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Aramis ne respira pas.

– Nous en étions, dit-il, à votre visite à Baisemeaux?

– Non, dit-elle en riant, plus loin.

– Alors, c’est à votre rancune contre la reine mère?

– Plus loin encore, reprit-elle, plus loin; nous en sommes aux rapports… C’est simple, reprit la duchesse en prenant son parti. Vous savez que je vis avec M. de Laicques?

– Oui, madame.

– Un quasi-époux?

– On le dit.

– À Bruxelles?

– Oui.

– Vous savez que mes enfants m’ont ruinée et dépouillée?

– Ah! quelle misère, duchesse!

– C’est affreux! il a fallu que je m’ingéniasse à vivre, et surtout à ne point végéter.

– Cela se conçoit.

– J’avais des haines à exploiter, des amitiés à servir; je n’avais plus de crédit, plus de protecteurs.

– Vous qui avez protégé tant de gens, dit suavement Aramis.

– C’est toujours comme cela, chevalier. Je vis, en ce temps, le roi d’Espagne.

– Ah!

– Qui venait de nommer un général des jésuites, comme c’est l’usage.

– Ah! c’est l’usage?

– Vous l’ignoriez?

– Pardon, j’étais distrait.

– En effet, vous devez savoir cela, vous qui étiez en si bonne intimité avec le franciscain.

– Avec le général des jésuites, vous voulez dire?

– Précisément… Donc je vis le roi d’Espagne. Il me voulait du bien et ne pouvait m’en faire. Il me recommanda cependant, dans les Flandres, moi et Laicques, et me fit donner une pension sur les fonds de l’ordre.

– Des jésuites?

– Oui. Le général, je veux dire le franciscain, me fut envoyé.

– Très bien.

– Et comme, pour régulariser la situation, d’après les statuts de l’ordre, je devais être censée rendre des services… Vous savez que c’est la règle?

– Je l’ignorais.

Mme de Chevreuse s’arrêta pour regarder Aramis; mais il faisait nuit sombre.

– Eh bien! c’est la règle, reprit-elle. Je devais donc paraître avoir une utilité quelconque. Je proposai de voyager pour l’ordre, et l’on me rangea parmi les affiliés voyageurs. Vous comprenez que c’était une apparence et une formalité.

– À merveille.

– Ainsi touchai-je ma pension, qui était fort convenable.

– Mon Dieu! duchesse, ce que vous me dites là est un coup de poignard pour moi. Vous, obligée de recevoir une pension des jésuites!

– Non, chevalier, de l’Espagne.

– Ah! sauf le cas de conscience, duchesse, vous m’avouerez que c’est bien la même chose.

– Non, non, pas du tout.

– Mais enfin, de cette belle fortune, il reste bien…

– Il me reste Dampierre. Voilà tout.

– C’est encore très beau.

– Oui, mais Dampierre grevé, Dampierre hypothéqué, Dampierre un peu ruiné comme la propriétaire.

– Et la reine mère voit tout cela d’un œil sec? dit Aramis avec un curieux regard qui ne rencontra que ténèbres.

– Oui, elle a tout oublié.

– Vous avez, ce me semble, duchesse, essayé de rentrer en grâce?

– Oui; mais, par une singularité qui n’a pas de nom, voilà-t-il pas que le petit roi hérite de l’antipathie que son cher père avait pour ma personne. Ah! me direz-vous, je suis bien une de ces femmes que l’on hait, je ne suis plus de celles que l’on aime.

– Chère duchesse, arrivons vite, je vous prie, à ce qui vous amène, car je crois que nous pouvons nous être utiles l’un à l’autre.

– Je l’ai pensé. Je venais donc à Fontainebleau dans un double but. D’abord, j’y étais mandée par ce franciscain que vous connaissez… À propos, comment le connaissez-vous? car je vous ai raconté mon histoire, et vous ne m’avez pas conté la vôtre.

– Je le connus d’une façon bien naturelle, duchesse. J’ai étudié la théologie avec lui à Parme; nous étions devenus amis, et tantôt les affaires, tantôt les voyages, tantôt la guerre nous avaient séparés.

– Vous saviez bien qu’il fût général des jésuites?

– Je m’en doutais.

– Mais, enfin, par quel hasard étrange veniez-vous, vous aussi, à cette hôtellerie où se réunissaient les affiliés voyageurs?

– Oh! dit Aramis d’une voix calme, c’est un pur hasard. Moi, j’allais à Fontainebleau chez M. Fouquet pour avoir une audience du roi; moi, je passais; moi, j’étais inconnu; je vis par le chemin ce pauvre moribond et je le reconnus. Vous savez le reste, il expira dans mes bras.

– Oui, mais en vous laissant dans le ciel et sur la terre une si grande puissance, que vous donnâtes en son nom des ordres souverains.

– Il me chargea effectivement de quelques commissions.

– Et pour moi?

– Je vous l’ai dit. Une somme de douze mille livres à payer. Je crois vous avoir donné la signature nécessaire pour toucher. Ne touchâtes-vous pas?

– Si fait, si fait. Oh! mon cher prélat, vous donnez ces ordres, m’a-t-on dit, avec un tel mystère et une si auguste majesté, que l’on vous crut généralement le successeur du cher défunt.

Aramis rougit d’impatience. La duchesse continua:

– Je m’en suis informée, dit-elle, près du roi d’Espagne, et il éclaircit mes doutes sur ce point. Tout général des jésuites est, à sa nomination, et doit être Espagnol d’après les statuts de l’ordre. Vous n’êtes pas Espagnol et vous n’avez pas été nommé par le roi d’Espagne.

Aramis ne répliqua rien que ces mots:

– Vous voyez bien, duchesse, que vous étiez dans l’erreur, puisque le roi d’Espagne vous a dit cela.

– Oui, cher Aramis; mais il y a autre chose que j’ai pensé, moi.

– Quoi donc?

– Vous savez que je pense un peu à tout.

– Oh! oui, duchesse.

– Vous savez l’espagnol?

– Tout Français qui a fait sa Fronde sait l’espagnol.

– Vous avez vécu dans les Flandres?