Donc, au lieu de froncer le sourcil en apercevant sa belle-sœur, Louis se promit de lui montrer encore plus d’amitié et de gracieux accueil que l’ordinaire.
C’était à une condition cependant, à la condition qu’elle serait prête de bonne heure.
Voilà les choses auxquelles Louis pensait durant la messe, et qui, il faut le dire, lui faisaient pendant le saint exercice oublier celles auxquelles il eût dû songer en sa qualité de roi très chrétien et de fils aîné de l’Église.
Cependant Dieu est si bon pour les jeunes cœurs, tout ce qui est amour, même amour coupable, trouve si facilement grâce à ses regards paternels, qu’au sortir de la messe, Louis, en levant ses yeux au ciel, put voir à travers les déchirures d’un nuage un coin de ce tapis d’azur que foule le pied du Seigneur.
Il rentra au château, et, comme la promenade était indiquée pour midi seulement et qu’il n’était que dix heures, il se mit à travailler d’acharnement avec Colbert et Lyonne.
Mais, comme, tout en travaillant, Louis allait de la table à la fenêtre, attendu que cette fenêtre donnait sur le pavillon de Madame, il put voir dans la cour M. Fouquet, dont les courtisans, depuis sa faveur de la veille, faisaient plus de cas que jamais, qui venait, de son côté, d’un air affable et tout à fait heureux, faire sa cour au roi.
Instinctivement, en voyant Fouquet, le roi se retourna vers Colbert.
Colbert souriait et paraissait lui-même plein d’aménité et de jubilation. Ce bonheur lui était venu depuis qu’un de ses secrétaires était entré et lui avait remis un portefeuille que, sans l’ouvrir, Colbert avait introduit dans la vaste poche de son haut-de-chausses.
Mais, comme il y avait toujours quelque chose de sinistre au fond de la joie de Colbert, Louis opta, entre les deux sourires, pour celui de Fouquet.
Il fit signe au surintendant de monter; puis, se retournant vers Lyonne et Colbert:
– Achevez, dit-il, ce travail, posez-le sur mon bureau, je le lirai à tête reposée.
Et il sortit.
Au signe du roi, Fouquet s’était hâté de monter. Quant à Aramis, qui accompagnait le surintendant, il s’était gravement replié au milieu du groupe de courtisans vulgaires, et s’y était perdu sans même avoir été remarqué par le roi.
Le roi et Fouquet se rencontrèrent en haut de l’escalier.
– Sire, dit Fouquet en voyant le gracieux accueil que lui préparait Louis, Sire, depuis quelques jours Votre Majesté me comble. Ce n’est plus un jeune roi, c’est un jeune dieu qui règne sur la France, le dieu du plaisir du bonheur et de l’amour.
Le roi rougit. Pour être flatteur, le compliment n’en était pas moins un peu direct.
Le roi conduisit Fouquet dans un petit salon qui séparait son cabinet de travail de sa chambre à coucher.
– Savez-vous bien pourquoi je vous appelle? dit le roi en s’asseyant sur le bord de la croisée, de façon à ne rien perdre de ce qui se passerait dans les parterres sur lesquels donnait la seconde entrée du pavillon de Madame.
– Non, Sire… mais c’est pour quelque chose d’heureux, j’en suis certain, d’après le gracieux sourire de Votre Majesté.
– Ah! vous préjugez?
– Non, Sire, je regarde et je vois.
– Alors, vous vous trompez.
– Moi, Sire?
– Car je vous appelle, au contraire, pour vous faire une querelle.
– À moi, Sire?
– Oui, et des plus sérieuses.
– En vérité, Votre Majesté m’effraie… et cependant j’attends, plein de confiance dans sa justice et dans sa bonté.
– Que me dit-on, monsieur Fouquet, que vous préparez une grande fête à Vaux?
Fouquet sourit comme fait le malade au premier frisson d’une fièvre oubliée et qui revient.
– Et vous ne m’invitez pas? continua le roi.
– Sire, répondit Fouquet, je ne songeais pas à cette fête, et c’est hier au soir seulement qu’un de mes amis, Fouquet appuya sur le mot, a bien voulu m’y faire songer.
– Mais hier au soir je vous ai vu et vous ne m’avez parlé de rien, monsieur Fouquet.
– Sire, comment espérer que Votre Majesté descendrait à ce point des hautes régions où elle vit jusqu’à honorer ma demeure de sa présence royale?
– Excusez, monsieur Fouquet; vous ne m’avez point parlé de votre fête.
– Je n’ai point parlé de cette fête, je le répète, au roi d’abord parce que rien n’était décidé à l’égard de cette fête, ensuite parce que je craignais un refus.
– Et quelle chose vous faisait craindre ce refus, monsieur Fouquet? Prenez garde, je suis décidé à vous pousser à bout.
– Sire, le profond désir que j’avais de voir le roi agréer mon invitation.
– Eh bien! monsieur Fouquet, rien de plus facile, je le vois, que de nous entendre. Vous avez le désir de m’inviter à votre fête, j’ai le désir d’y aller; invitez-moi, et j’irai.
– Quoi! Votre Majesté daignerait accepter? murmura le surintendant.
– En vérité, monsieur, dit le roi en riant, je crois que je fais plus qu’accepter; je crois que je m’invite moi-même.
– Votre Majesté me comble d’honneur et de joie! s’écria Fouquet; mais je vais être forcé de répéter ce que M. de La Vieuville disait à votre aïeul Henri IV: Domine, non sum dignus.
– Ma réponse à ceci, monsieur Fouquet, c’est que, si vous donnez une fête, invité ou non, j’irai à votre fête.
– Oh! merci, merci, mon roi! dit Fouquet en relevant la tête sous cette faveur, qui, dans son esprit, était sa ruine. Mais comment Votre Majesté a-t elle été prévenue?
– Par le bruit public, monsieur Fouquet, qui dit des merveilles de vous et des miracles de votre maison. Cela vous rendra-t-il fier, monsieur Fouquet, que le roi soit jaloux de vous?
– Cela me rendra le plus heureux homme du monde, Sire, puisque le jour où le roi sera jaloux de Vaux, j’aurai quelque chose de digne à offrir à mon roi.
– Eh bien! monsieur Fouquet, préparez votre fête, et ouvrez à deux battants les portes de votre maison.
– Et vous, Sire, dit Fouquet, fixez le jour.
– D’aujourd’hui en un mois.
– Sire, Votre Majesté n’a-t-elle rien autre chose à désirer?
– Rien, monsieur le surintendant, sinon, d’ici là, de vous avoir près de moi le plus qu’il vous sera possible.
– Sire, j’ai l’honneur d’être de la promenade de Votre Majesté.