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– Dites, monsieur du Vallon, dites.

– Eh bien! Sire, en fait de sucreries, je ne connais que les pâtes, et encore il faut qu’elles soient bien compactes; toutes ces mousses m’enflent l’estomac, et tiennent une place qui me paraît trop précieuse pour la si mal occuper.

– Ah! messieurs, dit le roi en montrant Porthos voilà un véritable modèle de gastronomie. Ainsi mangeaient nos pères, qui savaient si bien manger, ajouta Sa Majesté, tandis que nous, nous picorons.

Et, en disant ces mots, il prit une assiette de blanc de volaille mêlée de jambon.

Porthos, de son côté, entama une terrine de perdreaux et de râles.

L’échanson remplit joyeusement le verre de Sa Majesté.

– Donnez de mon vin à M. du Vallon, dit le roi.

C’était un des grands honneurs de la table royale, D’Artagnan pressa le genou de son ami.

– Si vous pouvez avaler seulement la moitié de cette hure de sanglier que je vois là, dit-il à Porthos, je vous juge duc et pair dans un an.

– Tout à l’heure, dit flegmatiquement Porthos, je m’y mettrai.

Le tour de la hure ne tarda pas à venir en effet, car le roi prenait plaisir à pousser ce beau convive, il ne fit point passer de mets à Porthos, qu’il ne les eût dégustés lui-même: il goûta donc la hure. Porthos se montra beau joueur, au lieu d’en manger la moitié, comme avait dit d’Artagnan, il en mangea les trois quarts.

– Il est impossible, dit le roi à demi-voix, qu’un gentilhomme qui soupe si bien tous les jours, et avec de si belles dents, ne soit pas le plus honnête homme de mon royaume.

– Entendez-vous? dit d’Artagnan à l’oreille de son ami.

– Oui, je crois que j’ai un peu de faveur, dit Porthos en se balançant sur sa chaise.

– Oh! vous avez le vent en poupe. Oui! oui! oui!

Le roi et Porthos continuèrent de manger ainsi à la grande satisfaction des conviés, dont quelques-uns, par émulation, avaient essayé de les suivre, mais avaient dû renoncer en chemin.

Le roi rougissait, et la réaction du sang à son visage annonçait le commencement de la plénitude.

C’est alors que Louis XIV, au lieu de prendre de la gaieté, comme tous les buveurs, s’assombrissait et devenait taciturne.

Porthos, au contraire, devenait guilleret et expansif.

Le pied de d’Artagnan dut lui rappeler plus d’une fois cette particularité.

Le dessert parut.

Le roi ne songeait plus à Porthos; il tournait ses yeux vers la porte d’entrée, et on l’entendit demander parfois pourquoi M. de Saint-Aignan tardait tant à venir.

Enfin, au moment où Sa Majesté terminait un pot de confitures de prunes avec un grand soupir, M. de Saint-Aignan parut.

Les yeux du roi, qui s’étaient éteints peu à peu, brillèrent aussitôt.

Le comte se dirigea vers la table du roi, et, à son approche, Louis XIV se leva.

Tout le monde se leva, Porthos même, qui achevait un nougat capable de coller l’une à l’autre les deux mâchoires d’un crocodile. Le souper était fini.

Chapitre CLIV – Après souper

Le roi prit le bras de Saint-Aignan et passa dans la chambre voisine.

– Que vous avez tardé, comte! dit le roi.

– J’apportais la réponse, Sire, répondit le comte.

– C’est donc bien long pour elle de répondre à ce que je lui écrivais?

– Sire, Votre Majesté avait daigné faire des vers; Mlle de La Vallière a voulu payer le roi de la même monnaie, c’est-à-dire en or.

– Des vers, de Saint-Aignan!… s’écria le roi ravi. Donne, donne.

Et Louis rompit le cachet d’une petite lettre qui renfermait effectivement des vers que l’histoire nous a conservés, et qui sont meilleurs d’intention que de facture.

Tels qu’ils étaient, cependant, ils enchantèrent le roi, qui témoigna sa joie par des transports non équivoques; mais le silence général avertit Louis, si chatouilleux sur les bienséances, que sa joie pouvait donner matière à des interprétations.

Il se retourna et mit le billet dans sa poche; puis, faisant un pas qui le ramena sur le seuil de la porte auprès de ses hôtes:

– Monsieur du Vallon, dit-il, je vous ai vu avec le plus vif plaisir, et je vous reverrai avec un plaisir nouveau.

Porthos s’inclina, comme eût fait le colosse de Rhodes, et sortit à reculons.

– Monsieur d’Artagnan, continua le roi, vous attendrez mes ordres dans la galerie; je vous suis obligé de m’avoir fait connaître M. du Vallon. Messieurs, je retourne demain à Paris, pour le départ des ambassadeurs d’Espagne et de Hollande. À demain donc.

La salle se vida aussitôt.

Le roi prit le bras de Saint-Aignan, et lui fit relire encore les vers de La Vallière.

– Comment les trouves-tu? dit-il.

– Sire… charmants!

– Ils me charment, en effet, et s’ils étaient connus…

– Oh! les poètes en seraient jaloux; mais ils ne les connaîtront pas.

– Lui avez-vous donné les miens?

– Oh! Sire, elle les a dévorés.

– Ils étaient faibles, j’en ai peur.

– Ce n’est pas ce que Mlle de La Vallière en a dit.

– Vous croyez qu’elle les a trouvés de son goût?

– J’en suis sûr, Sire…

– Il me faudrait répondre, alors.

– Oh! Sire… tout de suite… après souper… Votre Majesté se fatiguera.

– Je crois que vous avez raison: l’étude après le repas est nuisible.

– Le travail du poète surtout; et puis, en ce moment, il y aurait préoccupation chez Mlle de La Vallière.

– Quelle préoccupation?

– Ah! Sire, comme chez toutes ces dames.

– Pourquoi?

– À cause de l’accident de ce pauvre de Guiche.

– Ah! mon Dieu! est-il arrivé un malheur à de Guiche?

– Oui, Sire, il a toute une main emportée, il a un trou à la poitrine, il se meurt.

– Bon Dieu! et qui vous a dit cela?

– Manicamp l’a rapporté tout à l’heure chez un médecin de Fontainebleau, et le bruit s’en est répandu ici.