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Son œil ardent de bonheur se plongeait avidement dans les regards humides d’Haydée, quand tout à coup la porte s’ouvrit. Le comte fronça le sourcil.

«M. de Morcerf!» dit Baptistin, comme si ce mot seul renfermait son excuse.

En effet, le visage du comte s’éclaira.

«Lequel, demanda-t-il, le vicomte ou le comte?

– Le comte.

– Mon Dieu! s’écria Haydée, n’est-ce donc point fini encore?

– Je ne sais si c’est fini, mon enfant bien-aimée, dit Monte-Cristo en prenant les mains de la jeune fille, mais ce que je sais, c’est que tu n’as rien à craindre.

– Oh! c’est cependant le misérable…

– Cet homme ne peut rien sur moi, Haydée, dit Monte-Cristo; c’est quand j’avais affaire à son fils qu’il fallait craindre.

– Aussi, ce que j’ai souffert, dit la jeune fille, tu ne le sauras jamais, mon seigneur.»

Monte-Cristo sourit.

«Par la tombe de mon père! dit Monte-Cristo en étendant la main sur la tête de la jeune fille, je te jure que s’il arrive malheur, ce ne sera point à moi.

– Je te crois, mon seigneur, comme si Dieu me parlait», dit la jeune fille en présentant son front au comte.

Monte-Cristo déposa sur ce front si pur et si beau un baiser qui fit battre à la fois deux cœurs, l’un avec violence, l’autre sourdement.

«Oh! mon Dieu! murmura le comte, permettriez-vous donc que je puisse aimer encore!… Faites entrer M. le comte de Morcerf au salon», dit-il à Baptistin, tout en conduisant la belle Grecque vers un escalier dérobé.

Un mot d’explication sur cette visite, attendue peut-être de Monte-Cristo, mais inattendue sans doute pour nos lecteurs.

Tandis que Mercédès, comme nous l’avons dit, faisait chez elle l’espèce d’inventaire qu’Albert avait fait chez lui; tandis qu’elle classait ses bijoux, fermait ses tiroirs, réunissait ses clefs, afin de laisser toutes choses dans un ordre parfait, elle ne s’était pas aperçue qu’une tête pâle et sinistre était venue apparaître au vitrage d’une porte qui laissait entrer le jour dans le corridor; de là, non seulement on pouvait voir, mais on pouvait entendre. Celui qui regardait ainsi, selon toute probabilité, sans être vu ni entendu, vit donc et entendit donc tout ce qui se passait chez Mme de Morcerf.

De cette porte vitrée, l’homme au visage pâle se transporta dans la chambre à coucher du comte de Morcerf, et, arrivé là, souleva d’une main contractée le rideau d’une fenêtre donnant sur la cour. Il resta là dix minutes ainsi immobile, muet, écoutant les battements de son propre cœur. Pour lui c’était bien long, dix minutes.

Ce fut alors qu’Albert, revenant de son rendez-vous, aperçut son père, qui guettait son retour derrière un rideau et détourna la tête.

L’œil du comte se dilata: il savait que l’insulte d’Albert à Monte-Cristo avait été terrible, qu’une pareille insulte, dans tous les pays du monde, entraînait un duel à mort. Or, Albert rentrait sain et sauf, donc le comte était vengé.

Un éclair de joie indicible illumina ce visage lugubre, comme fait un dernier rayon de soleil avant de se perdre dans les nuages qui semblent moins sa couche que son tombeau.

Mais, nous l’avons dit, il attendit en vain que le jeune homme montât à son appartement pour lui rendre compte de son triomphe. Que son fils, avant de combattre, n’ait pas voulu voir le père dont il allait venger l’honneur, cela se comprend; mais, l’honneur du père vengé, pourquoi ce fils ne venait-il point se jeter dans ses bras?

Ce fut alors que le comte, ne pouvant voir Albert, envoya chercher son domestique. On sait qu’Albert l’avait autorisé à ne rien cacher au comte.

Dix minutes après on vit apparaître sur le perron le général de Morcerf, vêtu d’une redingote noire, ayant un col militaire, un pantalon noir, des gants noirs. Il avait donné, à ce qu’il paraît, des ordres antérieurs; car, à peine eut-il touché le dernier degré du perron, que sa voiture tout attelée sortit de la remise et vint s’arrêter devant lui.

Son valet de chambre vint alors jeter dans la voiture un caban militaire, raidi par les deux épées qu’il enveloppait; puis fermant la portière, il s’assit près du cocher.

Le cocher se pencha devant la calèche pour demander l’ordre:

«Aux Champs-Élysées, dit le général, chez le comte de Monte-Cristo. Vite!»

Les chevaux bondirent sous le coup de fouet qui les enveloppa; cinq minutes après, ils s’arrêtèrent devant la maison du comte.

M. de Morcerf ouvrit lui-même la portière, et, la voiture roulant encore, il sauta comme un jeune homme dans la contre-allée, sonna et disparut dans la porte béante avec son domestique.

Une seconde après, Baptistin annonçait à M. de Monte-Cristo le comte de Morcerf, et Monte-Cristo, reconduisant Haydée, donna l’ordre qu’on fît entrer le comte de Morcerf dans le salon.

Le général arpentait pour la troisième fois le salon dans toute sa longueur, lorsqu’en se retournant il aperçut Monte-Cristo debout sur le seuil.

«Eh! c’est monsieur de Morcerf, dit tranquillement Monte-Cristo; je croyais avoir mal entendu.

– Oui c’est moi-même, dit le comte avec une effroyable contraction des lèvres qui l’empêchait d’articuler nettement.

– Il ne me reste donc qu’à savoir maintenant, dit Monte-Cristo, la cause qui me procure le plaisir de voir monsieur le comte de Morcerf de si bonne heure.

– Vous avez eu ce matin une rencontre avec mon fils, monsieur? dit le général.

– Vous savez cela? répondit le comte.

– Et je sais aussi que mon fils avait de bonnes raisons pour désirer se battre contre vous et faire tout ce qu’il pourrait pour vous tuer.

– En effet, monsieur, il en avait de fort bonnes! mais vous voyez que, malgré ces raisons-là, il ne m’a pas tué, et même qu’il ne s’est pas battu.

– Et cependant il vous regardait comme la cause du déshonneur de son père, comme la cause de la ruine effroyable qui, en ce moment-ci, accable ma maison.

– C’est vrai, monsieur, dit Monte-Cristo avec son calme terrible; cause secondaire, par exemple, et non principale.

– Sans doute vous lui avez fait quelque excuse ou donné quelque explication?

– Je ne lui ai donné aucune explication, et c’est lui qui m’a fait des excuses.

– Mais à quoi attribuez-vous cette conduite?

– À la conviction, probablement, qu’il y avait dans tout ceci un homme plus coupable que moi.

– Et quel était cet homme?