Cette nuit, elle fut saisie d’une forte fièvre, le médecin du comté vint immédiatement à son chevet, et il réclama aussitôt par télégraphe une assistance de Londres. Geoffrey était au désespoir et, dans l’angoisse du danger que sa jeune femme courait, il faillit oublier son propre crime et ses conséquences. Dans la soirée, le médecin dut partir veiller d’autres malades, et laissa Geoffrey s’occuper de sa femme. Ses dernières paroles furent:

– N’oubliez pas! Faites tout ce qu’elle vous demande jusqu’à mon retour demain matin, ou jusqu’à ce qu’un autre médecin prenne soin d’elle. Ce qu’il faut craindre, c’est une autre commotion. Veillez à ce qu’elle reste au chaud, il n’y a rien d’autre à faire.

Tard dans la soirée, quand tout le reste de la maison se fut couché, Margaret se leva de son lit et appela son mari:

– Viens, dit-elle, allons dans le vieux hall. Je sais d’où vient l’or. Je veux le voir croître.

Geoffrey pensa l’en empêcher, mais, craignant pour sa vie ou sa raison, craignant aussi qu’elle ne se mît à crier son horrible soupçon, et voyant qu’il était inutile de tenter de l’arrêter, il l’enveloppa dans une couverture chaude et l’accompagna jusqu’au vieux hall. Quand ils furent entrés, elle se retourna, ferma la porte et poussa le loquet.

– Nous ne voulons pas d’étranger parmi nous trois ce soir, souffla-t-elle avec un sourire pâle.

– Nous trois! Mais nous ne sommes que deux! dit Geoffrey en frémissant. (Mais il eut peur d’en dire davantage.)

– Assieds-toi ici, dit sa femme en éteignant la lumière, assieds-toi, ici, à côté de l’âtre, et regarde l’or qui croît. Le clair de lune argenté en est jaloux! Regarde comme il avance, l’or, notre or.

Geoffrey, regardant avec une horreur grandissante, s’aperçut que pendant les heures écoulées, les cheveux dorés avaient poussé plus avant au travers de la pierre d’âtre cassée. Il tenta de les cacher en plaçant les pieds sur la fêlure; sa femme, tirant une chaise près de lui, se pencha, et posa sa tête sur son épaule.

– Maintenant, ne bouge plus, mon chéri, souffla-t-elle. Ne bougeons plus et regardons. Ainsi nous découvrirons le secret de l’or qui croît.

Il l’entoura de son bras et demeura silencieux; et pendant que le clair de lune s’avançait sur le sol, elle sombra dans le sommeil.

Il avait peur de la réveiller; aussi il resta assis, silencieux et misérable, tandis que les heures passaient.

Devant ses yeux remplis d’horreur, les cheveux dorés de la pierre cassée poussaient et poussaient; et comme ils croissaient, son cœur se refroidissait de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin il n’eût plus la force de bouger, demeurant assis, les yeux pleins de terreur, fixant sa destinée.

Au matin, quand le médecin de Londres arriva, on ne trouva ni Geoffrey ni sa femme. Des recherches furent entreprises dans toutes les pièces du manoir, mais sans succès. Enfin, la grande porte du vieux hall fut fracturée, et alors s’offrit à la vue un spectacle sinistre et affligeant.

Là, près de l’âtre, gisaient assis Geoffrey Brent et sa jeune femme, froids, blancs et morts. Le visage de la jeune femme était paisible et ses yeux étaient fermés par le sommeil; mais son visage à lui avait une expression qui fit frémir tous ceux qui le virent, parce que, sur ce visage, il y avait un air d’horreur indescriptible. Les yeux étaient ouverts et fixaient d’un regard vitreux ses pieds autour desquels s’enroulaient des tresses de cheveux dorés, parsemés de gris, qui sortaient de la pierre d’âtre cassée.

(1874 – 1897)

[1] Première publication en 1874.

[2] Nom donné par les Anciens à une île située à six jours de bateau du nord de la Grande Bretagne, considérée comme la limite au nord, du monde, qui aurait été atteinte par Pythéas le Massaliote. Il pourrait s’agir de l’Islande. [Note du correcteur.]

[3] En français dans le texte.

[4] En français dans le texte.

[5] En français dans le texte.

[6] En français dans le texte.

[7] En français dans le texte.

[8] En français dans le texte.

[9] Première publication en 1883.

[10] Première publication en 1894.

[11] Panse de brebis farcie. Voici la recette de ce célèbre plat écossais:

Une panse de brebis

Fressure de mouton c’est à dire l’ensemble composé du foie, cœur et poumons.

250 gr de rognons de mouton

Sel et poivre

3 oignons

500 gr de farine d’avoine, grosse mouture.

Laver soigneusement la panse de brebis, la retourner comme un gant et gratter proprement l’intérieur. Laisser tremper toute une nuit dans de l’eau salée.

Laver la fressure et le gras, plonger dans de l’eau bouillante salée et laisser cuire à petit feu pendant deux heures. Retirer de l’eau, enlever les cartilages et la trachée-artère, puis hacher le tout menu au couteau ou bien passer au hachoir. Éplucher les oignons, les faire blanchir dans de l’eau bouillante et les passer au hachoir. Réserver l’eau de cuisson. Dans une poêle, griller lentement la farine d’avoine jusqu’à ce qu’elle soit bien croustillante.

Mélanger tous les ingrédients avec un peu de l’eau de cuisson des oignons et pétrir le tout en masse consistante, mais souple. Introduire cette farce dans la panse de brebis pour la remplir au 2/3 environ. Bien évacuer l’air et, le cas échéant, ficeler au milieu. Piquer plusieurs fois à l’aiguille pour que la panse n’éclate pas à la cuisson. Faire cuire doucement pendant trois à quatre heures dans une marmite d’eau bouillante, couvercle fermé. Réserver ensuite au chaud et retirer les ficelles. Servir en tranches bien garnies de beurre et de purée de rutabaga et de pommes de terre. [Note du correcteur.]

[12] The MacSlogan of that Ilk signifie à la fois le nom du propriétaire foncier et celui de son domaine, mais aussi «de cette espèce», «de cet acabit». Markam ne veut comprendre que le sens qui flatte sa vanité.

[13] En français dans le texte.

[14] Le Double.

[15] Première publication en 1897.