Изменить стиль страницы

Adieu, monsieur.

L'ambassadeur demeurait stupéfait; il balbutia:

– Prenez garde, sire, la bonne intelligence entre deux voisins dépend d'une mauvaise parole.

– Monsieur l'ambassadeur, reprit Henri, sachez bien ceci: Roi de Navarre ou roi de rien, c'est tout un pour moi. Ma couronne est si légère, que je ne la sentirais même pas tomber si elle me glissait du front; d'ailleurs, à ce moment-là, j'aviserais de la retenir, soyez tranquille.

Adieu, encore une fois, monsieur, dites au roi votre maître que j'ai des ambitions plus grandes que celles qu'il m'a fait entrevoir. Adieu.

Et le Béarnais, redevenant, non pas lui-même, mais l'homme que l'on connaissait en lui, après s'être un instant laissé dominer par la chaleur de son héroïsme, le Béarnais, souriant avec courtoisie, reconduisit l'ambassadeur jusqu'au seuil de son cabinet.

L Les pauvres du roi de Navarre

Chicot était plongé dans une surprise si profonde, qu'il ne songea point, Henri resté seul, à sortir de son cabinet.

Le Béarnais leva la tapisserie et alla lui frapper sur l'épaule.

– Eh bien, maître Chicot, dit-il, comment trouvez-vous que je m'en sois tiré?

– À merveille, sire, répliqua Chicot encore étourdi. Mais, en vérité, pour un roi qui ne reçoit pas souvent d'ambassadeurs, il paraît que, quand vous les recevez, vous les recevez bons.

– C'est pourtant mon frère Henri qui me vaut ces ambassadeurs-là.

– Comment cela, sire?

– Oui, s'il ne persécutait pas incessamment sa pauvre sœur, les autres ne songeraient pas à la persécuter. Crois-tu que si le roi d'Espagne n'avait pas su l'injure publique faite à la reine de Navarre, quand un capitaine des gardes a fouillé sa litière, crois-tu qu'on viendrait me proposer de la répudier?

– Je vois avec bonheur, sire, répondit Chicot, que tout ce que l'on tentera sera inutile, et que rien ne pourra rompre la bonne harmonie qui existe entre vous et la reine.

– Eh! mon ami, l'intérêt qu'on a à nous brouiller est clair…

– Je vous avoue, sire, que je ne suis pas si pénétrant que vous le croyez.

– Sans doute, tout ce que désire mon frère Henri, c'est que je répudie sa sœur.

– Comment cela? Expliquez-moi la chose, je vous prie. Peste! je ne croyais pas venir à si bonne école.

– Tu sais qu'on a oublié de me payer la dot de ma femme, Chicot.

– Non, je ne le savais pas, sire; seulement je m'en doutais.

– Que cette dot se composait de trois cent mille écus d'or.

– Joli denier.

– Et de plusieurs villes de sûreté, et, entre ces villes, celle de Cahors.

– Jolie ville, mordieu!

– J'ai réclamé, non pas mes trois cent mille écus d'or, tout pauvre que je suis, je me prétends plus riche que le roi de France, mais Cahors.

– Ah! vous avez réclamé Cahors, sire. Ventre de biche! vous avez bien fait, et à votre place, j'eusse fait comme vous.

– Et voilà pourquoi, dit le Béarnais avec son fin sourire, voilà pourquoi… Comprends-tu maintenant?

– Non, le diable m'emporte!

– Voilà pourquoi on me voudrait brouiller avec ma femme au point que je la répudiasse. Plus de femme, tu entends, Chicot, plus de dot, par conséquent plus de trois cent mille écus, plus de villes, et surtout plus de Cahors. C'est une façon comme une autre d'éluder sa parole, et mon frère de Valois est fort adroit à ces sortes de pièges.

– Vous aimeriez cependant fort à tenir cette place, n'est-ce pas, sire? dit Chicot.

– Sans doute; car enfin, qu'est-ce que ma royauté de Béarn? une pauvre petite principauté que l'avarice de mon beau-frère et de ma belle-mère ont tellement rognée, que le titre de roi qui y est attaché est devenu un titre ridicule.

– Oui, tandis que Cahors ajoute à cette principauté…

– Cahors serait mon boulevard, la sauvegarde de ceux de ma religion.

– Eh bien, mon cher sire, faites votre deuil de Cahors, car que vous soyez brouillé ou non avec madame Marguerite, le roi de France ne vous la remettra jamais, et à moins que vous ne la preniez…

– Oh! s'écria Henri, je la prendrais bien, si elle n'était si forte, et surtout si je ne haïssais la guerre.

– Cahors est imprenable, sire, dit Chicot.

Henri arma son visage d'une impénétrable naïveté.

– Oh! imprenable, imprenable, dit-il; si aussi bien j'avais une armée… que je n'ai pas.

– Écoutez, sire, dit Chicot, nous ne sommes pas ici pour nous dire des douceurs. Entre Gascons, vous savez, on va franchement. Pour prendre Cahors, où est M. de Vezin, il faudrait être un Annibal ou un César, et Votre Majesté…

– Eh bien! Ma Majesté?… demanda Henri avec son narquois sourire.

– Votre Majesté l'a dit, elle n'aime pas la guerre.

Henri soupira; un trait de flamme illumina son œil plein de mélancolie; mais, comprimant aussitôt ce mouvement involontaire, il lissa de sa main noircie par le hâle sa barbe brune, en disant:

– Jamais je n'ai tiré l'épée, c'est vrai; jamais je ne la tirerai: je suis un roi de paille et un homme de paix; cependant, Chicot, par un contraste singulier, j'aime à m'entretenir de choses de guerre: c'est de mon sang cela. Saint Louis, mon ancêtre, avait ce bonheur, qu'étant pieux d'éducation et doux de nature, il devenait à l'occasion un rude jouteur de lance, une vaillante épée. Causons, si tu veux, Chicot, de M. de Vezin, qui est un César et un Annibal, lui.

– Sire, pardonnez-moi, dit Chicot, si j'ai pu non seulement vous blesser, mais encore vous inquiéter. Je ne vous ai parlé de M. de Vezin que pour éteindre tout vestige de flamme folle que la jeunesse et l'ignorance des affaires eussent pu faire naître dans votre cœur. Cahors, voyez-vous, est si bien défendue et si bien gardée, parce que c'est la clef du Midi.

– Hélas! dit Henri en soupirant plus fort, je le sais bien!

– C'est, poursuivit Chicot, la richesse territoriale unie à la sécurité de l'habitation. Avoir Cahors, c'est posséder greniers, celliers, coffres-forts, granges, logements et relations; posséder Cahors, c'est avoir tout pour soi; ne point posséder Cahors, c'est avoir tout contre soi.

– Eh! ventre saint-gris! murmura le roi de Navarre, voilà pourquoi j'avais si grande envie de posséder Cahors, que j'ai dit à ma pauvre mère d'en faire une des conditions sine quâ non de mon mariage. Tiens! voilà que je parle latin à présent. Cahors était donc l'apanage de ma femme: on me l'avait promis, on me le devait.