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– Vous êtes galant, Sire, dit miss Stewart avec une charmante moue.

– Je ne compte pas miss Stewart, dit le roi, celle-là est un appât royal, et, puisque je m’y suis pris, un autre, j’espère, ne s’y prendra point; je dis donc, enfin, que je n’aurai pas fait inutilement les doux yeux à ce jeune homme; il restera chez nous, il se mariera chez nous, ou, Dieu me damne!…

– Et j’espère bien qu’une fois marié, au lieu d’en vouloir à Votre Majesté, il lui en sera reconnaissant; car tout le monde s’empresse à lui plaire, jusqu’à M. de Buckingham qui, chose incroyable, s’efface devant lui.

– Et jusqu’à miss Stewart, qui l’appelle un charmant cavalier.

– Écoutez, Sire, vous m’avez assez vanté miss Graffton, passez-moi à mon tour un peu de Bragelonne. Mais, à propos, Sire, vous êtes depuis quelque temps d’une bonté qui me surprend; vous songez aux absents, vous pardonnez les offenses, vous êtes presque parfait. D’où vient?…

Charles II se mit à rire.

– C’est parce que vous vous laissez aimer, dit-il.

– Oh! il doit y avoir une autre raison.

– Dame! j’oblige mon frère Louis XIV.

– Donnez-m’en une autre encore.

– Eh bien! le vrai motif, c’est que Buckingham m’a recommandé ce jeune homme, et m’a dit: «Sire, je commence par renoncer, en faveur du vicomte de Bragelonne, à miss Graffton; faites comme moi.»

– Oh! c’est un digne gentilhomme, en vérité, que le duc.

– Allons, bien; échauffez-vous maintenant la tête pour Buckingham. Il paraît que vous voulez me faire damner aujourd’hui.

En ce moment, on gratta à la porte.

– Qui se permet de nous déranger? s’écria Charles avec impatience.

– En vérité, Sire, dit Stewart, voilà un qui se permet de la plus suprême fatuité, et, pour vous en punir…

Elle alla elle-même ouvrir la porte.

– Ah! c’est un messager de France, dit miss Stewart.

– Un messager de France! s’écria Charles; de ma sœur peut-être?

– Oui, Sire, dit l’huissier, et messager extraordinaire.

– Entrez, entrez, dit Charles.

Le courrier entra.

– Vous avez une lettre de Mme la duchesse d’Orléans? demanda le roi.

– Oui, Sire, répondit le courrier, et tellement pressée, que j’ai mis vingt-six heures seulement pour l’apporter à Votre Majesté, et encore ai-je perdu trois quarts d’heure à Calais.

– On reconnaîtra ce zèle, dit le roi.

Et il ouvrit la lettre.

Puis, se prenant à rire aux éclats:

– En vérité, s’écria-t-il, je n’y comprends plus rien.

Et il relut la lettre une seconde fois.

Miss Stewart affectait un maintien plein de réserve, et contenait son ardente curiosité.

– Francis, dit le roi à son valet, que l’on fasse rafraîchir et coucher ce brave garçon, et que, demain, en se réveillant, il trouve à son chevet un petit sac de cinquante louis.

– Sire!

– Va, mon ami, va! Ma sœur avait bien raison de te recommander la diligence; c’est pressé.

Et il se remit à rire plus fort que jamais.

Le messager, le valet de chambre et miss Stewart elle-même ne savaient quelle contenance garder.

– Ah! fit le roi en se renversant sur son fauteuil, et quand je pense que tu as crevé… combien de chevaux?

– Deux.

– Deux chevaux pour apporter cette nouvelle! C’est bien; va, mon ami, va.

Le courrier sortit avec le valet de chambre.

Charles II alla à la fenêtre qu’il ouvrit, et, se penchant au-dehors:

– Duc! cria-t-il, duc de Buckingham, mon cher Buckingham, venez!

Le duc se hâta d’accourir; mais, arrivé au seuil de la porte, et apercevant miss Stewart, il hésita à entrer.

– Viens donc, et ferme la porte, duc.

Le duc obéit, et, voyant le roi de si joyeuse humeur, s’approcha en souriant.

– Eh bien! mon cher duc, où en es-tu avec ton Français?

– Mais j’en suis, de son côté, au plus pur désespoir, Sire.

– Et pourquoi?

– Parce que cette adorable miss Graffton veut l’épouser, et qu’il ne veut pas.

– Mais ce Français n’est donc qu’un béotien! s’écria miss Stewart; qu’il dise oui, ou qu’il dise non, et que cela finisse.

– Mais, dit gravement Buckingham, vous savez, ou vous devez savoir, madame, que M. de Bragelonne aime ailleurs.

– Alors, dit le roi venant au secours de miss Stewart, rien de plus simple; qu’il dise non.

– Oh! c’est que je lui ai prouvé qu’il avait tort de ne pas dire oui!

– Tu lui as donc avoué que sa La Vallière le trompait?

– Ma foi! oui, tout net.

– Et qu’a-t-il fait?

– Il a fait un bond comme pour franchir le détroit.

– Enfin, dit miss Stewart, il a fait quelque chose: c’est ma foi! bien heureux.

– Mais, continua Buckingham, je l’ai arrêté: je l’ai mis aux prises avec miss Mary, et j’espère bien que, maintenant, il ne partira point, comme il en avait manifesté l’intention.

– Il manifestait l’intention de partir? s’écria le roi.

– Un instant, j’ai douté qu’aucune puissance humaine fût capable de l’arrêter; mais les yeux de miss Mary sont braqués sur lui: il restera.

– Eh bien! voilà ce qui te trompe, Buckingham, dit le roi en éclatant de rire; ce malheureux est prédestiné.

– Prédestiné à quoi?

– À être trompé, ce qui n’est rien; mais à le voir, ce qui est beaucoup.

– À distance, et avec l’aide de miss Graffton, le coup sera paré.

– Eh bien! pas du tout; il n’y aura ni distance, ni aide de miss Graffton. Bragelonne partira pour Paris dans une heure.

Buckingham tressaillit, miss Stewart ouvrit de grands yeux.

– Mais, Sire, Votre Majesté sait bien que c’est impossible, dit le duc.

– C’est-à-dire, mon cher Buckingham, qu’il est impossible, maintenant, que le contraire arrive.