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– Je ne les ai pas reçues, mais je les recevrai demain.

– Ce n’est donc pas fait encore?

– Il faut que ce soit fait puisque j’ai donné à l’orfèvre, pour midi, un bon sur ma caisse, où l’argent de l’acquéreur entrera de six à sept heures.

– Dieu soit loué! s’écria Aramis en battant des mains, rien n’est achevé, puisque vous n’avez pas été payé.

– Mais l’orfèvre?

– Vous recevrez de moi les quatorze cent mille livres à midi moins un quart.

– Un moment, un moment! c’est ce matin, à six heures, que je signe.

– Oh! je vous réponds que vous ne signerez pas.

– J’ai donné ma parole, chevalier.

– Si vous l’avez donnée, vous la reprendrez, voilà tout.

– Oh! que me dites-vous là? s’écria Fouquet avec un accent profondément loyal. Reprendre une parole quand on est Fouquet!

Aramis répondit au regard sévère du ministre par un regard courroucé.

– Monsieur, dit-il, je crois avoir mérité d’être appelé un honnête homme, n’est-ce pas? Sous la casaque du soldat, j’ai risqué cinq cents fois ma vie; sous l’habit du prêtre, j’ai rendu de plus grands services encore, à Dieu, à l’État ou à mes amis. Une parole vaut ce que vaut l’homme qui la donne. Elle est, quand il la tient, de l’or pur; elle est un fer tranchant quand il ne veut pas la tenir. Il se défend alors avec cette parole comme avec une arme d’honneur, attendu que, lorsqu’il ne tient pas cette parole, cet homme d’honneur, c’est qu’il est en danger de mort, c’est qu’il court plus de risques que son adversaire n’a de bénéfices à faire. Alors, monsieur, on en appelle à Dieu et à son droit.

Fouquet baissa la tête:

– Je suis, dit-il, un pauvre Breton opiniâtre et vulgaire; mon esprit admire et craint le vôtre. Je ne dis pas que je tiens ma parole par vertu; je la tiens, si vous voulez, par routine; mais, enfin, les hommes du commun sont assez simples pour admirer cette routine; c’est ma seule vertu, laissez-m’en les honneurs.

– Alors vous signerez demain la vente de cette charge, qui vous défendait contre tous vos ennemis?

– Je signerai.

– Vous vous livrerez pieds et poings liés pour un faux-semblant d’honneur qui dédaigneraient les plus scrupuleux casuistes?

– Je signerai.

Aramis poussa un profond soupir, regarda tout autour de lui avec l’impatience d’un homme qui voudrait briser quelque chose.

– Nous avons encore un moyen, dit-il, et j’espère que vous ne me refuserez pas de l’employer, celui-là.

– Assurément non, s’il est loyal… comme tout ce que vous proposez, cher ami.

– Je ne sache rien de plus loyal qu’une renonciation de votre acquéreur. Est-ce votre ami?

– Certes… Mais…

– Mais… si vous me permettez de traiter l’affaire, je ne désespère point.

– Oh! je vous laisserai absolument maître.

– Avec qui avez-vous traité? Quel homme est-ce?

– Je ne sais pas si vous connaissez le Parlement?

– En grande partie. C’est un président quelconque?

– Non; un simple conseiller.

– Ah! ah!

– Qui s’appelle Vanel.

Aramis devint pourpre.

– Vanel! s’écria-t-il en se relevant; Vanel! le mari de Marguerite Vanel?

– Précisément.

– De votre ancienne maîtresse?

– Oui, mon cher; elle a désiré d’être Mme la procureuse générale. Je lui devais bien cela, au pauvre Vanel, et j’y gagne puisque c’est encore faire plaisir à sa femme.

Aramis vint droit à Fouquet et lui prit la main.

– Vous savez, dit-il avec sang-froid, le nom du nouvel amant de Mme Vanel?

– Ah! elle a un nouvel amant? Je l’ignorais; et, ma foi, non, je ne sais pas comment il se nomme.

– Il se nomme M. Jean-Baptiste Colbert; il est intendant des finances; il demeure rue Croix-des-Petits-Champs, là où Mme de Chevreuse est allée, ce soir avec les lettres de Mazarin qu’elle veut vendre.

– Mon Dieu! murmura Fouquet en essuyant son front ruisselant de sueur, mon Dieu!

– Vous commencez à comprendre, n’est-ce pas?

– Que je suis perdu, oui.

– Trouvez-vous que cela vaille la peine de tenir un peu moins que Régulus à sa parole?

– Non, dit Fouquet.

– Les gens entêtés, murmura Aramis, s’arrangent toujours de façon qu’on les admire.

Fouquet lui tendit la main.

À ce moment, une riche horloge d’écaille, à figures d’or, placée sur une console en face de la cheminée, sonna six heures du matin.

Une porte cria dans le vestibule.

– M. Vanel, vint dire Gourville à la porte du cabinet, demande si Monseigneur peut le recevoir.

Fouquet détourna ses yeux des yeux d’Aramis et répondit:

– Faites entrer M. Vanel.

Chapitre CLXXXVIII – La minute de M. Colbert

Vanel, entrant à ce moment de la conversation n’était rien autre chose pour Aramis et Fouquet que le point qui termine une phrase.

Mais, pour Vanel qui arrivait, la présence d’Aramis dans le cabinet de Fouquet devait avoir une bien autre signification.

Aussi l’acheteur, à son premier pas dans la chambre, arrêta-t-il sur cette physionomie, à la fois si fine et si ferme de l’évêque de Vannes, un regard étonné qui devint bientôt scrutateur.

Quant à Fouquet, véritable homme politique, c’est-à-dire maître de lui-même, il avait déjà, par la force de sa volonté, fait disparaître de son visage les traces de l’émotion causée par la révélation d’Aramis.

Ce n’était donc plus un homme abattu par le malheur et réduit aux expédients; il avait redressé la tête et allongé la main pour faire entrer Vanel.

Il était premier ministre, il était chez lui.

Aramis connaissait le surintendant. Toute la délicatesse de son cœur, toute la largeur de son esprit n’avaient rien qui pût l’étonner. Il se borna donc, momentanément, quitte à reprendre plus tard une part active dans la conversation, au rôle difficile de l’homme qui regarde et qui écoute pour apprendre et pour comprendre.