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– Oh! oui, mon frère!…

– Oui, mon frère.

– Eh bien! dans deux ou trois jours nous quitterons l’île tous les trois.

– Quel bonheur! s’écria Amandine en frappant joyeusement dans ses mains.

– Et où irons-nous? demanda François.

– Tu le verras, curieux… mais n’importe, où nous irons tu apprendras un bon état… qui te mettra à même de gagner ta vie… voilà ce qu’il y a de sûr.

– Je n’irai plus à la pêche avec toi, mon frère?

– Non, mon garçon, tu iras en apprentissage chez un menuisier ou chez un serrurier; tu es fort, tu es adroit; avec du cœur et en travaillant ferme, au bout d’un an tu pourras déjà gagner quelque chose. Ah çà! qu’est-ce que tu as?… Tu n’as pas l’air content.

– C’est que… mon frère… je…

– Voyons, parle.

– C’est que j’aimerais mieux ne pas te quitter, rester avec toi à pêcher… à raccommoder tes filets, que d’apprendre un état.

– Vraiment?

– Dame! être enfermé dans un atelier toute la journée, c’est triste… et puis être apprenti, c’est ennuyeux…

Martial haussa les épaules.

– Vaut mieux être paresseux, vagabond, flâneur, n’est-ce pas? lui dit-il sévèrement, en attendant qu’on devienne voleur…

– Non, mon frère, mais je voudrais vivre avec toi ailleurs comme nous vivons ici, voilà tout…

– Oui, c’est ça, boire, manger, dormir et t’amuser à pêcher comme un bourgeois, n’est-ce pas?

– J’aimerais mieux ça…

– C’est possible, mais tu aimeras autre chose… Tiens, vois-tu, mon pauvre François, il est crânement temps que je t’emmène d’ici; sans t’en douter tu deviendrais aussi gueux que les autres… Ma mère avait raison… je crains que tu n’aies du vice… Et toi, Amandine, est-ce que ça ne te plairait pas d’apprendre un état?

– Oh! si, mon frère… j’aimerais bien à apprendre, j’aime mieux que de rester ici. Je serais si contente de m’en aller avec vous et avec François!

– Mais qu’est-ce que tu as là sur la tête, ma fille? dit Martial en remarquant la triomphante coiffure d’Amandine.

– Un foulard que Nicolas m’a donné…

– Il m’en a donné un aussi, à moi, dit orgueilleusement François.

– Et d’où viennent-ils, ces foulards? Ça m’étonnerait que Nicolas les eût achetés pour vous en faire cadeau.

Les deux enfants baissèrent la tête sans répondre.

Au bout d’une seconde, François dit résolument:

– Nicolas nous les a donnés; nous ne savons pas d’où ils viennent, n’est-ce pas, Amandine?

– Non… non… mon frère, ajouta Amandine en balbutiant et en devenant pourpre, sans oser lever les yeux sur Martial.

– Ne mentez pas, dit sévèrement Martial.

– Nous ne mentons pas, ajouta hardiment François.

– Amandine, mon enfant…, dis la vérité, reprit Martial avec douceur.

– Eh bien! pour dire toute la vérité, reprit timidement Amandine, ces beaux mouchoirs viennent d’une caisse d’étoffes que Nicolas a rapportée ce soir dans son bateau…

– Et qu’il a volée?

– Je crois que oui, mon frère… sur une galiote.

– Vois-tu, François! tu mentais, dit Martial.

L’enfant baissa la tête sans répondre.

– Donne-moi ce foulard, Amandine; donne-moi aussi le tien, François.

La petite se décoiffa, regarda une dernière fois l’énorme rosette qui ne s’était pas défaite et remit le foulard à Martial en étouffant un soupir de regret.

François tira lentement le mouchoir de sa poche et, comme sa sœur, le rendit à Martial.

– Demain matin, dit celui-ci, je rendrai les foulards à Nicolas; vous n’auriez pas dû les prendre, mes enfants; profiter d’un vol, c’est comme si on volait soi-même.

– C’est dommage; il étaient bien jolis, ces mouchoirs, dit François.

– Quand tu auras un état et que tu gagneras de l’argent en travaillant, tu en achèteras d’aussi beaux. Allons, couchez-vous, il est tard… mes enfants.

– Vous n’êtes pas fâché, mon frère? dit timidement Amandine.

– Non, non, ma fille, ce n’est pas votre faute… Vous vivez avec des gueux, vous faites comme eux sans savoir… Quand vous serez avec de braves gens, vous ferez comme les braves gens; et vous y serez bientôt… ou le diable m’emportera… Allons, bonsoir!

– Bonsoir, mon frère!

Martial embrassa les enfants.

Ils restèrent seuls.

– Qu’est-ce que tu as donc, François? Tu as l’air tout triste! dit Amandine.

– Tiens! mon frère m’a pris mon beau foulard et puis, tu n’as donc pas entendu?

– Il veut nous emmener pour nous mettre en apprentissage…

– Ça ne te fait pas plaisir?

– Ma foi, non…

– Tu aimes mieux rester ici à être battu tous les jours?

– Je suis battu; mais au moins je ne travaille pas, je suis toute la journée en bateau ou à pêcher, ou à jouer, ou à servir les pratiques, qui quelquefois me donnent pour boire, comme le gros boiteux; c’est bien plus amusant que d’être du matin au soir enfermé dans un atelier à travailler comme un chien.

– Mais tu n’as donc pas entendu?… Mon frère nous a dit que si nous restions ici plus longtemps nous deviendrions des gueux!

– Ah bah! ça m’est bien égal… puisque les autres enfants nous appellent déjà petits voleurs… petits guillotinés… Et puis, travailler… c’est trop ennuyeux…

– Mais ici on nous bat toujours, mon frère!

– On nous bat parce que nous écoutons plutôt Martial que les autres…

– Il est si bon pour nous!

– Il est bon, il est bon; je ne dis pas… aussi je l’aime bien… On n’ose pas nous faire du mal devant lui… il nous emmène promener… c’est vrai… mais c’est tout… il ne nous donne jamais rien…

– Dame! il n’a rien… ce qu’il gagne, il le donne à notre mère pour sa nourriture.

– Nicolas a quelque chose, lui… Bien sûr que si nous l’écoutions, et ma mère aussi, ils ne nous rendraient pas la vie si dure… ils nous donneraient des belles nippes comme aujourd’hui… ils ne se défieraient plus de nous… nous aurions de l’argent comme Tortillard.