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– Mais, mon cher Malicorne, Madame ne supporte pas le moindre bruit chez elle.

– Je le sais pardieu bien, qu’elle ne peut rien supporter; aussi vous dis-je qu’elle s’empressera, voyant une douleur si profonde, de vous mettre à la porte de chez elle.

– Je comprends.

– C’est heureux.

– Mais qu’arrivera-t-il alors?

– Il arrivera que La Vallière, se voyant séparée de vous, poussera la nuit de tels gémissements et de telles lamentations, qu’elle fera du désespoir pour deux.

– Alors on la mettra dans une autre chambre.

– Oui, mais laquelle?

– Laquelle? Vous voilà embarrassé, monsieur des Inventions.

– Nullement; quelle que soit cette chambre, elle vaudra toujours mieux que celle de Madame.

– C’est vrai.

– Eh bien! commencez-moi un peu vos jérémiades cette nuit.

– Je n’y manquerai pas.

– Et donnez-moi le mot à La Vallière.

– Ne craignez rien, elle pleure assez tout bas.

– Eh bien! qu’elle pleure tout haut.

Et ils se séparèrent.

Chapitre CLXXII – Où il est traité de menuiserie et où il est donné quelques détails sur la façon de percer les escaliers

Le conseil donné à Montalais fut communiqué à La Vallière, qui reconnut qu’il manquait de sagesse, et qui, après quelque résistance venant plutôt de sa timidité que de sa froideur, résolut de le mettre à exécution.

Cette histoire, des deux femmes pleurant et emplissant de bruits lamentables la chambre à coucher de Madame, fut le chef-d’œuvre de Malicorne.

Comme rien n’est aussi vrai que l’invraisemblable, aussi naturel que le romanesque, cette espèce de conte des Mille et Une Nuits réussit parfaitement auprès de Madame.

Elle éloigna d’abord Montalais.

Puis, trois jours, ou plutôt trois nuits après avoir éloigné Montalais, elle éloigna La Vallière.

On donna une chambre à cette dernière dans les petits appartements mansardés situés au-dessus des appartements des gentilshommes.

Un étage, c’est-à-dire un plancher, séparait les demoiselles des officiers et des gentilshommes.

Un escalier particulier, placé sous la surveillance de Mme de Navailles, conduisait chez elles.

Pour plus grande sûreté, Mme de Navailles, qui avait entendu parler des tentatives antérieures de Sa Majesté, avait fait griller les fenêtres des chambres et les ouvertures des cheminées.

Il y avait donc toute sûreté pour l’honneur de Mlle de La Vallière, dont la chambre ressemblait plus à une cage qu’à toute autre chose.

Mlle de La Vallière, lorsqu’elle était chez elle, et elle y était souvent, Madame n’utilisant guère ses services depuis qu’elle la savait en sûreté sous le regard de Mme de Navailles, Mlle de La Vallière n’avait donc d’autre distraction que de regarder à travers les grilles de sa fenêtre. Or, un matin qu’elle regardait comme d’habitude, elle aperçut Malicorne à une fenêtre parallèle à la sienne.

Il tenait en main un aplomb de charpentier, lorgnait les bâtiments, et additionnait des formules algébriques sur du papier. Il ne ressemblait pas mal ainsi à ces ingénieurs qui, du coin d’une tranchée, relèvent les angles d’un bastion ou prennent la hauteur des murs d’une forteresse.

La Vallière reconnut Malicorne et le salua.

Malicorne, à son tour, répondit par un grand salut et disparut de la fenêtre.

Elle s’étonna de cette espèce de froideur, peu habituelle au caractère toujours égal de Malicorne; mais elle se souvint que le pauvre garçon avait perdu son emploi pour elle, et qu’il ne devait pas être dans d’excellentes dispositions à son égard, puisque, selon toute probabilité, elle ne serait jamais en position de lui rendre ce qu’il avait perdu.

Elle savait pardonner les offenses, à plus forte raison compatir au malheur.

La Vallière eût demandé conseil à Montalais, si Montalais eût été là; mais Montalais était absente.

C’était l’heure où Montalais faisait sa correspondance.

Tout à coup, La Vallière vit un objet lancé de la fenêtre où avait apparu Malicorne traverser l’espace, passer à travers ses barreaux et rouler sur son parquet.

Elle alla curieusement vers cet objet et le ramassa. C’était une de ces bobines sur lesquelles on dévide la soie.

Seulement, au lieu de soie, un petit papier s’enroulait sur la bobine.

La Vallière le déroula et lut:

«Mademoiselle,

«Je suis inquiet de savoir deux choses:

«La première, de savoir si le parquet de votre appartement est de bois ou de briques.

«La seconde, de savoir encore à quelle distance de la fenêtre est placé votre lit.

«Excusez mon importunité, et veuillez me faire réponse par la même voie qui vous a apporté ma lettre, c’est-à-dire par la voie de la bobine.

«Seulement, au lieu de la jeter dans ma chambre comme je l’ai jetée dans la vôtre, ce qui vous serait plus difficile qu’à moi, ayez tout simplement l’obligeance de la laisser tomber.

«Croyez-moi surtout, Mademoiselle, votre bien humble et bien respectueux serviteur,

«Malicorne.

«Écrivez la réponse, s’il vous plaît, sur la lettre même.»

– Ah! le pauvre garçon, s’écria La Vallière, il faut qu’il soit devenu fou.

Et elle dirigea du côté de son correspondant, que l’on entrevoyait dans la pénombre de la chambre, un regard plein d’affectueuse compassion.

Malicorne comprit, et secoua la tête comme pour lui répondre:

«Non, non, je ne suis point fou, soyez tranquille.»

Elle sourit d’un air de doute.

«Non, non, reprit-il du geste, la tête est bonne.»

Et il montra sa tête.

Puis, agitant la main comme un homme qui écrit rapidement:

«Allons, écrivez», mima-t-il avec une sorte de prière.

La Vallière, fût-il fou, ne vit point d’inconvénient à faire ce que Malicorne lui demandait; elle prit un crayon et écrivit: «Bois.»

Puis elle compta dix pas de la fenêtre à son lit, et écrivit encore: «Dix pas.»