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– Serrez les chevaux, serrez les chevaux, dit le page; ne les quittez pas d'une semelle, ou nous n'arriverons pas.

– Mais avant que nous arrivions, vous serez mis en morceaux.

– Ne vous inquiétez pas de moi. – En avant! en avant!

– Les chevaux vont ruer.

– Empoignez la queue du dernier; jamais un cheval ne rue quand on le tient de la sorte.

Ernauton subissait malgré lui l'influence étrange de cet enfant; il obéit, s'accrocha aux crins du cheval, tandis que de son côté le page s'attachait à sa ceinture.

Et au milieu de cette foule onduleuse comme une mer, épineuse comme un buisson, laissant ici un pan de leur manteau, là un fragment de leur pourpoint, plus loin la fraise de leur chemise, ils arrivèrent en même temps que l'attelage à trois pas de l'échafaud sur lequel se tordait Salcède, dans les convulsions du désespoir.

– Sommes-nous arrivés? murmura le jeune homme suffoquant et hors d'haleine, quand il sentit Ernauton s'arrêter.

– Oui, répondit le vicomte, – heureusement, – car j'étais au bout de mes forces.

– Je ne vois pas.

– Passez devant moi.

– Non, non, pas encore… Que fait-on?

– Des nœuds coulants à l'extrémité des cordes.

– Et lui, que fait-il?

– Qui, lui?

– Le patient.

– Ses yeux tournent autour de lui comme ceux de l'autour qui guette.

Les chevaux étaient assez près de l'échafaud pour que les valets de l'exécuteur attachassent aux pieds et aux poings de Salcède les traits fixés à leurs colliers.

Salcède poussa un rugissement quand il sentit autour de ses chevilles le rugueux contact des cordes, qu'un nœud coulant serrait autour de sa chair.

Il adressa alors un suprême, un indéfinissable regard à toute cette immense place dont il embrassa les cent mille spectateurs dans le cercle de son rayon visuel.

– Monsieur, lui dit poliment le lieutenant Tanchon, vous plaît-il de parler au peuple avant que nous ne procédions?

Et il s'approcha de l'oreille du patient pour ajouter tout bas:

– Un bon aveu… pour la vie sauve.

Salcède le regarda jusqu'au fond de l'âme.

Ce regard était si éloquent qu'il sembla arracher la vérité du cœur de Tanchon et la fit remonter jusque dans ses yeux, où elle éclata.

Salcède ne s'y trompa point; il comprit que le lieutenant était sincère et tiendrait ce qu'il promettait.

– Vous voyez, continua Tanchon, on vous abandonne; plus d'autre espoir en ce monde que celui que je vous offre.

– Eh bien! dit Salcède avec un rauque soupir, faites faire silence, je suis prêt à parler.

– C'est une confession écrite et signée que le roi exige.

– Alors déliez-moi les mains et donnez-moi une plume, je vais écrire.

– Votre confession?

– Ma confession, soit.

Tanchon, transporté de joie, n'eut qu'un signe à faire; le cas était prévu. Un archer tenait toutes choses prêtes: il lui passa l'écritoire, les plumes, le papier, que Tanchon déposa sur le bois même de l'échafaud.

En même temps on lâchait de trois pieds environ la corde qui tenait le poignet droit de Salcède, et on le soulevait sur l'estrade pour qu'il pût écrire.

Salcède, assis enfin, commença par respirer avec force et par faire usage de sa main pour essuyer ses lèvres et relever ses cheveux qui tombaient humides de sueur sur ses genoux.

– Allons, allons, dit Tanchon, mettez-vous à votre aise, et écrivez bien tout.

– Oh! n'ayez pas peur, répondit Salcède en allongeant sa main vers la plume; soyez tranquille, je n'oublierai pas ceux qui m'oublient, moi.

Et sur ce mot il hasarda un dernier coup d'œil.

Sans doute le moment était venu pour le page de se montrer; car, saisissant la main d'Ernauton:

– Monsieur, lui dit-il, par grâce, prenez-moi dans vos bras et soulevez-moi au-dessus des têtes qui m'empêchent de voir.

– Ah ça! mais vous êtes insatiable, jeune homme, en vérité.

– Encore ce service, monsieur.

– Vous abusez.

– Il faut que je voie le condamné, entendez-vous? il faut que je le voie.

Puis, comme Ernauton ne répondait pas assez vivement sans doute à l'injonction:

– Par pitié, monsieur, par grâce! dit-il, je vous en supplie!

L'enfant n'était plus un tyran fantasque, mais un suppliant irrésistible.

Ernauton le souleva dans ses bras, non sans quelque étonnement de la délicatesse de ce corps qu'il serrait entre ses mains.

La tête du page domina donc les autres têtes.

Justement Salcède venait de saisir la plume en achevant sa revue circulaire.

Il vit cette figure du jeune homme et demeura stupéfait.

En ce moment les deux doigts du page s'appuyèrent sur ses lèvres. Une joie indicible épanouit aussitôt le visage du patient; on eût dit l'ivresse du mauvais riche quand Lazare laisse tomber une goutte d'eau sur sa langue aride.

Il venait de reconnaître le signal qu'il attendait avec impatience et qui lui annonçait du secours.

Salcède, après une contemplation de plusieurs secondes, s'empara du papier que lui offrait Tanchon, inquiet de son hésitation, et il se mit à écrire avec une fébrile activité.

– Il écrit! il écrit! murmura la foule.

– Il écrit! répéta la reine-mère avec une joie manifeste.

– Il écrit! dit le roi; par la mordieu! je lui ferai grâce.

Tout à coup Salcède s'interrompit pour regarder encore le jeune homme.

Le jeune homme répéta le même signe, et Salcède se remit à écrire.

Puis, après un intervalle plus court, il s'interrompit encore pour regarder de nouveau.

Cette fois le page fit signe des doigts et de la tête.

– Avez-vous fini? dit Tanchon qui ne perdait pas de vue son papier.

– Oui, fit machinalement Salcède.

– Signez, alors.

Salcède signa sans jeter sur le papier ses yeux qui restaient rivés sur le jeune homme. Tanchon avança la main vers la confession.