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La fête mortuaire était terminée, les assistants reprirent le chemin de Paris.

Château-Renaud seul chercha un instant Morrel des yeux; mais, tandis qu’il avait suivi du regard le comte qui s’éloignait, Morrel avait quitté sa place, et Château-Renaud, après l’avoir cherché vainement, avait suivi Debray et Beauchamp.

Monte-Cristo s’était jeté dans un taillis, et, caché derrière une large tombe, il guettait jusqu’au moindre mouvement de Morrel, qui peu à peu s’était approché du mausolée abandonné des curieux, puis des ouvriers.

Morrel regarda autour de lui lentement et vaguement; mais au moment où son regard embrassait la portion du cercle opposée à la sienne, Monte-Cristo se rapprocha encore d’une dizaine de pas sans avoir été vu.

Le jeune homme s’agenouilla.

Le comte, le cou tendu, l’œil fixe et dilaté, les jarrets pliés comme pour s’élancer au premier signal, continuait à se rapprocher de Morrel.

Morrel courba son front jusque sur la pierre, embrassa la grille de ses deux mains, et murmura:

«Ô Valentine!»

Le cœur de comte fut brisé par l’explosion de ces deux mots; il fit un pas encore, et frappant sur l’épaule de Morrel:

«C’est vous, cher ami! dit-il, je vous cherchais.»

Monte-Cristo s’attendait à un éclat, à des reproches, à des récriminations: il se trompait.

Morrel se tourna de son côté, et avec l’apparence du calme:

«Vous voyez, dit-il, je priais!»

Et son regard scrutateur parcourut le jeune homme des pieds à la tête.

Après cet examen il parut plus tranquille.

«Voulez-vous que je vous ramène à Paris? dit-il.

– Non, merci.

– Enfin désirez-vous quelque chose?

– Laissez-moi prier.

Le comte s’éloigna sans faire une seule objection, mais ce fut pour prendre un nouveau poste, d’où il ne perdait pas un seul geste de Morrel, qui enfin se releva, essuya ses genoux blanchis par la pierre, et reprit le chemin de Paris sans tourner une seule fois la tête.

Il descendit lentement la rue de la Roquette.

Le comte, renvoyant sa voiture qui stationnait au Père-Lachaise, le suivit à cent pas. Maximilien traversa le canal, et rentra rue Meslay par les boulevards.

Cinq minutes après que la porte se fut refermée pour Morrel, elle se rouvrit pour Monte-Cristo.

Julie était à l’entrée du jardin, où elle regardait, avec la plus profonde attention, maître Peneton, qui, prenant sa profession de jardinier au sérieux, faisait des boutures de rosier du Bengale.

«Ah! monsieur le comte de Monte-Cristo! s’écria-t-elle avec cette joie que manifestait d’ordinaire chaque membre de la famille, quand Monte-Cristo faisait sa visite dans la rue Meslay.

– Maximilien vient de rentrer, n’est-ce pas madame? demanda le comte.

– Je crois l’avoir vu passer, oui, reprit la jeune femme; mais, je vous en prie, appelez Emmanuel.

– Pardon, madame; mais il faut que je monte à l’instant même chez Maximilien, répliqua Monte-Cristo, j’ai à lui dire quelque chose de la plus haute importance.

– Allez donc, fit-elle, en l’accompagnant de son charmant sourire jusqu’à ce qu’il eût disparu dans l’escalier.

Monte-Cristo eut bientôt franchi les deux étages qui séparaient le rez-de-chaussée de l’appartement de Maximilien; parvenu sur le palier, il écouta: nul bruit ne se faisait entendre.

Comme dans la plupart des anciennes maisons habitées par un seul maître, le palier n’était fermé que par une porte vitrée.

Seulement, à cette porte vitrée il n’y avait point de clef. Maximilien s’était enfermé en dedans; mais il était impossible de voir au-delà de la porte, un rideau de soie rouge doublant les vitres.

L’anxiété du comte se traduisit par une vive rougeur, symptôme d’émotion peu ordinaire chez cet homme impassible.

«Que faire?» murmura-t-il.

Et il réfléchit un instant.

«Sonner? reprit-il, oh! non! souvent le bruit d’une sonnette, c’est-à-dire d’une visite, accélère la résolution de ceux qui se trouvent dans la situation où Maximilien doit être en ce moment, et alors au bruit de la sonnette répond un autre bruit.»

Monte-Cristo frissonna des pieds à la tête, et, comme chez lui la décision avait la rapidité de l’éclair, il frappa un coup de coude dans un des carreaux de la porte vitrée qui vola en éclats; puis il souleva le rideau et vit Morrel qui, devant son bureau, une plume à la main, venait de bondir sur sa chaise, au fracas de la vitre brisée.

«Ce n’est rien, dit le comte, mille pardons, mon cher ami! j’ai glissé, et en glissant j’ai donné du coude dans votre carreau; puisqu’il est cassé, je vais en profiter pour entrer chez vous; ne vous dérangez pas, ne vous dérangez pas.»

Et, passant le bras par la vitre brisée, le comte ouvrit la porte.

Morrel se leva, évidemment contrarié, et vint au-devant de Monte-Cristo, moins pour le recevoir que pour lui barrer le passage.

«Ma foi, c’est la faute de vos domestiques, dit Monte-Cristo en se frottant le coude, vos parquets sont reluisants comme des miroirs.

– Vous êtes-vous blessé, monsieur? demanda froidement Morrel.

– Je ne sais. Mais que faisiez-vous donc là? Vous écriviez?

– Moi?

– Vous avez les doigts tachés d’encre.

– C’est vrai, répondit Morrel, j’écrivais; cela m’arrive quelquefois, tout militaire que je suis.»

Monte-Cristo fit quelques pas dans l’appartement. Force fut à Maximilien de le laisser passer; mais il le suivit.

«Vous écriviez? reprit Monte-Cristo avec un regard fatigant de fixité.

– J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que oui», fit Morrel.

Le comte jeta un regard autour de lui.

«Vos pistolets à côté de l’écritoire! dit-il en montrant du doigt à Morrel les armes posées sur son bureau.

– Je pars pour un voyage, répondit Maximilien.

– Mon ami! dit Monte-Cristo avec une voix d’une douceur infinie.

– Monsieur!

– Mon ami, mon cher Maximilien, pas de résolutions extrêmes, je vous en supplie!

– Moi, des résolutions extrêmes, dit Morrel en haussant les épaules; et en quoi, je vous prie, un voyage est-il une résolution extrême?