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Puis ce fut un râle… d’agonie…

Puis on n’entendit plus rien.

Rien que le piétinement furieux… rien que les coups sourds et rebondissants qui continuèrent toujours…

Bientôt un bruit lointain de pas et de voix arriva jusqu’aux profondeurs du caveau… De vives lueurs brillèrent à l’extrémité du passage souterrain.

Tortillard, glacé de terreur par la scène ténébreuse à laquelle il venait d’assister sans la voir, aperçut plusieurs personnes portant des lumières descendre rapidement l’escalier. En un moment la cave fut envahie par plusieurs agents de sûreté, à la tête desquels était Narcisse Borel… Des gardes municipaux fermaient la marche.

Tortillard fut saisi sur les premières marches du caveau, tenant encore à la main le cabas de la Chouette.

Narcisse Borel, suivi de quelques-uns des siens, descendit dans le caveau du Maître d’école.

Tous s’arrêtèrent frappés d’un hideux spectacle.

Enchaîné par la jambe à une pierre énorme placée au milieu du caveau, le Maître d’école, horrible, monstrueux, la crinière hérissée, la barbe longue, la bouche écumante, vêtu de haillons ensanglantés, tournait comme une bête fauve autour de son cachot, traînant après lui, par les deux pieds, le cadavre de la Chouette, dont la tête était horriblement mutilée, brisée, écrasée.

Il fallut une lutte violente pour lui arracher les restes sanglants de sa complice et pour parvenir à le garrotter.

Après une vigoureuse résistance, on parvint à le transporter dans la salle basse du cabaret de Bras-Rouge, vaste salle obscure, éclairée par une seule fenêtre.

Là se trouvaient, les menottes aux mains et gardés à vue, Barbillon, Nicolas Martial, sa mère et sa sœur.

Ils venaient d’être arrêtés au moment où ils entraînaient la courtière en diamants pour l’égorger.

Celle-ci reprenait ses sens dans une autre chambre.

Étendu sur le sol et contenu à peine par deux agents, le Maître d’école, légèrement blessé au bras par la Chouette, mais complètement insensé, soufflait, mugissait comme un taureau qu’on abat. Quelquefois il se soulevait tout d’une pièce par un soubresaut convulsif.

Barbillon, la tête baissée, le teint livide, plombé, les lèvres décolorées, l’œil fixe et farouche, ses longs cheveux noirs et plats retombant sur le col de sa blouse bleue déchirée dans la lutte, Barbillon était assis sur un banc; ses poignets, serrés dans les menottes de fer, reposaient sur ses genoux.

L’apparence juvénile de ce misérable (il avait à peine dix-huit ans), la régularité de ses traits imberbes, déjà flétris, dégradés, rendaient plus déplorable encore la hideuse empreinte dont la débauche et le crime avaient marqué cette physionomie.

Impassible, il ne disait pas un mot.

On ne pouvait deviner si cette insensibilité apparente était due à la stupeur ou à une froide énergie; sa respiration était fréquente; de temps à autre, de ses deux mains entravées il essuyait la sueur qui baignait son front pâle.

À côté de lui on voyait Calebasse; son bonnet avait été arraché; sa chevelure jaunâtre, serrée à la nuque par un lacet, pendait derrière sa tête en plusieurs mèches rares et effilées. Plus courroucée qu’abattue, ses joues maigres et bilieuses quelque peu colorées, elle contemplait avec dédain l’accablement de son frère Nicolas, placé sur une chaise en face d’elle.

Prévoyant le sort qui l’attendait, ce bandit, affaissé sur lui-même, la tête pendante, les genoux tremblants et s’entrechoquant, était éperdu de terreur; ses dents claquaient convulsivement, il poussait de sourds gémissements.

Seule entre tous, la mère Martial, la veuve du supplicié, debout, et adossée au mur, n’avait rien perdu de son audace. La tête haute, elle jetait autour d’elle un regard ferme; ce masque d’airain ne trahissait pas la moindre émotion…

Pourtant, à la vue de Bras-Rouge, que l’on ramenait dans la salle basse après l’avoir fait assister à la minutieuse perquisition que le commissaire et son greffier venaient de faire dans toute la maison; pourtant, à la vue de Bras-Rouge, disons-nous, les traits de la veuve se contractèrent malgré elle; ses petits yeux, ordinairement ternes, s’illuminèrent comme ceux d’une vipère en furie; ses lèvres serrées devinrent blafardes, elle roidit ses deux bras garrottés… Puis, comme si elle eût regretté cette muette manifestation de colère et de haine impuissante, elle dompta son émotion et redevint d’un calme glacial.

Pendant que le commissaire verbalisait, assisté de son greffier, Narcisse Borel, se frottant les mains, jetait un regard complaisant sur la capture importante qu’il venait de faire et qui délivrait Paris d’une bande de criminels dangereux; mais, s’avouant de quelle utilité lui avait été Bras-Rouge dans cette expédition, il ne put s’empêcher de lui jeter un regard expressif et reconnaissant.

Le père de Tortillard devait partager jusqu’après leur jugement la prison et le sort de ceux qu’il avait dénoncés; comme eux il portait des menottes; plus qu’eux encore il avait l’air tremblant, consterné, grimaçant de toutes ses forces sa figure de fouine, pour lui donner une expression désespérée, poussant des soupirs lamentables. Il embrassait Tortillard, comme s’il eût cherché quelques consolations dans ses caresses paternelles.

Le petit boiteux se montrait peu sensible à ces preuves de tendresse: il venait d’apprendre qu’il serait jusqu’à nouvel ordre transféré dans la prison des jeunes détenus.

– Quel malheur de quitter mon fils chéri! s’écriait Bras-Rouge en feignant l’attendrissement; c’est nous deux qui sommes les plus malheureux, mère Martial… car on nous sépare de nos enfants.

La veuve ne put garder plus longtemps son sang-froid; ne doutant pas de la trahison de Bras-Rouge, qu’elle avait pressentie, elle s’écria:

– J’étais bien sûre que tu avais vendu mon fils de Toulon… Tiens, Judas!… Et elle lui cracha à la face. Tu vends nos têtes… soit! on verra de belles morts… des morts de vrais Martial!

– Oui… on ne boudera pas devant la Carline , ajouta Calebasse avec une exaltation sauvage.

La veuve, montrant Nicolas d’un coup d’œil de mépris écrasant, dit à sa fille:

– Ce lâche-là nous déshonorera sur l’échafaud!

Quelques moments après, la veuve et Calebasse, accompagnées de deux agents, montaient en fiacre pour se rendre à Saint-Lazare.

Barbillon, Nicolas et Bras-Rouge étaient conduits à la Force.

On transportait le Maître d’école au dépôt de la Conciergerie, où se trouvent des cellules destinées à recevoir temporairement les aliénés.