Manicamp se troubla.
– Est-ce que je me trompe? reprit le roi, est-ce que ce n’est point à la tempe que le cheval de Guiche a été frappé? Avouez, monsieur de Manicamp, que voilà un coup singulier.
– Sire, vous savez que le cheval est un animal très intelligent, il aura essayé de se défendre.
– Mais un cheval se défend avec les pieds de derrière, et non avec la tête.
– Alors, le cheval, effrayé, se sera abattu, dit Manicamp, et le sanglier, vous comprenez, Sire, le sanglier…
– Oui, je comprends pour le cheval; mais pour le cavalier?
– Eh bien! c’est tout simple: le sanglier est revenu du cheval au cavalier, et, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire à Votre Majesté, a écrasé la main de de Guiche au moment où il allait tirer sur lui son second coup de pistolet; puis, d’un coup de boutoir, il lui a troué la poitrine.
– Cela est on ne peut plus vraisemblable, en vérité, monsieur de Manicamp; vous avez tort de vous défier de votre éloquence, et vous contez à merveille.
– Le roi est bien bon, dit Manicamp en faisant un salut des plus embarrassés.
– À partir d’aujourd’hui seulement, je défendrai à mes gentilshommes d’aller à l’affût. Peste! autant vaudrait leur permettre le duel.
Manicamp tressaillit et fit un mouvement pour se retirer.
– Le roi est satisfait? demanda-t-il.
– Enchanté; mais ne vous retirez point encore, monsieur de Manicamp, dit Louis, j’ai affaire de vous.
«Allons, allons, pensa d’Artagnan, encore un qui n’est pas de notre force.»
Et il poussa un soupir qui pouvait signifier: «Oh! les hommes de notre force, où sont-ils maintenant?»
En ce moment, un huissier souleva la portière et annonça le médecin du roi.
– Ah! s’écria Louis, voilà justement M. Valot qui vient de visiter M. de Guiche. Nous allons avoir des nouvelles du blessé.
Manicamp se sentit plus mal à l’aise que jamais.
– De cette façon, au moins, ajouta le roi, nous aurons la conscience nette.
Et il regarda d’Artagnan, qui ne sourcilla point.
Chapitre CLVII – Le médecin
M. Valot entra.
La mise en scène était la même: le roi assis, de Saint-Aignan toujours accoudé à son fauteuil, d’Artagnan toujours adossé à la muraille, Manicamp toujours debout.
– Eh bien! monsieur Valot, fit le roi, m’avez-vous obéi?
– Avec empressement, Sire.
– Vous vous êtes rendu chez votre confrère de Fontainebleau?
– Oui, Sire.
– Et vous y avez trouvé M. de Guiche?
– J’y ai trouvé M. de Guiche.
– En quel état? Dites franchement.
– En très piteux état, Sire.
– Cependant, voyons, le sanglier ne l’a pas dévoré?
– Dévoré qui?
– Guiche.
– Quel sanglier?
– Le sanglier qui l’a blessé.
– M. de Guiche a été blessé par un sanglier?
– On le dit, du moins.
– Quelque braconnier plutôt…
– Comment, quelque braconnier?…
– Quelque mari jaloux, quelque amant maltraité, lequel, pour se venger, aura tiré sur lui.
– Mais que dites-vous donc là, monsieur Valot? Les blessures de M. de Guiche ne sont-elles pas produites par la défense d’un sanglier?
– Les blessures de M. de Guiche sont produites par une balle de pistolet qui lui a écrasé l’annulaire et le petit doigt de la main droite, après quoi, elle a été se loger dans les muscles intercostaux de la poitrine.
– Une balle! Vous êtes sûr que M. de Guiche a été blessé par une balle?… s’écria le roi jouant l’homme surpris.
– Ma foi, dit Valot, si sûr que la voilà, Sire.
Et il présenta au roi une balle à moitié aplatie.
Le roi la regarda sans y toucher.
– Il avait cela dans la poitrine, le pauvre garçon? demanda-t-il.
– Pas précisément. La balle n’avait pas pénétré, elle s’était aplatie, comme vous voyez, ou sous la sous-garde du pistolet ou sur le côté droit du sternum.
– Bon Dieu! fit le roi sérieusement, vous ne me disiez rien de tout cela, monsieur de Manicamp?
– Sire…
– Qu’est-ce donc, voyons, que cette invention de sanglier, d’affût, de chasse de nuit? Voyons, parlez.
– Ah! Sire…
– Il me paraît que vous avez raison, dit le roi en se tournant vers son capitaine des mousquetaires, et qu’il y a eu combat.
Le roi avait, plus que tout autre, cette faculté donnée aux grands de compromettre et de diviser les inférieurs.
Manicamp lança au mousquetaire un regard plein de reproches.
D’Artagnan comprit ce regard, et ne voulut pas rester sous le poids de l’accusation.
Il fit un pas.
– Sire, dit-il, Votre Majesté m’a commandé d’aller explorer le carrefour du bois Rochin, et de lui dire, d’après mon estime, ce qui s’y était passé. Je lui ai fait part de mes observations, mais sans dénoncer personne. C’est Sa Majesté elle-même qui, la première, a nommé M. le comte de Guiche.
– Bien! bien! monsieur, dit le roi avec hauteur; vous avez fait votre devoir, et je suis content de vous, cela doit vous suffire. Mais vous, monsieur de Manicamp, vous n’avez pas fait le vôtre, car vous m’avez menti.
– Menti, Sire! Le mot est dur.
– Trouvez-en un autre.
– Sire, je n’en chercherai pas. J’ai déjà eu le malheur de déplaire à Sa Majesté, et, ce que je trouve de mieux c’est d’accepter humblement les reproches qu’elle jugera à propos de m’adresser.
– Vous avez raison, monsieur, on me déplaît toujours en me cachant la vérité.
– Quelquefois, Sire, on ignore.
– Ne mentez plus, ou je double la peine.
Manicamp s’inclina en pâlissant.
D’Artagnan fit encore un pas en avant, décidé à intervenir, si la colère toujours grandissante du roi atteignait certaines limites.