» Ces renseignements ne suffirent point à ma curiosité, et je me mis à battre les environs et à m’informer de toute part.
» J’appris alors, monsieur le comte, la chose la plus extraordinaire, la plus inouïe, la plus invraisemblable… Ça, par exemple, je ne vous le dirai jamais.
– Et si je vous le disais, moi? dit assez énigmatiquement l’Italien.
– Ah ça! vous êtes donc sorcier?
– Et qui sait?
– Voyons un peu!
Se rapprochant de son interlocuteur et baissant discrètement la voix, Capeloni murmura:
– Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse!
Gaëtan eut un sursaut, qui était un aveu. Et, littéralement ahuri, il reprit, avec un accent de savoureuse candeur:
– Ça, par exemple, je me demande comment vous avez pu…?
Puis, se reprochant déjà d’en avoir trop dit, il voulut protester:
– Vous vous trompez, mon cher comte, ce n’est point…
D’un geste amical, l’Italien l’interrompit, tout en disant:
– Que diriez-vous si je vous conduisais près d’elle?
Cette fois, entièrement désarmé, Castel-Rajac balbutia:
– Vous vous moquez de moi…
– Nullement, mon cher chevalier. Vous m’inspirez, au contraire, une très vive sympathie, et je vous rendrai d’autant plus volontiers le service de vous conduire près de la dame de vos pensées que je sais pertinemment que votre présence ne lui sera nullement désagréable.
– Comment, elle vous a dit!…
– Rien, mais je sais, par une mienne amie à laquelle elle ne cache rien, qu’elle a gardé de son aventure à l’hostellerie du Faisan d’Or un souvenir des plus agréables.
– Ah! mon cher comte, s’écria Gaëtan, débordant d’enthousiasme, béni soit le ciel qui m’a fait vous rencontrer dans cette maison! Sans vous, je crois que je n’eusse jamais osé aborder de front celle à qui, depuis près d’un an, je ne cesse de penser nuit et jour, à un tel point que, dès que j’ai su qu’elle était revenue dans ce pays, je n’ai eu de cesse de la revoir! Et vous dites que vous pourriez me conduire jusqu’à elle?
– Le plus facilement du monde.
– Ah! mon cher comte, je vous en garderai une reconnaissance qui ne finira qu’avec moi-même.
– C’est pour moi un vif plaisir que d’obliger le si galant chevalier que vous êtes.
– Seul, sans votre secours, déclarait le jeune Gascon avec une teinte de mélancolie charmante, je n’aurais jamais osé reparaître devant elle et encore moins lui adresser la parole.
» Je me serais contenté de rôder aux alentours de son château, de m’efforcer d’apercevoir de loin son inoubliable silhouette, d’entendre l’écho de sa voix et de revivre en illusion l’heure unique du paradis que j’ai vécue près d’elle et qui s’est envolée de ma vie, sans espoir de retour. Grâce à vous, je puis espérer encore. Peut-être mieux, je vais la revoir de loin, lui parler, et qui sait, goûter encore la saveur de son baiser.
– Et pourquoi pas? déclara gaiement l’Italien.
– Alors, quand aurai-je la joie que vous me promettez?
– Dès ce soir!
– Est-ce possible?
– J’en ai la conviction.
Bouillant d’impatience, le jeune Gascon s’écria:
– Alors, partons tout de suite.
– Si vous le voulez, accepta aussitôt le comte Capeloni, qui semblait disposé à favoriser de son mieux les ardeurs de son compagnon.
Déjà, celui-ci appelait la servante pour lui régler son repas, mais l’Italien l’arrêta, en disant:
– Souffrez que cela soit moi qui vous régale.
– Ah! je n’en ferai rien, c’est moi, plutôt, qui veux…
– Je vous en prie, insista l’Italien, ne me privez pas de vous offrir votre souper. Grâce à vous, je viens de rencontrer sur ma route un vrai gentilhomme de France qui, je l’espère, ne va pas tarder à devenir mon ami.
– Il l’est déjà, déclarait Castel-Rajac avec élan.
L’Italien régla les deux repas et sortit avec Gaëtan dans la cour de l’hostellerie. Là, il dit à ce dernier:
– Veuillez m’attendre ici pendant une heure environ. Si, comme j’en suis persuadé, la duchesse consent à vous recevoir, je vous enverrai un émissaire qui vous conduira jusqu’à elle.
– Et si elle refuse? interrogeait Gaëtan, déjà inquiet.
– Elle ne refusera pas, heureux coquin! répondit l’Italien, en partant d’un franc éclat de rire!
CHAPITRE III LA DUCHESSE ET LE CHEVALIER
Comme toujours, le cardinal de Richelieu avait été exactement renseigné. C’était bien dans une simple gentilhommière située aux alentours du château de Chevreuse, qu’Anne d’Autriche, sur le point d’être mère, était venue se cacher. Sa meilleure amie, la duchesse de Chevreuse, l’une des femmes les plus jolies et, à coup sûr, la plus intelligente et la plus spirituelle de son temps, lui avait ménagé cette retraite où toutes les précautions avaient été prises pour que l’événement se passât dans le plus grand mystère.
Il avait d’abord été convenu qu’en dehors d’elle et une sage-femme, qu’elle avait fait venir de Touraine et qui, par conséquent, ne connaissait point la future accouchée, nul n’approcherait la reine.
Anne d’Autriche, confinée dans une chambre située au premier étage, tout au fond d’un couloi roù nul n’avait le droit de s’aventurer, attendait, non sans angoisse, l’heure de la délivrance.
Ce soir-là, après avoir apporté elle-même à la reine son repas du soir et l’avoir réconfortée par quelques-unes de ces paroles affectueuses et enjouées dont elle avait le secret, la duchesse était descendue dans un modeste salon du rez-de-chaussée, d’où elle pouvait surveiller, à travers les fenêtres donnant sur un jardin, les allées et venues des rares domestiques de la maison.
Bientôt, il lui sembla entendre un bruit de pas sur le gravier. Elle ne se trompait pas. Moins de deux minutes après un laquais introduisit dans le salon le comte Capeloni qui, tout en saluant, dit à la duchesse:
– Je vous apporte, je crois, une nouvelle qui va doublement vous faire plaisir.
– Laquelle donc, monsieur de Mazarin?
L’amant d’Anne d’Autriche répliqua aussitôt:
– J’ai trouvé l’homme qu’il nous faut et, cet homme, vous le connaissez!
– Son nom?
– Le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac!…