– Je ne m’assoirai pas, mademoiselle, dit-il, que vous ne m’ayez pardonné.
– Moi? demanda La Vallière.
– Oui, vous.
– Et pardonné quoi, mon Dieu?
Fouquet fixa son plus perçant regard sur la jeune fille, et ne crut voir sur son visage que le plus naïf étonnement.
– Je vois, mademoiselle, dit-il, que vous avez autant de générosité que d’esprit, et je lis dans vos yeux le pardon que le sollicitais. Mais il ne me suffit pas du pardon des lèvres, je vous en préviens, il me faut encore le pardon du cœur et de l’esprit.
– Sur ma parole, monsieur, dit La Vallière, je vous jure que je ne vous comprends pas.
– C’est encore une délicatesse qui me charme, répondit Fouquet, et je vois que ne voulez point que j’aie à rougir devant vous.
– Rougir! rougir devant moi! Mais, voyons, dites, de quoi rougiriez vous?
– Me tromperais-je, dit Fouquet, et aurais-je le bonheur que mon procédé envers vous ne vous eût pas désobligée?
La Vallière haussa les épaules.
– Décidément, monsieur, dit-elle, vous parlez par énigmes, et je suis trop ignorante, à ce qu’il paraît, pour vous comprendre.
– Soit, dit Fouquet, je n’insisterai pas. Seulement, dites-moi, je vous en supplie, que je puis compter sur votre pardon plein et entier.
– Monsieur, dit La Vallière avec une sorte d’impatience, je ne puis vous faire qu’une réponse, et j’espère qu’elle vous satisfera. Si je savais quel tort vous avez envers moi, je vous le pardonnerais. À plus forte raison, vous comprenez bien, ne connaissant pas ce tort…
Fouquet pinça ses lèvres comme eût fait Aramis.
– Alors, dit-il, je puis espérer que, nonobstant ce qui est arrivé, nous resterons en bonne intelligence, et que vous voudrez bien me faire la grâce de croire à ma respectueuse amitié.
La Vallière crut qu’elle commençait à comprendre.
«Oh! se dit-elle en elle-même, je n’eusse pas cru M. Fouquet si avide de rechercher les sources d’une faveur si nouvelle.»
Puis tout haut:
– Votre amitié, monsieur? dit-elle, vous m’offrez votre amitié? Mais, en vérité, c’est pour moi tout l’honneur, et vous me comblez.
– Je sais, mademoiselle, répondit Fouquet, que l’amitié du maître peut paraître plus brillante et plus désirable que celle du serviteur; mais je vous garantis que cette dernière sera tout aussi dévouée, tout aussi fidèle, et absolument désintéressée.
La Vallière s’inclina: il y avait, en effet, beaucoup de conviction et de dévouement réel dans la voix du surintendant.
Aussi lui tendit-elle la main.
– Je vous crois, dit-elle.
Fouquet prit vivement la main que lui tendait la jeune fille.
– Alors, ajouta-t-il, vous ne verrez aucune difficulté, n’est-ce pas, à me rendre cette malheureuse lettre?
– Quelle lettre? demanda La Vallière.
Fouquet l’interrogea, il l’avait déjà fait, de toute la puissance de son regard.
Même naïveté de physionomie, même candeur de visage.
– Allons, mademoiselle, dit-il, après cette dénégation, je suis forcé d’avouer que votre système est le plus délicat du monde, et je ne serais pas moi-même un honnête homme si je redoutais quelque chose d’une femme aussi généreuse que vous.
– En vérité, monsieur Fouquet, répondit La Vallière, c’est avec un profond regret que je suis forcée de vous répéter que je ne comprends absolument rien à vos paroles.
– Mais, enfin, sur l’honneur, vous n’avez donc reçu aucune lettre de moi, mademoiselle?
– Sur l’honneur, aucune, répondit fermement La Vallière.
– C’est bien, cela me suffit, mademoiselle, permettez-moi de vous renouveler l’assurance de toute mon estime et de tout mon respect.
Puis, s’inclinant, il sortit pour aller retrouver Aramis, qui l’attendait chez lui, et laissant La Vallière se demander si le surintendant était devenu fou.
– Eh bien! demanda Aramis qui attendait Fouquet avec impatience, êtes vous content de la favorite?
– Enchanté, répondit Fouquet, c’est une femme pleine d’esprit et de cœur.
– Elle ne s’est point fâchée?
– Loin de là; elle n’a pas même eu l’air de comprendre.
– De comprendre quoi?
– De comprendre que je lui eusse écrit.
– Cependant, il a bien fallu qu’elle vous comprît pour vous rendre la lettre, car je présume qu’elle vous l’a rendue.
– Pas le moins du monde.
– Au moins, vous êtes-vous assuré qu’elle l’avait brûlée?
– Mon cher monsieur d’Herblay, il y a déjà une heure que je joue aux propos interrompus, et je commence à avoir assez de ce jeu, si amusant qu’il soit. Comprenez-moi donc bien; la petite a feint de ne pas comprendre ce que je lui disais; elle a nié avoir reçu aucune lettre; donc, ayant nié positivement la réception, elle n’a pu ni me la rendre, ni la brûler.
– Oh! oh! dit Aramis avec inquiétude, que me dites-vous là?
– Je vous dis qu’elle m’a juré sur ses grands dieux n’avoir reçu aucune lettre.
– Oh! c’est trop fort! Et vous n’avez pas insisté?
– J’ai insisté, au contraire, jusqu’à l’impertinence.
– Et elle a toujours nié?
– Toujours.
– Elle ne s’est pas démentie un seul instant?
– Pas un seul instant.
– Mais alors, mon cher, vous lui avez laissé notre lettre entre les mains?
– Il l’a, pardieu! bien fallu.
– Oh! C’est une grande faute.
– Que diable eussiez-vous fait à ma place, vous?
– Certes, on ne pouvait la forcer, mais cela est inquiétant; une pareille lettre ne peut demeurer contre nous.
– Oh! cette jeune fille est généreuse.
– Si elle l’eût été réellement, elle vous eût rendu votre lettre.
– Je vous dis qu’elle est généreuse; j’ai vu ses yeux, je m’y connais.
– Alors, vous la croyez de bonne foi?
– Oh! de tout mon cœur.
– Eh bien! moi, je crois que nous nous trompons.