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– Un moment… ne faisons pas abus des mots. Je ne vous donne pas quatorze cent mille livres, monsieur Vanel: j’ai des enfants.

– Eh! monsieur, vous me les prêtez; cela suffit.

– Je vous les prête, oui.

– Demandez tel intérêt, telle garantie qu’il vous plaira, monseigneur, je suis prêt, et, vos désirs étant satisfaits, je répéterai encore que vous surpassez les rois et M. Fouquet en munificence. Vos conditions?

– Le remboursement en huit années.

– Oh! très bien.

– Hypothèque sur la charge elle-même.

– Parfaitement; est-ce tout?

– Attendez. Je me réserve le droit de vous racheter la charge à cent cinquante mille livres de bénéfice si vous ne suiviez pas, dans la gestion de cette charge, une ligne conforme aux intérêts du roi et à mes desseins.

– Ah! ah! dit Vanel un peu ému.

– Cela renferme-t-il quelque chose qui vous puisse choquer, monsieur Vanel? dit froidement Colbert.

– Non, non, répliqua vivement Vanel.

– Eh bien! nous signerons cet acte quand il vous plaira. Courez chez les amis de M. Fouquet.

– J’y vole…

– Et obtenez du surintendant une entrevue.

– Oui, monseigneur.

– Soyez facile aux concessions.

– Oui.

– Et les arrangements une fois pris?…

– Je me hâte de le faire signer.

– Gardez-vous-en bien!… Ne parlez jamais de signature avec M. Fouquet, ni de dédit, ni même de parole, entendez-vous? vous perdriez tout!

– Eh bien! alors, monseigneur, que faire? C’est trop difficile…

– Tâchez seulement que M. Fouquet vous touche dans la main… Allez!

Chapitre CLXXXII – Chez la reine mère

La reine mère était dans sa chambre à coucher au Palais-Royal avec Mme de Motteville et la senora Molina. Le roi, attendu jusqu’au soir, n’avait pas paru; la reine, tout impatiente, avait envoyé chercher souvent de ses nouvelles.

Le temps semblait être à l’orage. Les courtisans et les dames s’évitaient dans les antichambres et les corridors pour ne point se parler de sujets compromettants.

Monsieur avait joint le roi dès le matin pour une partie de chasse.

Madame demeurait chez elle, boudant tout le monde.

Quant à la reine mère, après avoir fait ses prières en latin, elle causait ménage avec ses deux amies en pur castillan.

Mme de Motteville, qui comprenait admirablement cette langue, répondait en français.

Lorsque les trois dames eurent épuisé toutes les formules de la dissimulation et de la politesse pour en arriver à dire que la conduite du roi faisait mourir de chagrin la reine, la reine mère et toute sa parenté, lorsqu’on eut, en termes choisis, fulminé toutes les imprécations contre Mlle de La Vallière, la reine mère termina les récriminations par ces mots pleins de sa pensée et de son caractère:

– Estos hijos! dit-elle à Molina.

C’est-à-dire: «Ces enfants!»

Mot profond dans la bouche d’une mère; mot terrible dans la bouche d’une reine qui, comme Anne d’Autriche, celait de si singuliers secrets dans son âme assombrie.

– Oui, répliqua Molina, ces enfants! à qui toute mère se sacrifie.

– À qui, répliqua la reine, une mère a tout sacrifié.

Et elle n’acheva pas sa phrase. Il lui sembla, quand elle leva les yeux vers le portrait en pied du pâle Louis XIII, que son époux laissait une fois encore la lumière monter à ses yeux ternes, le courroux gonfler ses narines de toile. Le portrait s’animait; il ne parlait pas, il menaçait. Un profond silence succéda aux dernières paroles de la reine. La Molina se mit à fourrager les rubans et les dentelles d’une vaste corbeille. Mme de Motteville, surprise de cet éclair qui avait illuminé simultanément d’intelligence le regard de la confidente et celui de la maîtresse, Mme de Motteville, disons-nous, baissa les yeux en femme discrète, et, ne cherchant plus à voir, écouta de toutes ses oreilles. Elle ne surprit qu’un «hum!» significatif de la duègne espagnole, image de la circonspection. Elle surprit aussi un soupir exhalé comme un souffle du sein de la reine.

Elle leva la tête aussitôt.

– Vous souffrez? dit-elle.

– Non, Motteville, non; pourquoi dis-tu cela?

– Votre Majesté avait gémi.

– Tu as raison, en effet; oui, je souffre un peu.

– M. Valot est près d’ici, chez Madame, je crois.

– Chez Madame, pourquoi?

– Madame a ses nerfs.

– Belle maladie! M. Valot a bien tort d’être chez Madame, quand un autre médecin guérirait Madame…

Mme de Motteville leva encore ses yeux surpris.

– Un médecin autre que M. Valot? dit-elle; qui donc?

– Le travail, Motteville, le travail… Ah! si quelqu’un est malade, c’est ma pauvre fille.

– C’est aussi Votre Majesté.

– Moins ce soir.

– Ne vous y fiez pas, madame!

Et, comme pour justifier cette menace, de Mme de Motteville, une douleur aiguë mordit la reine au cœur, la fit pâlir et la renversa sur un fauteuil avec tous les symptômes d’une pâmoison soudaine.

– Mes gouttes! murmura-t-elle.

– Prout! prout! répliqua la Molina, qui, sans hâter sa marche, alla tirer d’une armoire d’écaille dorée un grand flacon de cristal de roche et l’apporta ouvert à la reine.

Celle-ci respira frénétiquement, à plusieurs reprises, et murmura:

– C’est par là que le Seigneur me tuera. Soit faite par sa volonté sainte!

– On ne meurt pas pour mal avoir, ajouta la Molina en replaçant le flacon dans l’armoire.

– Votre Majesté va bien, maintenant? demanda Mme de Motteville.

– Mieux.

Et la reine posa son doigt sur ses lèvres pour commander la discrétion à sa favorite.

– C’est étrange! dit, après un silence, Mme de Motteville.

– Qu’y a-t-il d’étrange? demanda la reine.

– Votre Majesté se souvient-elle du jour où cette douleur apparut pour la première fois?