, – entrée qui est close, désormais, par la porte de fer; et, dans la journée, les fournisseurs ne pourront franchir la voûte au-delà de la grille: ils déposeront leur marchandise dans la petite loge de la tour où j’ai gîté le père Jacques. À sept heures, tous les soirs, la porte de fer sera fermée. Demain matin, également, Mr Arthur Rance donnera des ordres pour faire venir menuisiers, maçons et charpentiers. Tout ce monde sera compté et ne devra, sous aucun prétexte, franchir la poterne de la seconde enceinte; tout ce monde sera également compté avant sept heures du soir, heure à laquelle devra avoir lieu le départ des ouvriers, au plus tard. Dans cette journée, les ouvriers devront entièrement achever leur travail, qui consistera à me fabriquer une porte pour ma poterne, à réparer une légère brèche du mur qui joint le Château Neuf à la Tour du Téméraire, et une autre petite brèche, qui se trouve située près de l’ancienne Tour Ronde de coin (B sur le plan) qui défend l’angle nord-ouest de la baille. Après quoi, je serai tranquille, et Mme Darzac, à laquelle je défends de quitter le château jusqu’à nouvel ordre, étant ainsi en sûreté, je pourrai tenter une sortie et partir en reconnaissance sérieuse à la recherche du camp de Larsan. Allons, Mister Arthur Rance, aux armes! Allez me chercher les armes dont vous disposez ce soir… Moi, j’ai prêté mon revolver au père Bernier, qui se promènera devant la porte de l’appartement de Mme Darzac…»