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Il s’approcha d’abord de la baronne, qui causait avec Mme de Villefort, qui était venue seule, Valentine étant toujours souffrante; et sans dévier, tant le chemin se frayait devant lui, il passa de la baronne à Eugénie, qu’il complimenta en termes si rapides et si réservés, que la fière artiste en fut frappée.

Près d’elle était Mlle Louise d’Armilly, qui remercia le comte des lettres de recommandation qu’il lui avait si gracieusement données pour Italie, et dont elle comptait, lui dit-elle, faire incessamment usage.

En quittant ces dames, il se retourna et se trouva près de Danglars, qui s’était approché pour lui donner la main.

Ces trois devoirs sociaux accomplis, Monte-Cristo s’arrêta, promenant autour de lui ce regard assuré empreint de cette expression particulière aux gens d’un certain monde et surtout d’une certaine portée, regard qui semble dire:

«J’ai fait ce que j’ai dû; maintenant que les autres fassent ce qu’ils me doivent.»

Andrea, qui était dans un salon contigu, sentit cette espèce de frémissement que Monte-Cristo avait imprimé à la foule, et il accourut saluer le comte.

Il le trouva complètement entouré; on se disputait ses paroles, comme il arrive toujours pour les gens qui parlent peu et qui ne disent jamais un mot sans valeur.

Les notaires firent leur entrée en ce moment, et vinrent installer leurs pancartes griffonnées sur le velours brodé d’or qui couvrait la table préparée pour la signature, table en bois doré.

Un des notaires s’assit, l’autre resta debout.

On allait procéder à la lecture du contrat que la moitié de Paris, présente à cette solennité, devait signer.

Chacun prit place, ou plutôt les femmes firent cercle, tandis que les hommes, plus indifférents à l’endroit du style énergique, comme dit Boileau, firent leurs commentaires sur l’agitation fébrile d’Andrea sur l’attention de M. Danglars, sur l’impassibilité d’Eugénie et sur la façon leste et enjouée dont la baronne traitait cette importante affaire.

Le contrat fut lu au milieu d’un profond silence. Mais, aussitôt la lecture achevée, la rumeur recommença dans les salons, double de ce qu’elle était auparavant: ces sommes brillantes, ces millions roulant dans l’avenir des deux jeunes gens et qui venaient compléter l’exposition qu’on avait faite, dans une chambre exclusivement consacrée à cet objet du trousseau de la mariée et des diamants de la jeune femme, avaient retenti avec tout leur prestige dans la jalouse assemblée.

Les charmes de Mlle Danglars en étaient doubles aux yeux des jeunes gens, et pour le moment ils effaçaient l’éclat du soleil.

Quant aux femmes, il va sans dire que, tout en jalousant ces millions, elles ne croyaient pas en avoir besoin pour être belles.

Andrea, serré par ses amis, complimenté, adulé, commençant à croire à la réalité du rêve qu’il faisait, Andrea était sur le point de perdre la tête.

Le notaire prit solennellement la plume, l’éleva au-dessus de sa tête et dit:

«Messieurs, on va signer le contrat.»

Le baron devait signer le premier, puis le fondé de pouvoir de M. Cavalcanti père, puis la baronne, puis les futurs conjoints, comme on dit dans cet abominable style qui a cours sur papier timbré.

Le baron prit la plume et signa, puis le chargé de pouvoir.

La baronne s’approcha, au bras de Mme de Villefort.

«Mon ami, dit-elle en prenant la plume, n’est-ce pas une chose désespérante? Un incident inattendu, arrivé dans cette affaire d’assassinat et de vol dont M. le comte de Monte-Cristo a failli être victime, nous prive d’avoir M. de Villefort.

– Oh! mon Dieu! fit Danglars, du même ton dont il aurait dit: Ma foi, la chose m’est bien indifférente!

– Mon Dieu! dit Monte-Cristo en s’approchant, j’ai bien peur d’être la cause involontaire de cette absence.

– Comment! vous, comte? dit Mme Danglars en signant. S’il en est ainsi, prenez garde, je ne vous le pardonnerai jamais.»

Andrea dressait les oreilles.

«Il n’y aurait cependant point de ma faute, dit le comte; aussi je tiens à le constater.»

On écoutait avidement: Monte-Cristo, qui desserrait si rarement les lèvres, allait parler.

«Vous vous rappelez, dit le comte au milieu du plus profond silence, que c’est chez moi qu’est mort ce malheureux qui était venu pour me voler, et qui, en sortant de chez moi a été tué, à ce que l’on croit, par son complice?

– Oui, dit Danglars.

– Eh bien, pour lui porter secours, on l’avait déshabillé et l’on avait jeté ses habits dans un coin où la justice les a ramassés; mais la justice, en prenant l’habit et le pantalon pour les déposer au greffe, avait oublié le gilet.»

Andrea pâlit visiblement et tira tout doucement du côté de la porte; il voyait paraître un nuage à l’horizon, et ce nuage lui semblait renfermer la tempête dans ses flancs.

«Eh bien, ce malheureux gilet, on l’a trouvé aujourd’hui tout couvert de sang et troué à l’endroit du cœur.»

Les dames poussèrent un cri, et deux ou trois se préparèrent à s’évanouir.

«On me l’a apporté. Personne ne pouvait deviner d’où venait cette guenille; moi seul songeai que c’était probablement le gilet de la victime. Tout à coup mon valet de chambre, en fouillant avec dégoût et précaution cette funèbre relique, a senti un papier dans la poche et l’en a tiré: c’était une lettre adressée à qui? à vous, baron.

– À moi? s’écria Danglars.

– Oh! mon Dieu! oui, à vous; je suis parvenu à lire votre nom sous le sang dont le billet était maculé, répondit Monte-Cristo au milieu des éclats de surprise générale.

– Mais, demanda Mme Danglars regardant son mari avec inquiétude, comment cela empêche-t-il M. de Villefort?

– C’est tout simple, madame, répondit Monte-Cristo; ce gilet et cette lettre étaient ce qu’on appelle des pièces de conviction; lettre et gilet, j’ai tout envoyé à M. le procureur du roi. Vous comprenez, mon cher baron, la voie légale est la plus sûre en matière criminelle: c’était peut-être quelque machination contre vous.»

Andrea regarda fixement Monte-Cristo et disparut dans le deuxième salon.

«C’est possible, dit Danglars; cet homme assassiné n’était-il point un ancien forçat?

– Oui, répondit le comte, un ancien forçat nommé Caderousse.»

Danglars pâlit légèrement; Andrea quitta le second salon et gagna l’antichambre.

«Mais signez donc, signez donc! dit Monte-Cristo; je m’aperçois que mon récit a mis tout le monde en émoi et j’en demande bien humblement pardon à vous, madame la baronne et à Mlle Danglars.»